Le G20 contre les paradis fiscaux

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Le G20 s'est doté d'un arsenal sans précédent dans la lutte internationale contre les paradis fiscaux. Reste à concrétiser.

En 2015, L’échange automatique

La réunion du G20 de Saint-Pétersbourg des 5 et 6 septembre 2013 est à marquer d’une pierre blanche. Les chefs d’Etat des grands pays de la planète y ont engagé de nouvelles politiques susceptibles de porter de sérieux coups au monde de l’opacité fiscale.

Première arme mobilisée : l’engagement d’établir un standard mondial d’échange automatique d’informations fiscales. Aujourd’hui, cet échange se fait en grande majorité à la demande. Si le fisc français pense qu’un individu fraude les impôts, il doit constituer un dossier, demander à l’administration du pays concerné de vérifier auprès de ses institutions financières et de confirmer éventuellement la fraude. Inutile de dire que les paradis fiscaux répondent rarement, voire presque jamais à ce genre de demandes.

Avec l’échange automatique d’informations, dès qu’une personne organisera, dans un pays étranger, des activités financières susceptibles d’intéresser le fisc de son pays d’origine, celui-ci en sera automatiquement informé. C’est une arme de destruction massive du secret bancaire. Point important, l’OCDE propose une définition large du périmètre des informations concernées par ces échanges : il devra couvrir tous les types de transactions et d’institutions financières. Les pays du G20 ont même fixé un calendrier précis en s’engageant à adopter ce standard à la fin 2015.

Comment ? Plutôt que de demander à chaque pays de réviser bilatéralement ses conventions fiscales avec tous ses pays partenaires, l’OCDE doit développer un standard mondial techniquement opérationnel d’ici juin 2014. Les pays pauvres n’ont pas été oubliés : afin qu’ils puissent, eux aussi, bénéficier de l’échange automatique, le G20 s’est engagé à les aider à financer la mise oeuvre de ce nouvel outil.

Certes, tout n’est pas encore réglé. L’OCDE devra proposer un standard compatible avec celui que les pays européens ont déjà mis en oeuvre entre eux. Notamment parce que les établissements financiers, qui vont supporter les coûts de développement des supports techniques permettant de collecter et de transmettre les informations aux administrations fiscales, veulent réduire les frais.

Le passage à l’échange automatique ne sera cependant un véritable succès qu’à une seule condition : que les paradis fiscaux y participent ! Le Royaume-Uni, membre du G20, et ses anciennes colonies (Bahamas, îles Vierges...), au coeur d’un empire d’opacité, sont attendus au tournant. A cet égard, l’annonce, dès le 6 septembre, par les îles Caïmans, l’un des premiers centres financiers offshore, de s’engager dans cette voie est une bonne nouvelle.

Haro sur les multinationales

La réunion de Saint-Pétersbourg a également été l’occasion de lancer un plan d’action en quinze points, baptisé Beps (Base Erosion and Profit Shifting). Comme son nom l’indique, il s’agit de limiter l’érosion des bases fiscales et les transferts de profits dans les paradis fiscaux effectués par les multinationales. La déclaration finale du sommet affirme que "les profits doivent être taxés là où se situe l’activité économique permettant la réalisation de ces profits".

Comment le G20 compte-t-il y arriver ? Les quinze points sont assez techniques, mais ils représentent autant de cibles pertinentes. Il y a d’abord les mesures qui visent les techniques d’optimisation agressives des multinationales (huit sur les quinze points). Il s’agit par exemple de s’attaquer aux pratiques douteuses des prix de transferts (les prix auxquels les filiales d’une même multinationale s’échangent des biens et des services) en matière de transactions portant sur les actifs immatériels (brevets, licences, logiciel...), sur la gestion des risques, etc. On y trouve aussi la remise en cause de la déduction fiscale pour intérêts d’emprunt, largement détournée par les entreprises, ou bien encore la manipulation des traités bilatéraux d’investissements afin de bénéficier de déductions fiscales.

