L’euro sert-il à quelque chose ?

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La monnaie unique déçoit. Pourtant, malgré ses défauts, elle a permis une baisse des taux d'intérêt et éliminé les tensions monétaires antérieures à sa naissance.

Le 1er janvier dernier, l’euro a fêté le cinquième anniversaire de son arrivée dans nos porte-monnaie. Certes, l’euro était né sous forme virtuelle, dans les transactions de gros sur les marchés financiers et dans les comptes bancaires dès le 1er janvier 1999, mais c’est le 1er janvier 2002 que les citoyens des Etats (11 à l’époque) retenus pour entrer dans la monnaie unique ont pu utiliser les billets et les pièces.

Un scepticisme croissant

Or, l’ambiance de ce cinquième anniversaire n’est pas à la fête chez ces citoyens. Selon l’enquête Eurobaromètre effectuée chaque année à la demande de la Commission dans les pays de la zone euro, 59 % des personnes jugeaient l’adoption de l’euro " globalement avantageuse " en septembre 2002, mais ils n’étaient plus que 48 % à avoir cette opinion en 2006. Dans le même temps, ceux qui estiment cette adoption " globalement désavantageuse " sont passés de 29 % en 2002 à 38 % en 2006. En France, selon un sondage réalisé en novembre et publié récemment par Le Pèlerin, 52 % des Français estiment que l’euro est une mauvaise chose.

Quelles raisons peuvent expliquer cette déception croissante ? D’abord, et en dépit des chiffres d’inflation publiés par les organismes de statistiques (en France, l’Insee), les citoyens européens continuent d’estimer, à une majorité écrasante (93 %, dans l’Eurobaromètre 2006 comme dans celui de 2005), que l’euro a poussé les prix à la hausse. Cette différence entre l’inflation perçue et l’inflation officielle tient notamment au fait que les indices de prix ne se limitent pas aux dépenses quotidiennes (comme l’alimentation), mais tiennent aussi compte d’achats moins fréquents, comme la micro-informatique, dont les prix sont sur une tendance à la baisse.

Il n’empêche : les consommateurs constatent que les légumes, la baguette ou la carte des restaurants ont enregistré des hausses sensibles depuis le passage à l’euro (voir aussi page 14). Ces critiques ont été de plus en plus relayées par les politiques, en particulier en Italie : en 2005, dans la foulée des référendums français et néerlandais, deux ministres du gouvernement Berlusconi ont ainsi exprimé leur défiance vis-à-vis de la monnaie unique.

Des succès indéniables

La monnaie unique a pourtant rendu de grands services. Elle a fait disparaître tout d’abord les crises de change à répétition entre monnaies européennes. Au début des années 90, à chaque fois que le dollar faiblissait, les capitaux se reportaient sur le mark, ce qui le poussait à la hausse, donc affaiblissait le franc. Le peu de confiance dont jouissait la monnaie hexagonale auprès des marchés financiers exposait alors l’économie française à devoir subir des taux d’intérêt élevés, ce qui renchérissait et freinait l’investissement, quand bien même l’inflation était dans l’Hexagone aussi faible qu’outre-Rhin. Ainsi, sur la période 1990-1993, les taux d’intérêt à court terme, fixés par la Banque de France, ont constamment évolué autour de 10 %, avec parfois des pics plus élevés liés aux crises de change.

La monnaie unique ayant fait disparaître ce problème, les taux d’intérêt ont été plus facilement orientés vers le bas. Cet effet s’est fait sentir avant même la naissance officielle de l’euro, dès que celui-ci est devenu crédible. Ainsi, quand les crises asiatiques de 1997 se sont déclenchées, puis amplifiées, les marchés, jugeant la perspective de la monnaie unique suffisamment solide, n’ont pas chahuté les monnaies européennes : ce climat de confiance a permis aux taux à court terme, qui étaient à plus de 6 % en France en 1995, de descendre à un peu plus de 3 % fin 1998, à la veille de l’euro.

Certes, on pourra toujours reprocher à la Banque centrale européenne (BCE) de ne pas être aussi réactive que son homologue américaine, la Réserve fédérale, c’est-à-dire de ne pas baisser, en cas de besoin, les taux d’intérêt aussi fort et aussi vite. En France, il est même de bon ton pour les hommes politiques de tous bords de s’en prendre à la BCE pour expliquer les pannes de la croissance. Mais le taux directeur de la BCE a été maintenu à 2 % pendant plus de deux ans. On trouvera difficilement dans le passé une période où la Banque de France a pu maintenir des taux aussi bas.

En outre, si l’euro fait l’objet d’un désamour de la part de ses utilisateurs, il rencontre un certain succès à l’extérieur. Ainsi, le dernier rapport de la BCE sur ce sujet montre que la monnaie unique progresse de façon sensible comme monnaie de facturation et de règlement des produits et des services qu’exportent les pays de l’eurozone vers les pays tiers. Ce qui met les entreprises exportatrices concernées à l’abri des fluctuations du dollar. Ainsi, en France, le pourcentage des exportations hors eurozone libellées et réglées en euros est passé de 46,7 % en 2001 à 52,7 % en 2004. En tendance, l’euro progresse également comme monnaie de réserve pour les avoirs des banques centrales : de 17,9 % du total en 1999 à 24,9 % en 2004 (le dollar reste cependant encore la monnaie la plus utilisée, représentant 65,9 % des réserves en 2004, contre 71 % cependant en 1999).

