La formation continue profite aux mieux formés

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Censée offrir une seconde chance, la formation continue profite d'abord aux plus qualifiés et aux personnes les mieux insérées sur le marché du travail.

L’emploi va aux mieux formés et la formation aux mieux employés. Ce cercle vicieux marque les limites de la formation professionnelle continue. Certes, trente-cinq ans après l’adoption de la loi de 1971, qui a permis son essor en imposant aux employeurs d’y affecter une part de leur masse salariale, le tableau n’est pas totalement sombre. En 2003, les entreprises et les pouvoirs publics lui ont consacré 23 milliards d’euros (apprentissage inclus), soit l’équivalent de 20 % de la dépense intérieure d’éducation*.

D’après les résultats de la dernière grande enquête " Formation continue 2000 " menée par le Céreq, le Centre d’études et de recherches sur les qualifications1, six millions de salariés - et quelque 670 000 demandeurs d’emploi - avaient suivi une formation entre janvier 1999 et février 2000, soit 29 % des salariés, contre 19 % en 1992-1993. Et 12 % des ouvriers non qualifiés y avaient eu accès, alors qu’ils n’étaient qu’une poignée sept ans plus tôt. Mais les inégalités restent si marquées qu’il faudra du temps avant que les récentes réformes ne portent, éventuellement, leurs fruits.

L’accès à la formation professionnelle reste en effet fortement dépendant de la qualification de l’emploi : ainsi, 46 % des cadres avaient suivi au moins une formation entre janvier 1999 et février 2000, contre 20 % des ouvriers qualifiés et 12 % des ouvriers non qualifiés. Il reste également très dépendant des diplômes acquis à la sortie de la formation initiale : le taux de formation des salariés ayant un niveau bac +3 minimum était de 44 %, mais seulement de 15 % pour ceux n’ayant aucun diplôme ou uniquement le certificat d’études. Et si, au global, il n’y a pas d’écart entre hommes et femmes, les ouvrières et les employées accèdent moins à la formation que leurs homologues masculins, alors que c’est l’inverse pour les cadres ou professions intermédiaires. En cause, le poids des contraintes familiales et du travail domestique, auquel les premières semblent moins pouvoir déroger que les secondes, pour des raisons financières notamment.

Zoom Le financement de la formation continue

23 milliards d’euros ont été consacrés à la formation professionnelle en 2003. 41 % des dépenses ont été faites par les entreprises. La loi leur impose en effet d’y affecter une part de leur masse salariale : 1,6 % pour les entreprises de 10 salariés et plus (mais leurs dépenses sont en moyenne supérieures au minimum obligatoire : 2,88 %) ; 0,55 % pour les autres.

Le second financeur est l’Etat, qui finance la formation de ses propres agents (13 % du total général) et consacre des crédits (20 %) aux jeunes (apprentissage, etc.), aux demandeurs d’emploi et aux salariés du secteur privé. Suivent les régions (9 %), l’Unedic et les autres administrations publiques (5 %), ainsi que les bénéficiaires des formations eux-mêmes, qui financent 3 % des dépenses.

L’accès à la formation augmente également avec l’ancienneté dans l’entreprise - le taux de formation d’un salarié ayant vingt ans d’expérience passe de 19 % à 38 % selon qu’il travaille dans son entreprise depuis cinq ou dix ans -, mais il diminue avec l’ancienneté sur le marché du travail, particulièrement en fin de carrière, les employeurs rechignant à investir sur de futurs retraités. De même, le taux de formation varie du simple au triple entre les entreprises de moins de dix salariés (15 %) et celles de 500 ou plus (45 %). Pour au moins deux raisons : la contribution minimale obligatoire des petites entreprises est environ trois fois plus faible que celle des grandes et l’absence d’un salarié, même pour une période courte, y est plus difficile à gérer. Enfin, à catégorie socioprofessionnelle donnée, plus l’intensité technologique d’un secteur d’activité est élevée, plus la formation y est intensive.

Les travailleurs précaires moins formés

Bénéficier de formations est sans doute plus indispensable pour les travailleurs dont le parcours professionnel est marqué par la précarité que pour les salariés bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Or, les résultats d’une récente étude menée par Coralie Perez et Gwenaëlle Thomas, du Céreq2, montrent que, toutes choses égales par ailleurs (catégorie socioprofessionnelle, âge, etc.), le taux de formation sur deux ans des précaires est de 36 % entre mars 1998 et mars 2000, contre 46,5 % pour les salariés en poste stable. En revanche, ils suivent globalement des sessions plus longues.

Mais ce constat ne vaut pas pour toutes les catégories de précaires : les chômeurs " récurrents " peuvent bénéficier de formations longues, liées à une reconversion professionnelle, à l’apprentissage d’un métier ou à la préparation d’un diplôme ; en revanche, les travailleurs dont le parcours est dominé par l’emploi flexible (contrat à durée déterminée, intérim...) restent souvent cantonnés à des sessions de courte durée d’adaptation au poste. Au final, les salariés les plus exposés à la mobilité " ont à la fois moins de chances d’accéder à une formation financée par l’employeur que leurs homologues stables, et peu d’opportunités de suivre une formation qualifiante financée par l’Etat ", résument les deux chercheuses. Et dans tous les cas, là encore, la probabilité de suivre une formation, quelle que soit sa durée, diminue avec le niveau de formation initiale.

