En finir avec l'économie du sacrifice

par Henri Guaino Odile Jacob, 2016, 670 p., 22,90 euros.

Vous ne vous trompez pas. Nous avons bien décidé ce mois-ci de mettre à l’honneur le nouveau livre du député LR Henri Guaino, l’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy. La raison en est simple : c’est l’un des livres de réflexion économique les plus passionnants de ces derniers mois.

Hors présidentielle

Oui, bien sûr, l’ouvrage est trop long, personne n’est constamment intelligent sur 658 pages et certains chapitres sont redondants. Oui encore, on peut chicaner l’auteur sur de nombreux points : il laisse trop de place à Milton Friedman sur le rôle de la banque centrale américaine dans les années 1930 ; il nous dit que Ronald Coase a été le premier économiste à penser l’entreprise en 1937, oubliant le classique d’Adolf Berle et Gardiner Means publié cinq ans auparavant et tout le travail de John Rogers Commons et Thorstein Veblen, sans même parler de Karl Marx. On pourra aussi moquer la vulgate libérale typique qui mesure l’épaisseur de notre code du travail (l’allemand est plus gros) ou de notre code des impôts (l’anglais est beaucoup plus gros). Et aussi contester son refus de l’impôt progressif et d’autres choses encore.

Mais on est surtout confronté à un livre argumenté, proposant un nombre considérable de réflexions économiques. Il est à des années-lumière de la production politique typique d’une présidentielle. Chaque chapitre est nourri de longues citations, aussi bien de John Maynard Keynes que de Léon Walras, de David Ricardo que de John Stuart Mill, de Jean-Baptiste Say que d’Emile Durkheim, d’Amartya Sen que de Maurice Allais... Autant d’auteurs qu’un docteur en économie et même plusieurs prix de la Banque de Suède n’ont jamais lus... Le tout dans un style limpide et qui parfois ne manque pas de souffle, une chose rare en économie.

Erreur sur la personne

Les lecteurs de ce mensuel ne seront pas dépaysés par les thèses d’Henri Guaino... qui semble s’être trompé de famille politique ! Il défend la possibilité de l’intervention de l’Etat dans une économie mondialisée ; il conteste la course à l’austérité et à la réduction des dettes publiques ; il développe la nécessité de prendre en compte les psychologies individuelles et collectives dans la définition des politiques publiques ; il réfute les vertus innées de la concurrence, dénonce les mécanismes de la spéculation financière, etc. Il n’affirme pas, mais explicite les arguments, discute, compare les thèses des différents économistes. Il se confronte aux débats contemporains sur la stagnation séculaire, sur le début ou non de démondialisation, etc.

La cible du livre est l’orthodoxie économique ambiante, qui conduit inexorablement à une "économie du sacrifice", censée être justifiée, à l’image des positions d’un Jean Tirole, par "la" science économique. "Que les échecs de l’orthodoxie s’accumulent n’y change rien : l’orthodoxie a raison, c’est scientifique. Ce qui contredit l’orthodoxie n’est pas scientifique. On ne brûle plus les hérétiques sur les bûchers de l’Inquisition. Mais on les excommunie toujours. " C’est finalement un appel à un débat démocratique sur l’économie que réclame ce livre. Et par les temps qui courent, ça fait du bien.

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