Dossier

La nouvelle donne internationale

6 min

Hausse du prix du pétrole, essor du gaz de schiste, déclin du nucléaire..., les mutations du paysage énergétique mondial affectent lourdement la France.

C’est un mythe qui a la vie dure. Grâce au nucléaire, la France aurait réussi à contenir sa dépendance énergétique. De fait, l’atome assure 75,8 % de la production électrique hexagonale, une proportion sans équivalent dans le monde, et il couvre 42,9 % des besoins d’énergie primaire* de l’Hexagone. Avec une production d’origine renouvelable qui couvre 9,3 % des besoins et une production nationale d’hydrocarbures très marginale (environ 3,3 % de la demande), la France serait donc à moitié autosuffisante. C’est du moins ainsi que les statistiques officielles présentent la situation1. En réalité, le combustible nucléaire est importé dans sa quasi-totalité. Et même si l’uranium pèse peu dans la facture énergétique de la France (voir graphique page 69), des sites stratégiques pour l’approvisionnement hexagonal, comme ceux exploités par Areva au Niger, sont soumis à un fort aléa politique. Vu sous cet angle, le véritable taux d’indépendance énergétique de la France tombe à 12,6 %. C’est dire à quel point la sécurité énergétique hexagonale - et sa sécurité tout court - repose sur des bases très fragiles. A commencer par le poids des hydrocarbures importés : en 2012, le pétrole et le gaz représentaient respectivement 42 % et 21 % de la consommation finale de la France.

Production et importations nettes d’énergie primaire en 2012, en millions de tonnes équivalent pétrole

Le pétrole à 100 dollars

Or, depuis le tournant du siècle, le monde du pétrole à moins de 20 dollars le baril (de 1986 à 1999) a définitivement sombré. Nous sommes entrés dans un monde à 100 dollars le baril. Pour la France, cela a signifié une explosion de sa facture énergétique : elle a atteint un record de 69 milliards d’euros en 2012. Cela représente 3,5 % du produit intérieur brut (PIB). En 1999, la facture s’élevait à 15 milliards (exprimés en euros de 2012), soit 1 % du PIB. Cet alourdissement équivaut à la hausse des prélèvements obligatoires depuis 2010.

Le niveau des prix du pétrole n’a aucune raison de baisser à l’avenir. Il traduit en effet la tension entre, d’une part, une demande mondiale qui ne cesse de progresser, tirée désormais par les pays émergents, Chine en tête, et d’autre part, une offre qui certes continue aujourd’hui de suivre, mais avec des difficultés accrues. Les ressources dites conventionnelles, les plus aisées et les moins coûteuses à exploiter, représentent le gros de la production mondiale, mais elles commencent à donner des signes d’épuisement. Et les pays du Golfe, inquiets de ce déclin annoncé, n’ont aucun intérêt à investir pour accroître leur production journalière, ce qui ferait chuter les cours.

Ces cours durablement élevés permettent, en revanche, une exploitation profitable des ressources dites non conventionnelles. Leur extraction est beaucoup plus complexe, coûteuse (et polluante), mais les réserves sont abondantes et leur répartition rebat les cartes de la géopolitique du pétrole : sables bitumineux du Canada, pétrole enfermé dans la roche mère (pétrole de schiste) aux Etats-Unis, offshore ultraprofond au Brésil... Le niveau actuel des prix traduit ainsi l’installation d’un nouvel équilibre mondial, où la montée en force de la production non conventionnelle prend progressivement le relais des gisements classiques.

Toutefois, sur cette toile de fond, la tension entre offre et demande reste extrêmement forte. Tout événement politico-militaire affectant une région de production peut entraîner de brutales hausses des prix. Ce fut le cas, fin 2011, avec les menaces de l’ancien président iranien Mahmoud Ahmadinejad de bloquer le détroit d’Ormuz, par où transite 20 % du commerce pétrolier. Ou, au début du mois dernier, lors du débat sur une intervention militaire contre la Syrie, à l’occasion duquel les prix à la pompe ont augmenté de 1 à 2 centimes en une semaine.

