Est-ce la faute du capitalisme ?

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Des moyens existent pour corriger les défauts de l'économie de marché sur le plan environnemental. Manque la volonté de les mettre en oeuvre.

Cela fait plus de deux siècles maintenant que le capitalisme a véritablement pris son essor. L’ampleur des dégâts écologiques causés durant cette période et les menaces qu’ils font courir aujourd’hui sur l’avenir de l’humanité amènent à se poser une question : est-ce la faute du capitalisme si nous en sommes arrivés là ? Et son corollaire : pour s’en sortir, faut-il rompre avec ce système économique ? En démultipliant la transformation de la nature à une échelle jamais atteinte auparavant, sans lui opposer d’autre limite que la disponibilité des moyens financiers et la rentabilité des opérations réalisées, le capitalisme a une responsabilité majeure dans les difficultés actuelles. Même s’il n’a pas créé l’appétit de surconsommation qui existait bien avant lui.

Les tentatives faites au XXe siècle pour bâtir d’autres systèmes économiques que l’économie de marché ne se sont cependant guère révélées concluantes. Non seulement sur le plan des libertés et de l’efficacité économique, mais aussi sur le plan écologique lui-même. Et il existe un certain nombre de moyens pour tenter de corriger les défauts de l’économie de marché sur le plan environnemental, sans pour autant renoncer à ses avantages. Mais rien ne garantit qu’on parvienne à les mettre en oeuvre de manière suffisamment décidée pour éviter d’aller dans le mur...

La course à l’inutile

Ce qui choque surtout dans le capitalisme contemporain, c’est la façon dont les multinationales poussent, à coup de publicités envahissantes et d’emballages racoleurs (qui viennent ensuite s’entasser dans les poubelles), à des consommations qui n’ont que peu de rapports avec ce qui est véritablement nécessaire pour vivre, au sens de la reproduction de notre fonctionnement biologique, et avec la satisfaction rationnelle de besoins de base comme le transport ou encore la communication interpersonnelle... Qu’on prenne la mode des 4X4 en ville, l’engouement pour les vêtements de marque, les grandes bouffes lors des fêtes, le rush sur les jouets à Noël, si souvent jetés avant d’avoir servi, ou encore les téléphones portables qu’il faut absolument changer tous les six mois pour rester dans le coup... Dans un monde où tant de gens n’ont toujours pas accès à l’éducation, à l’eau potable et ne mangent pas à leur faim chaque jour, y compris à notre porte, cela choque d’autant plus que cette surconsommation entraîne des dérèglements environnementaux de plus en plus inquiétants.

Si les multinationales encouragent sans vergogne cette surconsommation, elles n’ont pas créé cependant cette forte attirance pour l’inutile et l’irrationnel. Depuis la nuit des temps, les êtres humains ont en effet tendance à consacrer une énergie totalement disproportionnée à des activités qui ne " servent à rien ". Les tribus indiennes traditionnelles d’Amérique du Nord-Ouest avaient une coutume étrange : le potlatch. Ces peuplades, qui vivaient très chichement d’une activité de chasseur-cueilleur, se réunissaient régulièrement pour... détruire en grande pompe les richesses accumulées au cours de l’année. Le personnage le plus prestigieux étant celui qui en détruisait le plus.

De la même façon, on ne peut qu’être frappé à l’examen de ce qui parvient jusqu’à nous des civilisations anciennes : ce à quoi elles consacraient le plus de travail et de dépenses était immanquablement des réalisations parfaitement inutiles sur le strict plan de la reproduction biologique de l’espèce, qu’on pense aux pyramides égyptiennes ou mayas, aux temples grecs ou, plus près de nous, aux cathédrales. Quant aux seigneurs et aux rois, ils couraient déjà après les bijoux, les fanfreluches et les fêtes bien avant que les hommes sachent lire et écrire, si on en juge par ce qu’ils emmenaient dans leurs tombes...

La véritable innovation du capitalisme c’est que, en accroissant de façon fantastique l’efficacité de la production de l’indispensable, il a démocratisé (et laïcisé) l’accès à des consommations ostentatoires qui correspondent manifestement à une attirance anthropologique très profonde... Mais, ce faisant, il a aussi beaucoup accru à la fois les prélèvements de matières premières non renouvelables et la pollution. Et cela d’autant plus que l’amélioration de l’hygiène et des conditions de vie qui ont accompagné son déploiement a permis une formidable expansion de la population humaine, passée de 600 millions d’individus au milieu du XVIIIe siècle à plus de 6 milliards aujourd’hui. Une croissance qui commence tout juste à ralentir (non sans poser d’autres problèmes, voir page 18).

Les écotaxes comme " signal prix "

Peut-on espérer corriger ces désordres sans perdre les avantages de l’économie de marché, ainsi que ceux de la démocratie politique qui ont accompagné son déploiement ? Ce qui pose surtout problème sur le plan environnemental, c’est que la valorisation monétaire des activités n’intègre pas les " externalités " qu’elles engendrent, comme disent les économistes. C’est-à-dire les coûts suscités, aujourd’hui ou dans le futur, pour la collectivité par les pollutions ou la raréfaction des ressources. Ce qui n’incite pas les acteurs économiques à limiter ces prélèvements ou à réduire ces pollutions.

Ce problème a été reconnu depuis longtemps déjà par les théoriciens de l’économie, et en particulier par l’économiste anglais Arthur Cecil Pigou, qui a travaillé sur ces sujets dans les années 20. Il proposait de corriger ce problème en instaurant des taxes, obligeant par ce biais les acteurs économiques à internaliser dans leurs calculs économiques ces externalités jusque-là négligées.

Zoom Encore pire que le capitalisme...

Les tentatives effectuées au siècle dernier pour bâtir des systèmes économiques fondés sur la planification centralisée, avec les communismes russe et chinois, se sont révélées catastrophiques à la fois sur le plan des libertés individuelles et sur celui de l’efficacité économique minimale. Mais elles ont montré également que ce type d’approche ne présentait a priori aucun avantage sur le plan environnemental.

Bien que les populations concernées aient eu beaucoup de mal à se procurer le strict nécessaire, l’inefficacité de ces systèmes s’est traduite par une gabegie phénoménale en matière d’énergie, de déchets et de matières premières : bien que la Russie ait désormais retrouvé et même dépassé son niveau de richesse d’avant la chute du mur, elle émettait toujours en 2004 34 % de moins de gaz à effet de serre qu’en 1990 et l’Ukraine 55 % en moins ! De quoi refroidir a priori les ardeurs de ceux qui considéreraient que c’est en confiant à l’Etat la responsabilité de répartir les ressources disponibles qu’on pourrait le mieux faire face à la crise écologique.

Les lourdeurs bureaucratiques, la corruption et la falsification des informations ont toutes les chances de mettre à mal des dictatures qui voudraient faire le bien écologique de la planète, comme elles ont balayé celles qui prétendaient faire son bien social au siècle dernier.

C’est la problématique des écotaxes, comme la taxe carbone que propose Nicolas Hulot. Tous les problèmes environnementaux ne se prêtent cependant pas à une telle approche. Certaines pollutions entraînent des dégradations irréversibles. Il en va de même par exemple pour la disparition d’une espèce : puisqu’il n’existe pas de moyen de réparer le dommage, il n’existe pas non plus de coût qu’on puisse internaliser. Dans ces cas de figure, les interdictions ou les normes strictes conservent toute leur utilité. Les écotaxes consistent à donner aux acteurs économiques un " signal prix ", comme disent les spécialistes. Mais, du coup, elles présentent un inconvénient : il est très difficile de prévoir quelle sera la réponse de ces acteurs à ce signal, et donc quelles seront les quantités de pollution au final.

Les permis d’émission comme " signal de quantité "

Or il existe des cas, comme notamment les émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre, où ces quantités constituent la variable essentielle qu’il faut parvenir à maîtriser. C’est pour faire face à ce cas de figure que les systèmes de quotas d’émission et les marchés de permis d’émission ont été mis au point et sont utilisés aujourd’hui dans le cadre du protocole de Kyoto. Leur logique est inverse de celle des écotaxes : l’Etat impose aux acteurs économiques des quotas d’émission ou de consommation d’une ressource rare. Il leur donne donc un " signal de quantité ". En contrepartie, il laisse les prix correspondants s’ajuster, en autorisant les acteurs concernés à s’acheter et à se vendre les quotas dont ils disposent. Ceux qui polluent moins que le quota qui leur a été alloué peuvent vendre leurs droits à polluer inutilisés à ceux qui polluent trop.

C’est un moyen d’arriver au résultat recherché en termes de réduction de la pollution, tout en évitant d’imposer aux acteurs économiques des surcoûts prohibitifs. En effet, en leur permettant d’acheter et de vendre entre eux ces permis d’émission, on fait en sorte que les investissements nécessaires pour parvenir à ce résultat soient réalisés là où les coûts sont les plus bas. Ces systèmes de quotas et de permis ont souvent mauvaise presse auprès de ceux qui redoutent une " marchandisation du monde ". Mais il s’agit en fait, tout comme les écotaxes, de contraintes fortes imposées par les pouvoirs publics aux acteurs privés. Il suffit d’ailleurs pour s’en rendre compte de voir la vigueur du lobbying mis en oeuvre par ces acteurs pour s’opposer à de telles mesures...

L’absence d’action globale

Avec ce genre d’outils, beaucoup espèrent pouvoir réconcilier capitalisme et préservation de l’environnement. En théorie, cela fonctionne. En pratique, cela risque cependant d’être plus difficile. Mais davantage pour des raisons politiques que strictement économiques. La mise en oeuvre à grande échelle de tels outils entraîne en effet des transferts de coûts et de richesses qui suscitent invariablement des batailles politiques féroces.

De plus, nombre des problèmes environnementaux supposent, pour être affrontés, une action globale. Et en l’absence d’Etat mondial, il reste très difficile de mettre en place des écotaxes ou des systèmes de quotas à l’échelle mondiale. On en a malheureusement déjà l’expérience avec les débuts très laborieux du pourtant modeste protocole de Kyoto en matière de lutte contre l’effet de serre (voir page 92).

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