Des problèmes non réglés

Reste que la croissance européenne, déjà décevante auparavant (voir page 20) n’a pas connu d’accélération sensible avec l’euro. Cela tient tout d’abord au fait que l’efficacité de la politique monétaire elle-même n’est pas optimale. L’impact des variations de taux d’intérêt décidées par la BCE n’est pas le même dans tous les pays de la zone euro, selon que le financement de l’économie s’y fait plutôt à court terme ou à long terme, que les prêts consentis par les banques aux particuliers sont à taux variable ou à taux fixe. En d’autres termes, ce que les économistes appellent les " canaux de transmission " de la politique monétaire, pourtant unique, ne fonctionnent pas de la même manière dans tous les pays de la zone. De plus, les différences d’inflation, qui restent relativement fortes, rendent complexes les décisions de politique monétaire : les taux d’intérêt réels (inflation déduite) sont trop élevés en Allemagne, alors qu’ils sont trop faibles, voire négatifs, en Espagne ou en Irlande.

En troisième lieu, la zone euro ne s’est pas donné, dans les faits, les moyens d’une politique de change. Certes, elle n’est pas la seule. Officiellement, les Etats-Unis sont adeptes du benign neglect (la négligence insouciante), c’est-à-dire qu’ils affirment ne pas vouloir intervenir sur le marché des changes. Ce qui ne les empêche pas d’influencer le cours du dollar quand il y va de leurs intérêts (par exemple quand ils ont fait sciemment chuter le billet vert contre le yen entre 1993 et 1995 pour rééquilibrer leur commerce bilatéral). A l’inverse, les Européens paraissent désarmés pour gérer le taux de change. L’article 111 du traité prévoit que le Conseil des ministres formule des " orientations générales de politique de change ", mais, compte tenu des conditions posées et de l’indépendance de la BCE, sa mise en oeuvre est très compliquée. De plus, il a été décidé dans les conclusions du Conseil européen de Luxembourg (décembre 1997) de n’y avoir recours que lors de " circonstances exceptionnelles ". Résultat : le recours à l’article 111 n’a jamais été envisagé jusqu’à maintenant.

Or, cette impuissance devient de plus en plus problématique au fur et à mesure que l’euro s’apprécie. On peut certes se féliciter que la monnaie européenne progresse, lentement mais sûrement, comme monnaie de réserve officielle des banques centrales et comme instrument de placement. Cela montre qu’elle inspire confiance. Cependant, cet engouement accroît la demande d’euros, ce qui contribue à le faire monter contre le dollar.

Dans les circonstances actuelles, une hausse trop forte pourrait être doublement préjudiciable. D’abord, elle affecte la compétitivité-prix des exportations de la zone, risquant ainsi de mettre en panne le moteur externe de la croissance. Ensuite, et surtout, il ne faudrait pas que les investisseurs se détournent brutalement du dollar. Les Etats-Unis, qui constituent l’une des locomotives de la croissance mondiale, vivent à crédit. Il importe donc qu’ils continuent à se financer sans encombre. Au total, une crise financière due à une remise en cause trop rapide du statut du billet vert ne profiterait à personne, même pas aux Européens.

Enfin, une politique économique réactive et efficace résulte nécessairement de la bonne articulation entre politique monétaire et politique budgétaire, un policy mix qui doit être défini dans un dialogue constant entre les autorités politiques et la Banque centrale. Or, contrairement aux Etats-Unis, la politique budgétaire reste gérée en Europe par " pilote automatique ", en fonction des règles rigides du pacte de stabilité. Il n’existe toujours pas d’autorité politique européenne légitime pour dialoguer avec la BCE à propos de la politique économique.

Zoom Les critères d’entrée dans la zone euro

Les pays qui, comme la Slovénie (entrée dans la zone le 1er janvier 2007), veulent adopter l’euro, doivent remplir plusieurs conditions. Leur inflation ne doit pas dépasser une valeur de référence définie comme le taux moyen d’inflation des trois pays les moins inflationnistes de l’Union (et pas de la zone euro !) augmenté de 1,5 point. Même type de mécanisme pour le taux d’intérêt à long terme : celui du candidat ne doit pas dépasser le taux moyen des trois mêmes pays les moins inflationnistes, augmenté de 2 points. Les finances publiques doivent être stables : en pratique, le déficit public ne doit pas excéder 3 % du produit intérieur brut (PIB). Enfin, la monnaie du candidat doit avoir participé sans heurts au mécanisme de change européen, qui a pris le relais du système monétaire européen à la naissance de l’euro. D’autres critères sont également étudiés, comme l’indépendance de la banque centrale du pays candidat.

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