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Transition énergétique : yes, we can !

7 min

La France a pris beaucoup de retard, mais elle pourrait diviser par deux ses consommations d'ici à 2050 et développer enfin les renouvelables. A condition que la volonté politique soit suffisante et constante.

Après le faux départ du Grenelle de l’environnement en 2007, la France va-t-elle enfin s’engager dans la transition énergétique ? La volonté politique semble encore bien incertaine, dans un contexte où le souci de limiter les dépenses publiques et les coûts pour les entreprises incite à repousser à plus tard les investissements nécessaires pour préparer l’avenir. Pourtant il y a urgence, compte tenu de l’important retard pris par l’Hexagone dans ce domaine.

La France, lanterne rouge

Depuis trente ans maintenant, la France n’a plus guère "chassé le gaspi" : elle n’a réduit l’intensité énergétique de son produit intérieur brut (PIB), c’est-à-dire la quantité d’énergie qu’il faut mobiliser pour produire un euro de richesse, que de 13 % depuis 1991, soit en moyenne 0,6 % par an. Alors que dans le même temps cette efficacité progressait d’un tiers dans l’Union européenne et d’un quart dans la zone euro. Au début des années 1990, il fallait à peu près autant d’énergie pour produire un euro de richesse en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. En 2010, il en fallait 7 % de plus chez nous qu’outre-Rhin (bien que l’industrie pèse deux fois plus dans le PIB de notre voisin) et un tiers de plus qu’outre-Manche. En Europe, seuls le Portugal, l’Autriche et l’Italie ont fait encore moins d’efforts en la matière.

Or, dans le récent débat national sur la transition énergétique, c’est un des (rares) points sur lequel tout le monde est tombé d’accord : pour tenir nos engagements européens et diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, il faut en priorité agir sur l’efficacité énergétique. Cela implique d’améliorer cette efficacité de 2,5 % par an d’ici à 2030, au lieu de 0,6 %. Quatre fois plus, un sacré coup d’accélérateur.

Intensité énergétique du PIB en kg d’équivalent pétrole pour 1 000 euros de PIB, aux prix de 2005

De même, la France a été jusqu’ici une des principales lanternes rouges des énergies renouvelables en Europe. Depuis 2004, leur part dans la consommation n’a augmenté que de 2,2 points dans l’Hexagone, contre 4,9 en moyenne en Europe, mais aussi 7,1 en Allemagne et plus de 8 au Danemark, en Autriche et en Suède. Seuls le Luxembourg, Malte et la Lettonie ont fait encore moins d’efforts que nous. La France a pris du coup un retard considérable sur les objectifs auxquels elle s’est engagée : en 2020, les renouvelables devraient peser 23 % de notre mix énergétique*. Mais sept ans avant cette échéance, il reste encore la moitié du chemin à faire. Aucun autre pays européen n’a à donner un coup de collier aussi important.

Les passoires thermiques

Comment mener cette transition ? L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) a produit un scénario décrivant l’avenir possible de la France à l’horizon 2030 et 2050. Il en existe d’autres, notamment celui élaboré par l’association NegaWatt (voir "En savoir plus"), mais le travail de l’Ademe est à la fois le plus récent et le plus détaillé. L’Agence considère que, malgré l’augmentation prévisible de notre population de 63 millions aujourd’hui à 74 millions en 2050 et une croissance de l’activité économique qui se maintiendrait à 1,8 % par an en moyenne, nous pourrions diviser par presque deux nos consommations d’énergie d’ici à 2050 (et la réduire déjà d’un cinquième d’ici à 2030 avec les technologies existantes). Un objectif repris à son compte par François Hollande lors de la Conférence environnementale du 20 septembre dernier. Nous devrons en tout cas le faire pour réaliser "le facteur 4**", c’est-à-dire la division par 4 de nos émissions de gaz à effet de serre.

Part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale et écart vis-à-vis de l’objectif européen pour 2020, en points de pourcentage

C’est du côté des logements qu’existent les plus gros potentiels d’économie. Le résidentiel pèse aujourd’hui un tiers de nos consommations. En rénovant d’ici à 2030 tous les logements sociaux et 5 millions de maisons individuelles, soit en moyenne 500 000 logements par an, on pourrait déjà réduire d’un quart cette consommation (avant de la réduire de moitié d’ici à 2050). Il faut parallèlement encourager les pompes à chaleur, les chaudières gaz à condensation et les chauffe-eau thermodynamiques.

Consommations énergétiques par secteur, en Mtep
Production d’énergie primaire, en Mtep

Du côté de la consommation d’électricité, l’usage d’appareils domestiques plus performants et la limitation des systèmes de veille intempestifs risquent cependant de voir leurs effets positifs annihilés par le développement de nouveaux usages liés notamment aux technologies de l’information et de la communication . La poursuite probable de la tertiarisation de l’économie limite aussi les gains potentiels du côté des bureaux. Grâce à la rénovation thermique et à l’usage d’équipements plus performants, on devrait cependant pouvoir réduire leur consommation de 16 % d’ici à 2030 et de 30 % d’ici à 2050.

Les sacro-saints transports

Autre chantier lourd : les transports. Ils pèsent autant que le résidentiel. L’Ademe pense possible de réduire leurs consommations de 19 % d’ici à 2030. Les déplacements ne diminueraient pas, mais l’usage de la voiture individuelle reculerait sensiblement en ville (de 76 % à 54 % des déplacements) et dans les zones périurbaines (de 84 % à 61 %), au profit des véhicules en libre-service, des transports collectifs et du vélo. Parallèlement, les progrès des motorisations thermiques et le développement des véhicules hybrides devraient permettre de ramener les émissions de gaz à effet de serre de 167 g de CO2 par km en 2010 en moyenne à 100 en 2030 (les véhicules neufs émettent aujourd’hui 127 g de CO2 par km en moyenne ; en 2030, ils n’en rejetteraient plus que 49).

D’ici à 2050, l’Ademe envisage un saut plus radical avec une division par trois des consommations des transports par rapport à aujourd’hui. Le parc automobile serait ramené à cette échéance à 22 millions de véhicules, au lieu de 35 actuellement, et l’usage des véhicules individuels classiques ne représenterait plus que 20 % des déplacements urbains. Malgré le report d’une partie du trafic vers le fer et le fluvial, le transport de marchandises par route continuerait par contre à progresser d’ici à 2030 dans le scénario de l’Ademe, avant de s’infléchir avant 2050.

Enfin, du côté de l’industrie, qui pèse aujourd’hui un cinquième du total des consommations d’énergie, celles-ci baisseraient en moyenne de 20 % par unité produite d’ici à 2030. Mais la hausse de la production que l’Ademe a intégrée à son scénario compense en bonne partie ces économies. Au total, la consommation du secteur ne reculerait que de 9 % en 2030.

Des effets positifs attendus

Comment ces évolutions se traduiraient-elles du côté de l’offre d’énergie ? La production d’énergie primaire*** baisserait d’un tiers. Les énergies renouvelables, qui ne pesaient que 12 % du mix énergétique français en 2010, en représenteraient 35 % en 2030, avant de monter à 55 % en 2050. Ce qui permettrait de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 et de 75 % en 2050 par rapport à leur niveau de 1990 (le fameux facteur 4). Ce sont surtout l’éolien, le biogaz, les agrocarburants et la géothermie qui se développeraient, tandis que la production nucléaire, qui ne serait plus à l’origine que de 50 % de l’électricité produite, serait divisée par deux d’ici à 2030. On pourrait donc, avec les technologies actuellement disponibles, faire des progrès rapides vers une économie plus soutenable dès 2030.

Mais tout cela n’est-il pas très coûteux et nocif pour l’activité ? L’Ademe a fait tourner un modèle macroéconomique qui permet de comparer les effets d’un tel scénario volontariste à celui d’un scénario dit "tendanciel", impliquant simplement la poursuite des politiques actuelles. Il en résulte un surcroît d’activité de 1,9 point de PIB en 2030 et 330 000 emplois en plus, si on engage résolument la transition énergétique. Ce gain est porté à un ordre de grandeur de 800 000 postes de travail en 2050. Dans un premier temps, le déficit extérieur s’accroît cependant parce qu’il faut importer de nombreux équipements que la France ne fabrique pas, mais à partir de 2020, il décroît malgré la forte hausse anticipée des prix de l’énergie fossile, grâce au recul de la consommation. Au bout du compte, le pouvoir d’achat des ménages augmente de 100 milliards d’euros en 2050 (5 points du PIB actuel) par rapport au scénario de référence.

"La transition énergétique peut être une opportunité"

N’est-ce pas cependant une vision optimiste, biaisée par une agence qui a pour vocation de "vendre" l’environnement aux Français ? Les experts réunis dans le cadre du débat national sur la transition énergétique, qui étaient loin de n’être que des écolos convaincus, ont examiné de près l’ensemble des scénarios disponibles, dont celui de l’Ademe. Ils ont estimé au final "le besoin d’investissement cumulé à environ 2 000 milliards d’euros d’ici à 2050" (y compris les investissements qu’il faudrait de toute façon réaliser, même sans transition énergétique). Soit de l’ordre de 60 milliards d’euros par an, 3 points de PIB. En 2012, l’investissement en matière d’énergie était déjà de 40 milliards d’euros, il suffirait donc de l’accroître en gros d’un point de PIB par an pour lancer cette transition. Parallèlement, poursuivent-ils "l’ensemble des scénarios montre une nette réduction du déficit énergétique extérieur, avec une réduction cumulée jusqu’en 2050 allant jusqu’à 3 000 milliards d’euros". Conclusion : "Tous les scénarios remboursent les investissements par la réduction du déficit énergétique extérieur."Just do it...

* Mix énergétique

Répartition des différentes sources d'énergies dans la production totale.

** Facteur 4

Engagement pris en 2003 de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre du pays à l'horizon 2050.

*** Energie primaire

énergie disponible dans la nature avant transformation.

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