La pression du gaz de schiste

Dans ce contexte, les pressions pour exploiter le pétrole et le gaz de schiste en France s’accentuent. L’Hexagone est en effet le pays européen a priori le mieux doté. Ses réserves sont estimées à dix ans de sa consommation actuelle pour le pétrole et à quatre-vingt-dix ans pour le gaz.

Ces pressions sont renforcées par les conséquences de l’essor du gaz de schiste aux Etats-Unis. Les volumes mis sur le marché atteignent le tiers de la production nationale et ont permis au pays d’atteindre quasiment son autosuffisance gazière. Du coup, les prix outre-Atlantique ont été divisés par plus de deux depuis 2008. En Europe, au contraire, ceux-ci ne cessent d’augmenter, car l’approvisionnement de l’Union est essentiellement fondé sur des contrats de long terme passés avec les pays fournisseurs, au premier rang desquels la Russie, et dont la caractéristique est d’être indexés sur les cours du pétrole. Résultat, depuis 2008, les prix du gaz de part et d’autre de l’Atlantique connaissent des évolutions divergentes, atteignant aujourd’hui un écart de 1 à 3. La Russie résistant aux efforts des électriciens européens pour renégocier leurs contrats à la baisse et Washington freinant le développement d’infrastructures de liquéfaction et de transport visant à exporter du gaz américain vers l’Europe, ce différentiel des prix ne sera pas résorbé de sitôt. Il affecte en particulier la compétitivité des entreprises européennes par rapport à leurs concurrentes américaines qui achètent, grâce au gaz de schiste, une électricité bon marché.

Du coup, la France doit-elle exploiter son gaz de schiste ? Pas évident. D’abord, au-delà de la dégradation des paysages dans les zones d’extraction, qui relève de choix sociétaux et nécessiterait une délibération démocratique, les techniques d’exploitation ne présentent pas aujourd’hui de garanties environnementales acceptables, qu’il s’agisse de leurs impacts locaux (pollutions des nappes phréatiques) ou globaux (rejets non maîtrisés de méthane - un puissant gaz à effet de serre - dans l’atmosphère). Ensuite, cette option entraînerait un accroissement sensible des émissions de CO2 hexagonales puisque le gaz ne viendrait pas en substitution du charbon comme c’est le cas aux Etats-Unis. Eviter ces émissions nécessiterait de recourir à la capture et au stockage du CO2, une technologie coûteuse et qui n’a pas encore fait ses preuves. Enfin, se lancer aujourd’hui dans l’exploitation du gaz de schiste aurait pour effet très probable d’affaiblir et de différer encore les efforts - aujourd’hui très insuffisants - pour réaliser des économies d’énergie et développer des sources d’énergie renouvelables.

L’avenir compromis du nucléaire

Les impacts de la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis ne s’arrêtent pas là. La chute des prix du gaz y a en effet entraîné l’arrêt des investissements dans le nucléaire. EDF essuie en Amérique revers après revers et se désengage aujourd’hui de ses actifs dans ce qui est de loin le premier parc nucléaire mondial. C’est un nouveau coup dur pour l’Hexagone, dont les espoirs d’exporter son savoir-faire et de rééquilibrer ses comptes extérieurs grâce au nucléaire n’ont jamais paru si vains. La Chine, principal marché en croissance, dispose de ses propres capacités technologiques. Et elle pourrait connaître la même évolution que les Etats-Unis si elle se mettait à exploiter ses gisements colossaux de gaz de schiste. De leur côté, les autres pays émergents trouvent à s’équiper moins cher qu’en France, laquelle a perdu fin 2009, au profit de la Corée du Sud, un contrat géant aux Emirats arabes unis. Tout ceci sans compter avec la catastrophe de Fukushima, qui a refroidi les ardeurs des investisseurs dans le monde entier, alors que les coûts des énergies renouvelables se rapprochent de ceux du nucléaire. S’il reste arc-bouté sur ses choix passés, l’Hexagone aura bien du mal à s’adapter à la nouvelle donne énergétique mondiale.

Facture énergétique de la France (en milliards d’euros) et cours moyen du baril de pétrole (en dollars, à prix courants)
* Energie primaire

Total de l'énergie utilisée, qui comprend l'énergie finale (celle consommée par les usagers), les pertes de conversion (lorsqu'on produit de la chaleur pour la convertir en électricité) et de transport.

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