Environement : pourquoi est-il difficile d’agir ?

6 min

Course à la puissance, vues à court terme, poids des inégalités..., les obstacles sont nombreux à la mise en oeuvre d'une économie respectueuse de l'environnement.

Avec le réchauffement climatique et l’épuisement des ressources de la planète, il est urgent de changer quasiment toutes nos pratiques de production et de consommation. Chacun ou presque en est devenu conscient. Même George W. Bush reconnaît désormais l’ampleur des problèmes. En France, au-delà de l’opportunisme électoral, la plupart des candidats à l’élection présidentielle ont marqué leur accord avec le fameux " pacte écologique " proposé par Nicolas Hulot. Reste que cela fait quinze ans déjà, au Sommet de Rio, que le monde avait juré de promouvoir un " développement durable ". Et cinq ans que le président de la République avait déclaré au Sommet mondial de Johannesburg que " la maison brûle, et nous ne faisons rien ", approuvé par toutes les sommités réunies. Depuis lors, en pratique, en France comme dans le monde, rien n’a été fait ou presque. Tentons de comprendre pourquoi.

Les limites de l’agir local

Penser global, agir local, ce mot d’ordre écologiste a une signification précise : face à des enjeux qui concernent l’ensemble de l’humanité, tel le réchauffement climatique ou l’épuisement des ressources halieutiques, chacun doit se mobiliser à son niveau. Mais à quoi bon éteindre la lumière en sortant si votre collègue de bureau oublie chaque soir de baisser le thermostat de son chauffage électrique ? Ce qui est vrai au niveau des individus l’est également au niveau des Etats : à quoi bon imposer des restrictions impopulaires à ses citoyens ou exiger des entreprises qu’elles respectent des normes qui entraînent des surcoûts, si d’autres pays ne font pas les mêmes efforts ? Non seulement les contraintes imposées aux citoyens et aux entreprises peuvent ne servir à rien si les autres pays laissent filer leurs consommations, mais elles peuvent en outre peser sur la compétitivité du pays.

Zoom Partage des ressources : la paix et la démocratie menacées ?

Les risques de pénurie de ressources non renouvelables (pétrole) ou les difficultés pour le partage des ressources renouvelables, mais existant en quantité limitée (eau, terres cultivables) font craindre le pire. Le principal danger pour la survie de l’humanité dans les prochaines décennies réside probablement moins dans les conséquences environnementales directes que provoqueront les activités humaines que dans les risques politiques qui résulteront de ses conséquences. Dit autrement, c’est moins la pénurie d’eau qu’il faut craindre que les effets des guerres pour l’eau.

Le pire n’est cependant jamais sûr. On peut en effet avoir au moins deux raisons d’espérer. La première tient à la démographie. Alors que la croissance de la population mondiale a été exponentielle depuis cinquante ans (voir graphique), la transition démographique est désormais bien engagée dans la quasi-totalité des grands pays. L’espoir d’une stabilisation de la population mondiale, qui semblait hors d’atteinte voici quinze ans, apparaît désormais possible.

La seconde raison d’espérer tient au potentiel technologique fantastique de nos sociétés et à l’évolution de nos modes de vie. Nous sommes désormais capables de produire des biens nettement plus durables et la qualité de notre vie dépend de plus en plus de services immatériels économes en énergie. Dit autrement, il est plus que jamais possible d’accroître le bonheur national brut de nos sociétés, de prendre plus le temps de vivre sans pour autant revenir à l’âge de pierre.

En l’absence d’autorité mondiale en situation d’imposer des politiques communes au niveau de toute la planète, la prise en compte des exigences du développement durable suppose donc un accord d’une large partie des Etats. Mais ce type d’accord prévoit généralement des mesures trop timides, le choix du plus petit dénominateur commun étant la condition d’un accord général. Et encore : le protocole de Kyoto, par exemple, dont l’objectif est de réduire la production de gaz à effet de serre afin de limiter le réchauffement climatique, n’a pas été ratifié par des Etats aussi importants que les Etats-Unis ou l’Australie. En matière de pêche, les différents accords existants, aussi bien dans le cadre européen, en Méditerranée ou dans l’océan Indien, se révèlent également insuffisants pour empêcher le déclin des populations d’espèces comme le cabillaud ou le thon.

