Pourquoi le chômage baisse-t-il ?

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Le chômage diminue grâce à l'effet conjugué de l'activité économique, des politiques d'emploi et de la démographie. Mais les emplois créés ne sont pas tous de qualité.

Le chômage a sensiblement diminué depuis un an et demi en France. Sans doute pas autant que ne l’indiquent les statistiques officielles, mais néanmoins dans des proportions sensibles. Plusieurs raisons peuvent rendre compte de cette évolution. Le retournement démographique, tout d’abord, mais il ne suffit pas à expliquer toute l’évolution. Il y a bien eu des créations d’emplois, même si ces emplois qui ont permis de sortir du chômage sont trop souvent de piètre qualité : soit ils sont temporaires et se traduisent alors par un retour à la case ANPE au bout d’un certain temps, soit ils sont à temps partiel et ne permettent pas de vivre décemment.

ANPE ou Insee

Il existe deux manières de mesurer le chômage. Soit à partir du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE, dont le chiffre est connu chaque fin de mois (les DEFM, demandeurs d’emploi en fin de mois). Soit à partir d’une enquête trimestrielle de l’Insee, l’enquête emploi, qui porte sur 70 000 personnes. Elle utilise les critères du Bureau international du travail (BIT) pour déterminer qui est " véritablement " au chômage : il faut pour cela être sans emploi, à la recherche effective d’un emploi et immédiatement disponible pour l’occuper s’il s’en présente un. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE (toutes catégories confondues) est donc supérieur au nombre de chômeurs au sens du BIT. Reste que les deux chiffres ont sensiblement diminué depuis mai 2005.

Zoom La démographie a-t-elle un effet sur le chômage ?

Nombre d’économistes contestent l’idée que le chômage puisse dépendre de la démographie. Pour eux, tout travailleur supplémentaire doté d’un potentiel productif " normal " (formation, intelligence, courage...) qui arrive sur le marché du travail suscite de la croissance supplémentaire. Car, dans l’économie de marché, si l’efficacité et la fiabilité de ce travailleur sont avérées, il se trouvera forcément un employeur pour l’embaucher, afin de profiter de cette richesse supplémentaire qu’est capable de créer le travail humain. Si le travailleur ne trouve pas à s’embaucher, c’est donc forcément parce que sa productivité est insuffisante, ses exigences excessives ou que le dynamisme du marché est bridé par des règles inadaptées, par exemple défavorisant la création d’entreprise.

C’est omettre que la croissance et l’emploi dépendent surtout du niveau de l’innovation, des investissements et de la demande. Donc de la politique macroéconomique. Si la réduction du coût salarial peut inciter à l’embauche, la paupérisation salariale qui en résulte peut aussi avoir pour effet de freiner la demande et de décourager les travailleurs, donc de ralentir la croissance et... l’emploi. Car ce dernier ne dépend pas seulement de variables microéconomiques (salaire, productivité individuelle...), mais aussi de grandeurs plus globales.

Le nombre total de demandeurs d’emploi, qu’ils cherchent un emploi à durée déterminée, un temps partiel ou un emploi à durée indéterminée à temps plein, était de 3,8 millions en juillet 2005. Il est revenu à 3,4 millions en novembre 2006. Certes, une partie de ces demandeurs ont disparu des listes parce que, découragés ou ne trouvant que des emplois de mauvaise qualité, ils ont cessé de répondre aux convocations de l’ANPE ou de renvoyer leur fiche de situation mensuelle. Mais l’enquête effectuée chaque trimestre par l’ANPE auprès d’un échantillon de personnes sorties de ses listes montre que la proportion de ceux qui ont repris un emploi a plutôt eu tendance à augmenter, preuve que la baisse du nombre de demandeurs d’emploi n’est pas simplement une " magouille statistique "1. Parallèlement, le nombre de chômeurs estimé à partir de l’enquête emploi est lui aussi en baisse : 2,7 millions en juillet 2005, 2,37 millions en novembre 2006. Mais il ne s’agit là que d’estimations, que l’enquête emploi du 4e trimestre ne permet pas de confirmer en raison d’un nombre anormalement élevé de non-réponses. Ce qui a conduit l’Insee à reporter la traditionnelle révision des chiffres estimés à... juin prochain. Selon toute vraisemblance, la baisse à fin 2006 devrait être confirmée, mais son ampleur sera sans doute réduite, nul ne se risquant à dire de combien2.

Trois éléments explicatifs

Trois explications sont possibles. La dimension économique : l’activité a permis de créer de nouveaux emplois " normaux " (c’est-à-dire non financés partiellement ou totalement par la collectivité). L’explication sociale : les politiques d’emploi ont abouti à créer des emplois aidés en nombre croissant. L’explication démographique : les employeurs ont recruté davantage pour compenser des départs en retraite accrus.

L’explication économique a joué : au cours des cinq derniers trimestres (du 3e trimestre 2005 au 3e trimestre 2006 inclus), 170 000 emplois supplémentaires (+ 1,1 %) ont été créés dans l’ensemble des secteurs marchands, c’est-à-dire des secteurs vivant du produit de ce qu’ils vendent. Une performance plus forte que prévu, car, durant cette même période, la croissance de l’activité n’a guère été vigoureuse : + 2,6 %. Il s’est donc agi d’une croissance riche en emplois, c’est-à-dire en contrepartie pauvre en gains de productivité. C’était le cas, déjà, durant la période 1997-2001, mais c’était alors la conséquence de la politique de réduction du temps de travail ; désormais, cela résulte de l’atonie industrielle : l’industrie a perdu en effet 104 000 emplois, quand la construction en gagnait 68 000 et les services 205 000. A cela s’ajoute l’exceptionnelle vigueur des créations d’entreprises nouvelles (233 000 en 2006), le plus souvent très petites : pour la première fois depuis très longtemps, le nombre de travailleurs indépendants a recommencé à progresser.

L’explication sociale a fait son effet également : les emplois aidés (emplois temporaires financés par les collectivités publiques et destinés à des personnes en difficulté sur le marché du travail) ont progressé de 31 000, les emplois des organismes non marchands de 37 000. Ces créations d’emplois financées par la collectivité n’ont joué cependant qu’un rôle secondaire dans la réduction du chômage.

Enfin, la démographie a donné un sérieux coup de pouce. Entre 1995 et 2004, les générations qui partaient en retraite (60 ans) comptaient3 550 000 à 600 000 personnes, tandis que les générations qui arrivaient sur le marché du travail (22 ans) en comptaient de 750 000 à 800 000. Compte tenu des taux d’activité (proportion des personnes se portant sur le marché du travail) et des départs anticipés en retraite, cet écart de 200 000 personnes impliquait que la population active se gonflait chaque année de 150 000 personnes. Donc qu’il fallait créer autant d’emplois nouveaux avant que le chômage ne commence à diminuer. En 2005-2006, un retournement démographique s’est opéré : la génération entrante (22 ans en moyenne) compte 760 000 personnes, la génération sortante (60 ans en moyenne) en compte 800 000.

Celle-ci, il est vrai, comprend moins de personnes actives, du fait soit de dispenses de recherche d’emploi4, soit d’un moindre taux d’activité féminine. A cette inversion de flux, s’est ajouté le départ en retraite des 100 000 personnes à " carrières longues ", des salariés qui, bien qu’ils n’aient que 58 ans, ont déjà cotisé plus de 40 annuités parce qu’ils sont entrés sur le marché du travail entre 14 et 16 ans5. Compte tenu de l’imprécision portant sur les départs effectifs à la retraite, le flux sortant du marché du travail l’a donc emporté de 50 à 100 000 personnes sur le flux entrant durant les six trimestres qui nous intéressent. Et voilà pourquoi, en un an et demi, bien que l’on n’ait enregistré que 240 000 créations d’emplois, environ 300 000 personnes ont pu sortir du chômage, sans artifice statistique. Merci la démographie... et les carrières longues.

Des emplois de mauvaise qualité

Si la réalité de la baisse du chômage ne fait pas de doute, grâce en partie aux créations d’emplois, reste qu’une bonne part- difficilement chiffrable - de ces emplois consiste en emplois de mauvaise qualité. La nature du contrat de travail n’est pas seule en cause, car un contrat à durée indéterminée peut très bien être de mauvaise qualité, tandis que, à l’inverse, un contrat à durée déterminée peut déboucher (dans un tiers des cas) sur un emploi pérenne. Il s’agit aussi en priorité du revenu procuré par l’emploi, lequel dépend du salaire horaire et, surtout, du temps travaillé. Travailler moins de 23 heures hebdomadaires (23 heures étant la moyenne de temps d’emploi hebdomadaire des salariés à temps partiel) payées au Smic conduit à devoir vivre sous le seuil de pauvreté si l’on est le seul apporteur de revenu d’un foyer et, a fortiori, si l’on a un enfant à charge. C’était le cas de la plupart des emplois aidés et de plus de 500 000 emplois dans les entreprises en 2005. Cette problématique touche en particulier les services à la personne, où se situe près d’un tiers des emplois créés en 2005-2006. Or l’Etat aide fortement ces emplois (réduction de cotisations sociales et déductibilité fiscale de 50 % du coût salarial) ; il contribue ainsi à multiplier ces emplois de mauvaise qualité.

La mauvaise qualité, toujours, concerne aussi les emplois temporaires, parce que des périodes de chômage peu ou pas indemnisées s’intercalent fréquemment entre deux emplois : il faut en effet avoir travaillé au moins six mois au cours des deux années précédentes pour avoir droit à une indemnisation chômage. Le dernier rapport du Cerc montre que le dixième le moins bien loti des salariés voit l’écart de salaire qui le sépare du dixième le mieux loti multiplié par deux du fait des différences de temps travaillé, qu’il s’agisse du temps partiel ou des interruptions dues au chômage. En d’autres termes, les inégalités salariales pourraient être réduites de moitié si tout le monde pouvait travailler la même durée annuelle... Or, les contrats courts, voire très courts (moins d’un mois), se sont multipliés, contribuant à la paupérisation de nombre de salariés du fait de l’augmentation des interruptions d’emploi. A quoi bon multiplier les emplois si une partie croissante d’entre eux ne permet pas de vivre dignement et notamment de se loger ?

  • 1. Contrairement à ce qu’affirme par exemple Fabienne Brutus, dans son pamphlet Chômage, des secrets bien gardés (Jean-Claude Gawsewitch éditeur, mars 2006).
  • 2. On évoque ici ou là 0,13 million de chômeurs de plus que les 2,37 estimés, mais ces chiffres sont purement hypothétiques et paraissent un peu excessifs.
  • 3. Toutes les données chiffrées de cet article concernent la seule France métropolitaine.
  • 4. Demandeurs d’emploi âgés de plus de 57,5 ans qui ont l’autorisation de ne plus chercher d’emploi tout en percevant leurs indemnités chômage.
  • 5. C’était la contrepartie exigée par la CFDT pour signer l’accord de 2003 sur les retraites. A ce jour, environ 250 000 travailleurs en ont bénéficié. Mais les projections de population active de l’Insee n’en tiennent pas compte, estimant qu’il ne s’agit que de sorties anticipées d’un an ou deux : ce qui est en moins aujourd’hui ne le sera donc pas demain. C’est vrai si la période considérée est supérieure à deux ans, pas si elle ne porte que sur cinq trimestres.

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