Les trois risques de la finance mondiale

6 min

Malgré l'absence de crises depuis plusieurs années, la finance internationale est à surveiller de près.

Cela fait maintenant plusieurs années que la finance internationale n’a plus connu de grandes crises. Pas de quoi se réjouir pour autant, prévient la Banque des règlements internationaux (BRI) dans son rapport annuel 2006, car " compte tenu de la complexité de la situation et des limites de nos connaissances, il est extrêmement difficile de formuler des prévisions (...). Les crises financières des dernières décennies ont, le plus souvent, eu pour origine un événement presque entièrement inattendu ". Cette imprévisibilité incite à surveiller de près la finance. Les experts identifient trois sources principales de risques : le dollar, les fonds spéculatifs et les pays émergents.

Les Etats-Unis et le dollar

Le déficit des échanges extérieurs des Etats-Unis devrait approcher les 1 000 milliards de dollars en 2007. L’équivalent d’environ 7 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, du jamais vu historiquement. Les économistes considèrent généralement que dès qu’un pays riche atteint un niveau de déficit extérieur équivalent à 4 % ou 5 % de son PIB, les investisseurs perdent confiance dans sa monnaie et la vendent, provoquant une dévaluation massive. Rien de tel ne s’est produit pour l’instant pour le dollar.

La devise américaine a bénéficié jusqu’ici de la volonté des pays émergents, Chine en tête, de ne pas voir leur devise s’apprécier par rapport au dollar afin de conserver leur compétitivité. Les banques centrales des pays émergents d’Asie ont ainsi été, ces dernières années, d’importants acheteurs de dollars. De même, les pays producteurs de pétrole investissent une proportion élevée de leurs pétrodollars sur les marchés financiers américains, ce qui contribue à la montée de la Bourse et au maintien de taux d’intérêt à long terme faibles aux Etats-Unis. De quoi entretenir la confiance dans l’avenir de l’économie américaine, qui continue d’attirer les placements étrangers.

Le dollar a ainsi bénéficié de nombreux soutiens qui ont empêché son écroulement. Pour autant, en termes de taux de change effectif réel*, il a perdu un quart de sa valeur depuis le début 2002. Le dollar chute pour l’instant à petite vitesse. Mais un scénario de dépréciation accélérée reste possible. Le retournement du marché immobilier américain rend les ménages moins riches, ce qui devrait les inciter à augmenter leur épargne, et donc à réduire la consommation et la croissance. Jusqu’à présent, le repli des prix du pétrole leur a cependant permis de regagner du pouvoir d’achat, limitant la hausse de l’épargne. Mais le risque persiste d’une brusque remontée qui aurait pour effet de casser brutalement la croissance aux Etats-Unis et la confiance dans le dollar. Le reste du monde en serait pénalisé du fait à la fois de la moindre demande américaine et de l’appréciation des devises, miroir de la chute du dollar. Dans ce cas, l’Europe serait parmi les grands perdants.

Les fonds spéculatifs

Industrie marginale il y a vingt ans, les 10 000 et quelques fonds spéculatifs (hedge funds) existants gèrent désormais plus de 1 200 milliards de dollars. En juin 2006, la Banque centrale européenne les a qualifiés de " risque majeur " pour la stabilité financière internationale. Juste un mois après que la Réserve fédérale américaine ait exprimé les mêmes craintes. Qu’est-ce qui préoccupe tant les banquiers centraux ?

D’une part, les fonds spéculatifs prennent des risques avec l’argent des autres. Tant qu’ils n’attiraient que les capitaux de riches individus en mal de se procurer quelques sensations avec des placements risqués, on pouvait s’en moquer. Mais aujourd’hui, plus de la moitié de leurs clients sont des institutions financières (banques, compagnies d’assurances...). De plus, ces fonds utilisent des effets de levier très importants en empruntant des montants beaucoup plus élevés que les capitaux qui leur sont directement confiés. La chute de gros hedge funds peut donc avoir des conséquences dramatiques sur les systèmes financiers et sur la croissance mondiale.

Pour ne rien arranger, ces fonds travaillent dans l’opacité la plus totale. 80 % d’entre eux sont enregistrés aux îles Caïmans, qui attirent, selon des sources locales, de 45 % à 65 % des nouveaux fonds créés. Pourquoi les Caïmans ? Parce que, disent les professionnels du secteur, les avocats peuvent y obtenir tout ce qu’ils souhaitent en termes de législation en moins d’une semaine. Résultat : personne ne connaît vraiment le niveau des risques pris par les fonds et par ceux qui leur confient leur argent.

On sait, en revanche, que ces investisseurs adoptent des comportements de placement agressifs. Quand un ménage garde une action pendant en moyenne trois à cinq ans, une compagnie d’assurances la conserve de un à trois ans et un hedge funds de un à cinq mois... Au moindre petit début de perte, ces fonds vendent massivement. Et sont donc à l’origine des retournements brutaux des marchés. Tout cela a effectivement de quoi inquiéter les banquiers centraux.

Les pays émergents

De la crise de la dette extérieure au début des années 80 à la chute de l’Argentine en 2002, en passant par la crise asiatique de 1997 et la crise russe de 1998, les pays émergents nous avaient habitués à des crises financières à répétition. Depuis, la situation a été plus calme. Cela signifie-t-il que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes du financement des émergents ? Non, deux sources principales d’inquiétudes persistent.

La première tient à ce que les flux financiers privés qu’ils ont reçus ces dernières années comportent une part croissante de placements spéculatifs sur des Bourses risquées, mais attrayantes (de 37 milliards de dollars en 2003 à près de 70 milliards en 2006, selon les estimations de l’Institute of International Finance). Ainsi, les capitalisations boursières augmentent-elles très rapidement en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient ou dans les pays d’Europe centrale, les hausses dépassant la dizaine de points de PIB par an dans certains pays. Or les nouvelles émissions d’actions restent très faibles sur ces marchés étroits. Cela signifie que les arrivées de capitaux dans les pays émergents servent bien plus à la spéculation qu’au financement de l’économie réelle. La chute brutale de 15 % de la Bourse thaïlandaise à la mi-décembre 2006, après l’annonce par la banque centrale de sa volonté de stopper les entrées de capitaux spéculatifs, sonne comme un avertissement.

Zoom Une opacité accrue

La finance internationale reste un phénomène mal appréhendé. Les données disponibles pour la décrire ne sont pas cohérentes. Lorsqu’on fait la somme des actifs internationaux (les sommes détenues sous forme d’actions, d’obligations, de prêts, etc.) et qu’on la compare à la somme des passifs (le montant des prêts reçus, des actions achetées, etc.), on trouve un écart qui n’a cessé de croître depuis le début des années 80. Il représente actuellement l’équivalent de 5 % à 7 % du produit intérieur brut (PIB) mondial.

Par ailleurs, le développement des transactions de produits dérivés - baptisés ainsi car l’évolution de leur prix est liée à celle d’un autre actif (action, obligation, taux d’intérêt, matière première...) - a été source d’une opacité accrue. Seuls 7 % d’entre eux font l’objet de contrats transparents sur le niveau des risques encourus, 93 % des contrats restent dans le flou d’un marché de gré à gré peu régulé. Pour Garry J. Schinasi, expert du Fonds monétaire international (FMI), les produits dérivés lient les institutions financières dans un réseau opaque d’exposition aux risques, dont l’amplitude est à la fois forte, volatile et mal comprise, aussi bien par les autorités publiques que par les acteurs financiers privés eux-mêmes.

Enfin, le développement des paradis fiscaux constitue une autre source majeure d’opacité financière. D’après les données - incomplètes - dont on dispose, ils représentent la moitié des activités internationales des banques et concentrent un tiers des investissements directs à l’étranger des firmes. Instruments de dissimulation des transactions, ils contribuent eux aussi à rendre plus difficile la maîtrise des risques financiers.

Or, deuxième élément d’inquiétude, il n’existe toujours pas de processus institutionnalisé de gestion des crises financières quand celles-ci feront leur retour. Aucun mécanisme ne permet à un pays qui voit venir une crise avec ses créanciers privés étrangers de les mettre autour d’une table pour les forcer à négocier et empêcher les mouvements de panique financière dont ils sont coutumiers.

La finance internationale n’a pas connu de crises récentes et les marchés financiers ont même été orientés à la hausse un peu partout dans le monde. Mais, comme le rappelait à la fin décembre 2006 l’ancien ministre des Finances américain Larry Summers, " historiquement, les moments de plus grande euphorie ont été aussi les moments de plus grand danger ".

* Taux de change effectif réel

taux de change mesuré en tenant compte du poids relatif des principaux partenaires commerciaux et en éliminant l'effet de l'inflation.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !