Idées

L’ouverture extérieure, clé du développement ?

6 min

L'ouverture systématique aux échanges et aux investissements internationaux ne suffit pas pour sortir du sous-développement.

Aucun pays n’a connu de développement réussi en tournant le dos au commerce international et aux flux de capitaux à long terme (...), mais il est également avéré qu’aucun pays ne s’est développé par le simple fait de s’ouvrir aux échanges et aux investissements internationaux. " Ce constat du professeur de Harvard Dani Rodrik résume bien le nouveau consensus des économistes quant au lien entre ouverture extérieure et développement des pays les plus pauvres : si l’histoire a montré que l’autarcie est une stratégie vouée à l’échec, la libéralisation des économies n’est pas non plus la recette miracle pour le développement.

Quand les crises financières ont frappé les pays en développement au cours des années 80 et 90, l’un des rares pays à s’en être sorti sans dommage a été... la Roumanie. La politique d’autarcie économique suivie par des dirigeants appliquant une planification autoritaire a certes protégé l’économie des turbulences de la finance mondiale, mais pour en faire l’un des pays les plus pauvres de la planète.

Les bénéfices et les échecs de l’ouverture

Les échanges internationaux de marchandises et de capitaux permettent en effet aux pays les plus pauvres de bénéficier de plusieurs avantages qui servent leur développement : des machines et des technologies non disponibles localement ou bien plus performantes et moins chères que celles qui sont disponibles sur place ; un transfert d’épargne pour financer l’investissement dans des pays où la faiblesse des revenus rend l’accumulation d’épargne nationale difficile ; un étalon de mesure de ce qui se passe sur les marchés mondiaux qui permet de situer le niveau des processus productif locaux dans la division internationale du travail et d’estimer le chemin à parcourir pour assurer une insertion réussie dans l’économie mondiale.

Il existe ainsi très peu de pays ayant bénéficié de longues périodes de croissance sans connaître simultanément une insertion croissante dans les flux d’échanges internationaux. Pour autant, les faits montrent que l’ouverture est loin d’être la condition suffisante d’un développement réussi. Les pays d’Amérique latine ont été les meilleurs élèves du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, lorsque ces institutions, dans les années 80 et 90, prônaient la libéralisation des économies comme recette miracle du développement. Or, comme l’a montré l’économiste Pierre Salama, la région a été marquée par une tendance à une croissance faible ou très volatile, une forte montée des inégalités, une vulnérabilité accrue aux chocs survenant dans l’économie mondiale, une montée des comportements financiers rentiers au détriment du financement de l’investissement productif et une insertion dans l’économie mondiale évoluant entre celle des pays les plus pauvres (dépendance aux matières premières) et des exportations manufacturières à faible contenu en technologie. Le bilan de la région proposé par Jeronim Zettelmeyer n’est guère différent : cet économiste du FMI conteste bien entendu l’idée que cette situation soit le fruit des politiques libérales, mais il réfute également le propos selon lequel l’Amérique latine devrait ses échecs à une libéralisation trop timide.

Zoom Protectionnisme : le modèle anglais

Lorsque Robert Walpole devient Premier Ministre de l’Angleterre en 1721, il met en place une nouvelle politique destinée à assurer le développement de son pays, explique l’économiste Ha-Joon Chang. Celle-ci repose sur une promotion de l’industrie qui passe par des subventions à la production et à l’exportation, une augmentation des tarifs douaniers sur les biens importés, sauf pour les matières premières nécessaires à l’industrie, et un contrôle public de la qualité des textiles produits. Les colonies britanniques - dont les Etats-Unis - sont forcées de s’en tenir à l’exploitation des matières premières et interdites d’industrialisation.

Cette politique active sera poursuivie pendant le siècle qui suivra et donnera des résultats : à la fin des guerres napoléoniennes, en 1815, les industriels britanniques sont les plus performants du monde. Et ils deviennent alors plus libéraux : en 1846, les lois sur les grains sont abolies, incitant les producteurs étrangers... à se spécialiser dans l’agriculture pour nourrir, au propre comme au figuré, la croissance industrielle britannique.

Droit de douane moyen,1820-1913, en % de la valeur des importations

Les Britanniques n’en deviennent pas pour autant des supporters enthousiastes du libéralisme commercial : le droit de douane moyen - c’est-à-dire les revenus douaniers totaux divisés par les importations - " est resté bien plus élevé en Angleterre qu’en France pendant la plus grande partie du XIXe siècle. C’est particulièrement frappant durant la période allant de 1840 à 1860 ", explique le chercheur John Nye. Les tarifs douaniers anglais sont alors à peu près au même niveau que ceux des Etats-Unis, l’un des pays considéré parmi les plus protectionnistes de l’époque. Il faudra attendre les années 1880 pour que les tarifs français passent légèrement au-dessus des tarifs anglais. Données à l’appui, Nye montre que, durant la majeure partie du XIXe siècle, le pays le plus adepte du libéralisme commercial, c’est la France ! Un pays qui, c’est indéniable, réussit alors moins bien que son voisin d’outre-Manche.