Plus fondamentalement, dans un monde où les rivalités de puissance entre Etats-nations demeurent centrales, les uns et les autres voient dans l’accroissement de leur puissance, assise sur le développement de leur production matérielle, le moyen de défendre leur position. Une exigence aiguisée même par la perspective d’une rareté accrue des ressources. En effet, si le travail et l’intelligence humaine existent en quantité illimitée, ainsi que l’énergie brute, tant que le soleil brille, ce n’est ni le cas du pétrole ni celui de l’eau...

Temps court, temps long

La seconde difficulté tient à l’écart qui sépare le temps de l’environnement du temps du politique. La plupart des risques liés à l’environnement se traduisent par des problèmes qui apparaissent à long terme, tandis que la politique est un art du court terme, marqué par des échéances électorales souvent très rapprochées, si on prend en compte les différents scrutins. Or, la masse de la population demeure peu sensible aux questions environnementales tant qu’elle n’en subit pas réellement les effets.

On nous dit que les ressources de la mer s’épuisent, mais on trouve toujours des pavés de poisson panés au supermarché. On nous affirme que le pétrole va manquer, mais en attendant, les gros 4x4 continuent d’envahir nos rues et l’essence demeure disponible à la pompe. On nous répète qu’il faut changer de mode de vie, mais les Canaries ont encore accueilli près de dix millions de touristes, tous arrivés par avion l’an passé... En résumé, nous vivons aujourd’hui et le ciel ne nous tombera sur la tête que plus tard.

Dans un tel contexte, les responsables politiques ne font pas preuve de plus de vertus que nous. C’est uniquement quand l’opinion se mobilise, quand elle fait de la prise en compte du temps long une question politique immédiate, que les responsables politiques se décident à agir. Mais même quand on en arrive à ce point, les mêmes qui s’indignent de l’inaction des politiques face au changement climatique restent souvent prompts à se plaindre du caractère antisocial des effets de la hausse des prix du carburant...

Inégalités entre pays et au sein des pays

En effet, si les principaux candidats à l’élection présidentielle parlent plus volontiers de la nécessité de relancer la croissance et d’accroître le pouvoir d’achat que de défendre l’environnement, c’est aussi que nous vivons dans une société inégalitaire, où la grande majorité des ménages peinent à accéder aux modes de vie et de consommation véhiculés par la publicité. Dans un tel contexte, expliquer qu’il va falloir se serrer la ceinture et consommer moins passe mal quand celui qui entend ce discours a déjà le sentiment de se priver du nécessaire. C’est la raison qui explique que les partis environnementalistes mobilisent d’abord les couches moyennes relativement aisées.

Ce qui est vrai à l’intérieur de nos pays l’est encore davantage au niveau international. Pourquoi les pays émergents devraient-ils renoncer à accéder à la croissance, puisque ce sont les pays riches qui sont responsables de la dégradation actuelle du fait de leur inaction passée, d’autant qu’ils ne font aucun effort pour changer leur mode de vie et diminuer leur empreinte écologique ? L’exemple doit venir des plus riches : des pays les plus développés, mais aussi des groupes sociaux les plus aisés. Dit autrement, on ne parviendra pas à définir ce que pourrait être un nouveau mode de vie plus respectueux des équilibres de la planète, sans que les conditions politiques d’une juste répartition des efforts ne soient instaurées, au sein de nos pays comme au niveau international.

Une transition démographique bien engagée

Les difficultés observées face au réchauffement climatique en sont une bonne illustration. L’Union européenne a réussi, non sans problème, à mettre en oeuvre un système de quotas d’émission de dioxyde de carbone (CO2) négociables qui répartit les droits à polluer entre les grands consommateurs d’énergie, chacun étant libre de céder ou d’acheter ses droits à d’autres. Ce mécanisme encourage les économies d’énergie sans pour autant casser le développement économique. Mais l’établissement d’un système identique au niveau international demeure dans les limbes. En effet, entre les Etats-Unis, qui réclament de disposer de droits à polluer qui prennent en compte leur niveau de développement et leur mode de vie actuels, et des pays comme la Chine, qui refusent de voir brider leur droit au développement et réclament le droit d’émettre autant de gaz à effet de serre par habitant que les Etats-Unis (ils en émettent cinq fois moins aujourd’hui), on ne voit pas clairement comment pourrait se dégager une solution qui fasse consensus au niveau international.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !