Retraites : 43 ans, est-ce bien raisonnable ?

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Pour équilibrer le système de retraites, le gouvernement veut une nouvelle fois augmenter la durée de cotisation. Une logique qui a atteint ses limites.

Dès lors que l’on vit plus longtemps, on devra travailler aussi un peu plus longtemps", avertissait François Hollande dès mai dernier. Trois mois plus tard, le couperet est tombé. En dévoilant les grandes lignes du projet de loi sur les retraites le 27 août, Jean-Marc Ayrault a annoncé que la durée de cotisation nécessaire pour pouvoir toucher une retraite à taux plein sera progressivement relevée jusqu’à 43 ans pour les générations nées en 1973 et après, c’est-à-dire à partir de 2035.

Ce nouveau tour de vis s’inscrit dans la logique des réformes précédentes. C’est en effet la quatrième fois que la durée minimale d’assurance est prolongée : elle était de 37,5 ans en 1993 et passera à 41 ans et trois trimestres en 2020 dans le public et le privé, et à 41 ans en 2016 dans les régimes spéciaux. En 2010, les bornes d’âge ont également été relevées : l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite est ainsi passé de 60 à 62 ans et celui de l’obtention d’une retraite à taux plein quelle que soit la durée de cotisation de 65 à 67 ans.

Equation moins injuste, mais potion amère

Jouer sur la durée de cotisation, comme prévu actuellement, est moins injuste que le report à 62 ans de l’âge minimum du départ à la retraite qui fait porter les mêmes efforts sur les ouvriers que sur les cadres. Dans la mesure où ces derniers font plus souvent des études longues, le passage à 62 ans n’avait en effet pas changé grand-chose pour eux. Autre lot de consolation : le nouvel allongement n’interviendra qu’après 2020, et le calendrier des précédentes réformes ne sera pas accéléré. Cela n’aura donc pas d’impact immédiat sur le marché du travail.

Même diluée dans le temps, la potion n’en reste pas moins amère pour les générations concernées. D’autant plus qu’elles sont confrontées depuis longtemps à des difficultés d’insertion sur le marché du travail. L’âge moyen auquel on valide une première année de cotisation recule en effet sensiblement : il est passé de 20,8 ans pour la génération 1954 à 23,4 ans pour la génération 1974. De la même manière, la durée d’assurance validée à 30 ans diminue nettement : elle est passée de dix ans et trois trimestres pour la génération 1950 à sept ans et trois trimestres pour celle de 1974. Celle-ci devra donc attendre au moins l’âge de 65 ans pour avoir cotisé les 172 trimestres (ou 43 années) imposés par la nouvelle réforme.

Mais ce n’est qu’une moyenne : 20 % de la génération née en 1974 a cotisé moins de cinq ans à 30 ans, ce qui les amène à 68 ans dans le meilleur des cas. Ils pourront certes partir à 67 ans sans décote (c’est l’âge du taux plein), mais ils seront tout de même pénalisés au niveau du montant de leur pension puisqu’il leur manquera encore des trimestres. Dans la génération 1974, ils sont 44 % à avoir cotisé moins de sept ans et demi à l’âge de 30 ans. C’est donc presque la moitié de cette génération qui ne pourra de toute façon pas prétendre à une retraite à taux plein avant l’âge de 65,5 ans. On ne connaît pas les chiffres, mais avec la crise, la situation s’est à coup sûr aggravée encore pour les générations arrivées ensuite sur le marché du travail, puisque le taux d’emploi des 15-25 ans a fortement baissé depuis 2008.

Quant à ceux qui auront connu des périodes de chômage non indemnisé ou qui auront travaillé à temps très partiel, ils devront rester en activité encore plus longtemps. S’ils ne le souhaitent pas ou s’ils ne le peuvent pas (pour des raisons de santé ou faute d’emploi), ils devront se contenter d’une retraite incomplète.

Une baisse programmée des pensions

Or, on vit certes plus longtemps, mais pas forcément en bonne santé. L’espérance de vie sans incapacité a même diminué en France ces dernières années : entre 2008 et 2010, elle est passée de 62,7 ans à 61,9 ans pour les hommes et de 64,6 ans à 63,5 ans pour les femmes. Concrètement, cela veut dire que les Français sont confrontés plus tôt qu’auparavant à des limitations des fonctions essentielles telles que l’aptitude à se déplacer, à se nourrir, à se vêtir... Avec 43 ans de cotisation, on demandera donc à une majorité des Français de travailler très au-delà de ce qui est aujourd’hui la limite de l’espérance de vie sans incapacité. Dans ces conditions, ils seront donc probablement amenés à prendre leur retraite avant d’avoir le droit d’en bénéficier à taux plein, et cela se traduira surtout par une baisse des retraites futures.