A l’inverse, la réussite des pays asiatiques, à partir de politiques publiques extrêmement volontaristes, est venue démontrer toute l’importance d’accompagner la dynamique du marché quand on souhaite devenir un acteur significatif de la mondialisation économique. L’économiste coréen Ha-Joon Chang a montré que les pays riches d’aujourd’hui (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, etc.) se sont d’ailleurs développés grâce à des politiques protectionnistes de contournement des droits de la propriété intellectuelle et de forte intervention étatique (voir encadré). Au cours des dernières décennies, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, Singapour, Taiwan et tous les pays d’Asie ayant réussi à devenir des acteurs clés de l’économie mondiale, se sont inspirés, avec succès, des mêmes politiques interventionnistes.

Dans les pays où la volonté de l’Etat de développer l’économie était moindre, nombre de dirigeants ont su détourner les réformes libérales de leur objet. En Afrique, certains rachetaient par exemple en sous-main des entreprises censées être privatisées pour montrer leur bonne foi libérale. On pourrait aussi donner l’exemple de la libéralisation en trompe-l’oeil de la Russie ou la façon dont, sous couvert d’acceptation des injonctions libérales des institutions de Bretton Woods, les dirigeants tunisiens ont maintenu le poids de l’Etat dans l’économie et comment, en dépit d’une libéralisation des échanges, le commerce extérieur reste très contrôlé et encadré par de nombreuses entorses concrètes au libre-échange 1.

A la recherche d’un nouveau consensus

Face à ces échecs, le FMI et la Banque mondiale ont commencé à faire leur aggiornamento. En 2005, un rapport de la Banque mondiale a fait grand bruit en dénonçant un " système commercial international biaisé en défaveur des pauvres " et des politiciens trop enthousiastes dans leurs croyances en " la magie du marché ". De son côté, Kenneth Rogoff, alors économiste en chef du FMI, affirme en 2003 qu’il n’y a aucun élément " pour soutenir l’argument théorique selon lequel la mondialisation financière permet d’obtenir des taux de croissance plus élevés ". Son successeur, Raghuram Rajan, ajoute en 2006 que " les pays en développement qui ont relativement plus recours aux capitaux étrangers n’ont pas crû plus vite sur le long terme et ont même crû moins vite ".

On pourrait au moins s’attendre à ce que les capitaux aillent en priorité vers les pays qui croissent le plus vite, ceux qui sont le plus susceptibles de fournir de meilleures opportunités d’investissement. Il n’en est rien : " Sur les trente dernières années, le montant net de capitaux étrangers se dirigeant vers les pays croissant relativement plus vite a été inférieur à ceux allant vers les pays à croissance moyenne ou faible. " Et le FMI de proposer en 2007 un nouveau bilan négatif de la mondialisation financière pour les pays les moins développés 2.

Face à ces constats, plusieurs pistes sont avancées pour un possible nouveau consensus. Il repose sur trois idées fortes. D’abord, les pays les plus pauvres doivent bénéficier d’une insertion asymétrique dans la mondialisation qui leur permette de protéger leurs marchés tant qu’ils n’ont pas atteint un niveau de développement suffisant pour jouer dans la cour des grands.

Ensuite, les pays pauvres sont généralement spécialisés dans la production de quelques produits. Or, un développement réussi s’accompagne toujours d’une plus grande diversification avant que l’économie se spécialise à nouveau. Ce ne sont donc pas les avantages comparatifs initiaux du pays qui peuvent permettre le développement, mais les avantages construits dans plusieurs secteurs. Une politique pour laquelle l’intervention de l’Etat est nécessaire ainsi qu’une étroite collaboration entre secteur public et secteur privé.

Enfin, le développement prend du temps : il a fallu dix-sept ans à Nokia pour gagner de l’argent dans l’électronique, soixante ans à Toyota pour devenir l’un des leaders de la production automobile, cent ans au Royaume-Uni pour s’imposer dans le textile et cent trente ans pour que les Etats-Unis abandonnent leur politique industrielle et protectionniste. L’adaptation à la mondialisation réclame de la durée, un long travail politique, social et économique, et plus personne ne croit aujourd’hui qu’une simple libéralisation soit un substitut adéquat.

  • 1. Sur ces libéralisations en trompe-l’oeil voir le dossier de la revue L’économie politique n° 32, octobre 2006, disponibles dans nos archives en ligne.
  • 2. Voir " Reaping the Benefits of Financial Globalization ", accessible sur www.imf.org/external/np/res/docs/2007/0607.pdf

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