Les salariés les moins diplômés ressentent-ils moins la nécessité d’accéder à la formation continue ? Seuls 17 % des ouvriers déclarent avoir des besoins de formation qui ne sont pas satisfaits, contre 29 % des cadres, alors même que le taux de formation des premiers est trois fois moindre ! Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Les salariés les moins qualifiés sont beaucoup moins bien informés sur les possibilités existantes. Et plus encore que chez les cadres, l’une de leurs principales motivations pour suivre une formation est le bénéfice financier qu’ils espèrent en retirer.

Or, cet espoir est souvent déçu : seuls 5 % des formés déclarent que leur rémunération a augmenté à l’issue de la session. Comme le dit Christine Fournier, chercheuse au Céreq, " l’inégale appétence des salariés pour la formation renvoie bel et bien à des conditions sur lesquelles il est possible de jouer " : elle dépend notamment de l’information qu’ont les salariés sur la formation et du bénéfice explicite qu’ils peuvent en tirer3. Mais les employeurs tiennent peu compte de ces éléments. Ils tendent à privilégier l’investissement de la formation sur les salariés qui occupent les positions les plus élevées ou qui sont les mieux insérés dans l’entreprise - essentiellement sur des formations courtes -, car ils considèrent cela comme plus " rentable ".

Si les entreprises ont ainsi pu truster la formation continue à leur profit, c’est notamment parce que, pendant longtemps, les partenaires sociaux ne l’ont pas considérée comme un enjeu majeur. Pas plus que l’Etat, qui voyait avant tout dans les stages un instrument pour diminuer les chiffres du chômage. Toutefois, afin de créer " les conditions d’une nouvelle mobilisation " sur la formation continue, les partenaires sociaux ont signé en septembre 2003 un accord national interprofessionnel, qui a ensuite été repris par la loi du 4 mai 2004. Le texte confie aux branches professionnelles un véritable rôle de pilote, en leur fixant l’obligation " de se réunir au moins tous les trois ans pour négocier sur les objectifs, les priorités et les moyens de la formation professionnelle et en particulier sur la réduction des inégalités d’accès ".

DIF et VAE vont dans le bon sens

Il crée également un droit individuel à la formation (DIF), ouvrant à tout salarié en CDI ou en contrat à durée déterminée (CDD) la possibilité de suivre 20 heures de formation par an, sur le thème de leur choix, sous l’importante réserve toutefois du consentement de leur employeur. Et l’accord prévoit que tout salarié bénéficiera, au moins tous les deux ans, d’un entretien avec son employeur pour discuter de son projet professionnel et des actions de formation. Des mesures qui vont dans le bon sens. Reste à voir comment elles seront appliquées et quelle sera leur portée réelle.

La validation des acquis de l’expérience (VAE) a également un rôle important à jouer et peut devenir une alternative à la formation pour les moins qualifiés. Créée par la loi de janvier 2002, elle permet à toute personne ayant au moins trois ans d’expérience professionnelle de valider un diplôme ou un titre correspondant à cette expérience, sans avoir à suivre de formation. En 2004, plus de 36 000 personnes sont passées devant un jury de VAE4. La moitié d’entre elles a obtenu la totalité du diplôme visé, la plupart des autres n’ayant validé qu’une partie du diplôme.

Taux d’accès des salariés à la formation entre janvier 1999 et février 2000, en %

Ces chiffres sont loin d’être marginaux, rapportés aux 100 000 certifications dispensées annuellement dans le cadre de la formation professionnelle continue. Surtout, la VAE profite plus que la formation continue aux précaires et aux chômeurs, ainsi qu’aux personnes peu ou pas qualifiées. En 2004, un tiers des candidats à la VAE étaient demandeurs d’emploi et deux tiers postulaient à des diplômes de niveau CAP-BEP ou bac professionnel.

  • 1. Reprise dans " La formation en entreprise continue de se développer ", par Dominique Goux et Philippe Zamora, Insee première n°759, février 2001, disponible sur www.insee.fr
  • 2.  " Trajectoires d’emploi précaire et formation continue ", Economie et statistique n°388-389, Insee, juin 2006.
  • 3.  " Aux origines de l’inégale appétence des salariés pour la formation ", Bref n°209, Céreq, juin 2004, disponible sur www.cereq.fr
  • 4. Voir " La VAE, quels candidats pour quels diplômes ? ", par Chantal Labruyère, Bref n°230, Céreq, mai 2006.
* dépense intérieure d'éducation

Toutes les dépenses effectuées sur le territoire national par l'ensemble des administrations, entreprises et ménages, pour les activités d'éducation (enseignement scolaire et extra-scolaire, cantine, transport, fournitures, livres...), non compris la formation professionnelle continue.

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