Le G20 veut également faciliter le travail des Etats, par exemple en obligeant les entreprises à déclarer leurs techniques d’optimisation au fisc, ou bien - et c’est important - à fournir une comptabilité pays par pays de leurs activités, de leurs profits et des impôts qu’elles paient. Des informations qui seront réservées aux administrations fiscales (alors que la nouvelle loi bancaire française qui impose la même chose aux banques permet de rendre ces données publiques). Le G20 veut également mieux taxer les entreprises du numérique, un secteur au développement récent qui n’est pas encore imposé à hauteur de l’explosion de son activité.

Enfin, le plan d’action demande aux Etats de ne plus mener "une concurrence fiscale dommageable", comme dit le jargon OCDE, en s’interdisant d’aller trop loin dans l’offre de réduction d’impôts pour attirer les investisseurs. Par ailleurs, les entreprises se voient offrir une meilleure possibilité de régler leurs différends avec les administrations. Enfin, le plan du G20 demande de développer les outils statistiques permettant d’avoir une meilleure estimation des conséquences fiscales des pratiques douteuses des multinationales, pour mieux mesurer l’ampleur du problème et les progrès qui pourront ou non être réalisés. Ce plan d’action est assez large, il est judicieux, mais à ce stade, il n’est encore qu’une longue liste de choses à faire.

Inquiétudes

Les pessimistes ont déjà deux motifs d’inquiétude : si les pays du G20 restent trop mous envers les multinationales, BEPS pourrait accoucher d’une souris ; si les paradis fiscaux font de la résistance, l’échange automatique se réduira à peau de chagrin, Ajoutons quelques soucis supplémentaires.

Les principaux flux d’investissements directs dans la zone euro en 2012, en milliards d’euros

Le Luxembourg est à l’origine d’environ un quart des investissements à l’étranger de la zone euro et il reçoit près de 40 % des investissements des grandes entreprises mondiales ! Ces chiffres soulignent la capacité du pays à attirer les capitaux grâce aux outils d’opacité fiscale qu’il fournit aux firmes mondiales.

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Transparence fiscale : répartition des insuffisances relevées, en %

Il y a d’abord deux sujets sur lesquels le G20 reste muet. Alors que les paradis fiscaux participent à l’instabilité de la finance par les prises de risque opaques qu’ils permettent , les grands pays ne disent pas un mot sur le sujet. Pas de dénonciation non plus des trusts et autres structures juridiques qui organisent l’opacité fiscale. Avec le secret bancaire, c’est l’autre façon de dissimuler son patrimoine et ses revenus. Une allusion y est faite dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent sale, suggérant que la détermination des bénéficiaires réels de ces outils d’opacité est "également pertinente dans le domaine fiscal", mais sans plus.

Heureusement, le rapport au G20 réalisé par l’OCDE affirme clairement que, dans le cadre de l’échange automatique, les institutions financières qui vont le mettre en oeuvre devront savoir, lorsqu’elles travaillent pour ce genre d’entités opaques, qui en sont les véritables bénéficiaires. On compte donc sur les banques et autres fonds d’investissements pour faire le travail. Les financiers pourraient ainsi reprendre à leur compte les demandes des ONG d’établir des registres publics de toute entité juridique, car cela leur faciliterait la tâche.

Enfin, un mot a fait son apparition dans le communiqué final du G20 qui n’était pas présent jusque-là. Il concerne le plan d’action contre les multinationales, mais sa portée est plus générale. Il est ainsi indiqué que les mesures seront mises en oeuvre, "le paradigme de la souveraineté étant pris en considération". Ce terme ajouté, semble-t-il à la demande de la Chine, pourrait permettre à n’importe quel pays de refuser telle ou telle avancée.

Les deux années qui viennent vont donc donner lieu à des batailles politiques serrées. Elles seront cruciales pour voir si les fermes engagements du G20 en matière de lutte contre les paradis fiscaux aboutissent ou non à une sérieuse remise en cause de ces territoires parasites.

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