Un budget en faveur des entreprises
Pour épargner les entreprises, les mesures fiscales du budget 2014 font peser la charge de l'ajustement sur les ménages.
Le gouvernement maintient son cap, mais modifie sa méthode. Ainsi pourraient se résumer les grandes orientations du budget 2014. Il entend en effet poursuivre la réduction des déficits publics, à un rythme certes plus lent que ce qui était initialement convenu avec la Commission européenne, mais avec continuité et persévérance. La méthode, en revanche, a sensiblement changé : le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a fait le choix de mettre désormais l’accent sur la réduction des dépenses publiques et d’épargner les entreprises. Celles-ci sont en effet les gagnantes de la politique de modération fiscale qui se met en place. Mais la médaille a son revers : les ménages vont faire les frais de ces choix. Pas tous naturellement : le gouvernement continue à faire payer prioritairement les plus aisés, mais sa politique touche également désormais les classes moyennes.
L’équation budgétaire
Si l’on en croit la feuille de route que le gouvernement s’est engagé à suivre, l’Hexagone devrait voir son déficit public atterrir à 3,6 % du produit intérieur brut (PIB) fin 2014, contre 4,1 % fin 2013. Mais, pour atteindre cet objectif, il faut trouver 18 milliards d’euros de plus dans le budget de 2014. Pour ce faire, il n’y a que deux solutions : augmenter les recettes - en l’occurrence, les impôts -, ou baisser les dépenses. Le gouvernement a choisi de se concentrer sur ce deuxième levier en 2014, à hauteur de 15 milliards d’euros d’économies supplémentaires. Autrement dit, seuls 20 % du surcroît d’effort prévu pour 2014 prendra la forme de hausses d’impôts. C’est néanmoins sur ce volet que se sont concentrées les polémiques de la rentrée autour du "ras-le-bol fiscal".
On peut en comprendre les raisons : après une décennie de cadeaux fiscaux en tous genres, la correction a été brutale, même si elle n’est encore que partielle, depuis 2011 et le premier plan Fillon. Ainsi, entre août 2011 et mai 2012, la majorité précédente avait asséné plus de 31 milliards d’euros d’impôts supplémentaires, dont la moitié sur les entreprises et l’autre sur les ménages. La majorité actuelle en a rajouté à peu près autant depuis, en répartissant à nouveau la charge à parts presque égales entre les ménages et les entreprises.
Après plus de deux années de ce régime, 2014 devrait donc marquer, si ce n’est une "pause fiscale", du moins un net ralentissement. Toutefois, ce ralentissement global ne dit rien de la répartition de l’effort entre ménages et entreprises, ni à l’intérieur de chacun de ces deux ensembles. Dans le scénario présenté l’an dernier, le gouvernement s’était engagé à ce que, sur l’ensemble du quinquennat, la réduction des déficits repose pour un tiers sur les ménages, pour un tiers sur les entreprises et pour un dernier tiers sur la réduction des dépenses publiques. Autrement dit, les hausses d’impôts devaient peser pour moitié sur les ménages et pour moitié sur les entreprises. Ce n’est plus cette logique qui prévaut aujourd’hui.
Une sollicitude particulière
En effet, en dépit de ce que suggèrent les protestations continuelles du Medef, les entreprises ont fait l’objet d’une sollicitude très particulière de la part de ce gouvernement ces derniers mois. Il avait certes d’abord emboîté le pas à la majorité précédente en continuant à augmenter les prélèvements pesant sur les entreprises, mais il leur a ensuite, d’une autre main, beaucoup rendu, et même plus encore que ce qu’il leur a pris. En particulier avec le crédit d’impôt compétitivité emploi (Cice), qui devrait leur rapporter 10 milliards d’euros en 2014 et 20 milliards par an à partir de 2015. Autrement dit, si l’on fait la balance des initiatives de ce gouvernement en matière de fiscalité des entreprises, le résultat devrait être proche de zéro dès 2014. Et à partir de 2015, les entreprises devraient commencer à en tirer profit. Surtout que, parallèlement, le gouvernement a pris soin de ne pas toucher aux principales réformes fiscales de son prédécesseur en leur faveur : en particulier la suppression de la taxe professionnelle et l’extension du crédit d’impôt recherche (CIR). Celui-ci a même été ouvert désormais plus largement aux PME.