Nombre moyen de trimestres validés à 30 ans, selon les générations
Répartition des effectifs des générations 1942 à 1978 selon le nombre de trimestres validés à 30 ans, en %

Il n’est toutefois pas illégitime qu’une partie des gains d’espérance de vie soit consacrée à travailler plus longtemps. Dans cette logique, François Fillon avait proposé en 2003 que toute hausse de l’espérance de vie soit répartie pour un tiers en hausse de la durée des retraites et pour deux tiers en hausse de la durée d’activité. Cette règle, qui a le mérite de stabiliser le rapport entre cotisants et retraités, a été reprise à son compte par le gouvernement Ayrault. Mais en réalité, depuis le début des réformes des retraites il y a vingt ans, on est déjà allé très au-delà. Depuis 1993, l’espérance de vie à 60 ans a augmenté de 2,9 ans. En appliquant la règle des deux tiers, il aurait donc fallu augmenter la durée de cotisation de 1,9 an. En réalité, celle-ci a augmenté de 3,5 ans sur cette période, davantage donc que l’espérance de vie elle-même et quasiment deux fois plus que selon la règle Fillon1.

Bien sûr, il est probable - et souhaitable - que l’espérance de vie à 60 ans continue d’augmenter à l’avenir. D’après les projections de l’Insee, elle devrait atteindre 28,2 ans à 60 ans en 2060, soit 6,2 ans de plus qu’en 1993. Mais l’allongement de la durée de cotisation à 41,75 ans qui est programmé pour 2020 permet déjà de compenser un peu plus que les deux tiers de ce gain ! Certes, il s’agit de l’hypothèse basse retenue par l’Insee. Mais compte tenu des ravages causés par le stress, la pollution, la malbouffe ou encore le tabagisme féminin, il n’est pas absurde de se baser sur ce scénario. D’autant que cette espérance de vie à 60 ans a déjà diminué d’un mois pour les hommes et de deux mois pour les femmes en 2012. Il faut cependant rester prudent : cette baisse s’explique avant tout par un hiver particulièrement rigoureux et, pour le moment, rien n’indique que la tendance se poursuivra. Mais dans un contexte aussi incertain, on aurait pu au minimum attendre avant de décider s’il fallait aller plus loin en matière de durée de cotisation.

Zoom Des mesures de compensation insuffisantes

Le projet de loi du gouvernement prévoit d’améliorer la prise en compte des périodes de temps partiel et d’apprentissage, pour compenser le passage à 43 ans de cotisation. Pas de quoi, cependant, faire passer la pilule. D’autant que ces mesures ne seront pas rétroactives et ne monteront en charge que très progressivement. Quant à la possibilité offerte aux jeunes actifs de racheter rapidement une année de cotisation à la fin de leurs études, elle ne devrait avoir qu’un impact très limité. Seuls les jeunes qui peuvent compter sur l’aide financière de leurs parents s’offriront cette opportunité. Les autres ont d’autres priorités à cet âge-là. Notamment se loger.

En prenant cette décision, le gouvernement alimente la désillusion des jeunes générations, persuadées qu’au rythme où vont les réformes, elles ne toucheront jamais de retraite. Cette crainte est infondée - le système des retraites n’est pas menacé à moyen terme2 -, mais elle peut pousser les jeunes à vouloir remettre en cause l’ensemble du système par répartition. A quoi bon en effet être solidaire en payant les pensions des retraités actuels, s’ils sont eux-mêmes convaincus qu’ils n’y auront jamais droit...

  • 1. Evidemment, tout dépend où l’on place le curseur de départ. Le chemin déjà parcouru permet de compenser les gains d’espérance de vie enregistrés depuis 1980, soit depuis l’instauration de la retraite à 60 ans.
  • 2. Sur ce point, voir notre dossier "Retraites : faut-il encore une réforme ?", Alternatives Economiques n° 325, juin 2013, disponible dans nos archives en ligne.

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