La future réforme des retraites, quant à elle, devrait déboucher sur une augmentation de 0,3 point des cotisations salariales et patronales. Mais le gouvernement s’est engagé à compenser la totalité de cette augmentation pour la partie patronale par une baisse des cotisations famille. Et cerise sur le gâteau, il s’est aussi engagé à empêcher que des contrôles fiscaux puissent être déclenchés sur la seule base de l’usage que les entreprises pourraient faire des bénéfices du Cice ou du CIR. Autrement dit, alors que le Cice était censé servir à développer l’emploi et les investissements, les interrogations sur son usage ne pourront servir de base à aucune enquête fiscale.
Au total, dans un contexte certes difficile pour les entreprises, le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour les tenir à l’abri de l’effort national de réduction des déficits. Ce choix est l’élément le plus marquant d’une politique économique qui se définit de plus en plus clairement comme une politique de l’offre.
Quant aux ménages...
Si on veut à la fois réduire l’addition des entreprises et obtenir un niveau de recettes un peu supérieur à celui de 2013, il va falloir faire payer davantage les ménages. Autrement dit, ce sont eux qui vont, non seulement porter les hausses d’impôts supplémentaires, mais aussi financer les cadeaux consentis aux entreprises.
Bien sûr, les ménages ne forment pas un ensemble homogène. Et jusqu’ici, le gouvernement a pris soin de concentrer la charge fiscale supplémentaire en priorité sur les plus aisés. Les mesures envisagées pour 2014 vont pour partie dans le même sens. C’est le cas avec la réintroduction de l’imposition à 75 % des revenus supérieurs à un million d’euros, via une taxation à la source au niveau des entreprises. C’est également le cas avec le coup de rabot sur le plafond du quotient familial (qui va passer de 2 000 à 1 500 euros pour une demi-part). Le gouvernement ne poursuit cependant pas le rétablissement de la progressivité de l’impôt sur le revenu en abaissant le seuil, très élevé pour l’instant, de la tranche à 45 % et en rétablissant une tranche marginale à 50 %, comme il en existe une au Royaume-Uni.
Mais toutes les mesures fiscales du budget 2014 ne se concentrent pas sur les plus riches. A commencer par la hausse des taux de TVA pour financer le Cice : de 19,6 % à 20 % pour le taux normal, et de 7 % à 10 % pour le taux intermédiaire. Bien sûr, dans le même temps, le taux réduit à 5,5 %, qui s’applique aux produits de première nécessité, passera à 5 %, de manière à adoucir la facture des consommateurs les plus modestes. Mais, dans l’ensemble, ces mesures auront un impact très au-delà du cercle des plus aisés. Il en va de même de la suppression de certaines niches fiscales, comme celle bénéficiant aux parents d’enfants scolarisés ou étudiants, une mesure qui pourrait toutefois ne pas être retenue lors du débat parlementaire...
Enfin, la récente réforme des retraites va se traduire par une augmentation sensible des prélèvements sur l’ensemble des ménages. Directement via l’augmentation des cotisations salariales (+ 0,3 point à partir du 1er janvier prochain). Et indirectement via la fiscalisation des majorations de retraite pour enfants, une mesure qui devrait rapporter la coquette somme de 1,2 milliard d’euros à l’Etat.
Au nombre des mesures qui ne ciblent pas exclusivement les plus aisés il faut ajouter le fait que la part des contrats d’assurance complémentaire de santé payée par l’employeur ne pourra plus être déduite des revenus imposables des salariés.
Au total, le gouvernement s’apprête donc à accroître sensiblement la pression fiscale sur les ménages et pas seulement sur les plus aisés d’entre eux. D’autant que l’autre volet de sa politique budgétaire - la réduction des dépenses publiques - pèsera lui aussi sur les plus modestes : a priori ce sont eux et non pas les plus riches qui ont le plus besoin des services publics et des prestations sociales.
Bien sûr, cette politique devra être jugée à la lumière de ce que les entreprises feront des avantages fiscaux qui leur sont consentis. Si elles en profitent pour investir et créer des emplois, tout le monde y gagnera. En revanche, si elles s’en servent pour distribuer davantage de dividendes à leurs actionnaires, et si les commerçants ne répercutent pas la baisse de TVA de 5,5 % à 5 %, la collectivité y aura perdu. Dans un contexte économique global qui reste très déprimé, le premier terme de l’alternative semble cependant malheureusement assez improbable.