Idées

La contestation altermondialiste

5 min

L'altermondialisme porte une contestation de l'économie de marché qui ne s'exprime pas dans un mouvement très structuré, mais rassemble une mouvance très diversifiée.

Depuis plus d’une décennie, l’altermondialisme constitue sans aucun doute le mouvement de contestation du capitalisme globalisé le plus dynamique. Or, à la différence des mouvements protestataires passés, cette contestation altermondialiste n’est pas vraiment structurée. En témoigne, par exemple, l’absence de terme générique pour désigner ce " mouvement ". Si le terme " altermondialisme " tend à être employé dans le monde latin, le monde anglo-saxon lui préfère celui d’" Antiglobalisation " ou l’expression " Global Justice Movement ".

L’altermondialisme a plutôt pris la forme d’une nébuleuse qui regroupe un ensemble de mouvements souvent assez disparates mais présentant néanmoins certains traits communs. Ils partagent tout d’abord un même rejet du caractère néolibéral de l’actuel processus de mondialisation. C’est la raison pour laquelle on peut y retrouver les principaux courants critiques du capitalisme : néomarxistes, anarchistes, chrétiens, anti-impérialistes, néokeynésiens ou " nouveaux mouvements sociaux ". Ils aspirent également à une autre mondialisation, plus solidaire et régulée. Ils tendent systématiquement à lier les actions qu’ils peuvent mener localement à des enjeux globaux. Enfin, ils s’accordent généralement sur le caractère cardinal des forums sociaux, notamment du Forum social mondial (FSM), et sur le contenu de la charte des principes du FSM. Cela signifie que le FSM doit être un espace de rencontre ouvert de la société civile, basé sur une stricte égalité des parties prenantes, un pluralisme idéologique et une autonomie des mouvements sociaux par rapport aux partis politiques et aux gouvernements.

Zoom Les sauveurs de la mondialisation ?

Les principaux apports des altermondialistes ont été, tout d’abord, de créer un débat là où il n’existait pas. Par exemple sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Ils ont ainsi remis en cause la vision angélique et romantique de la mondialisation des années 90 et transformé la nature du débat sur ce processus. A partir des manifestations de Seattle, en 1999, la mondialisation ne fait plus seulement l’objet d’un débat académique, elle devient un enjeu du débat public. Elle apparaît même comme le thème central de l’agenda international jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001. Depuis lors, ce débat n’apparaît plus aussi primordial et il s’est déplacé vers des enjeux où les altermondialistes semblent moins présents : délocalisations, montée en puissance des pays émergents, réchauffement climatique, dépendance énergétique, fonds souverains, etc.

Les altermondialistes ont également joué un rôle d’alerte face à la mondialisation en soulignant trois éléments préoccupants à son propos. Le premier a trait au sort des exclus en son sein ; ils posent donc la question des inégalités et de la redistribution des richesses. Le second concerne le devenir des biens communs ; ils soulèvent la question de la délimitation de ce qui doit relever du marchand et du non-marchand, et de l’instance susceptible de garantir un intérêt général à l’échelle globale. Le troisième est celui de la gouvernance ; ils posent par conséquent la question de la régulation de la mondialisation et, au-delà, de la démocratie, de la garantie des droits et des contre-pouvoirs dans un tel contexte.

Or, il faudra nécessairement répondre à ces questions si l’on souhaite que les exclus, les biens communs et la démocratie ne deviennent pas les grands perdants de la mondialisation et que ce processus soit pleinement accepté. Car dans le cas contraire, sa pérennité même pourrait être remise en cause. C’est donc peut-être en répondant aux critiques émises par les altermondialistes que l’on pourra " sauver " la mondialisation d’elle-même et la rendre ainsi à la fois acceptable et soutenable.

Les différents mouvements

Ces mouvements peuvent être regroupés en trois catégories. La première est représentée par les mouvements altermondialistes à proprement parler. Ce sont des organisations de la société civile (OSC) qui ont été créées en réaction à la mondialisation et qui ont fait de l’analyse et de la critique de ce processus le coeur de leur activité. Attac en est l’exemple le plus typique.

La seconde catégorie correspond aux mouvements qui participent à la mouvance altermondialiste. Ce sont des organisations qui défendent les intérêts de populations spécifiques sur une base professionnelle ou non (mouvements sociaux) ou qui interviennent directement sur le terrain pour aider des populations en difficulté (organisations non gouvernementales, ONG). L’Internationale paysanne Via Campesina ou le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) en sont les meilleurs symboles.

Enfin, la troisième catégorie concerne les mouvements participant à ce que l’on peut appeler une dynamique de contestation de la mondialisation libérale. Ils se situent à la lisière de la mouvance altermondialiste car ce sont des organisations politiques, comme la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), ou des mouvements radicaux, tels que les groupes anarchistes.

Une histoire en deux périodes

L’histoire de la contestation altermondialiste peut se diviser en deux grandes périodes. Après une phase " préhistorique " correspondant aux premiers contre-sommets des années 80, on peut considérer qu’une première période s’étend de la guérilla du Chiapas (Mexique), lancée par les zapatistes en janvier 1994, jusqu’aux manifestations lors du G8 de Gênes en juillet 2001 et aux attentats du 11 septembre de cette même année. Cette période peut être qualifiée d’" antimondialisation " dans la mesure où les formes d’expression privilégiées des contestataires sont alors les contre-sommets et les mobilisations spectaculaires, souvent accompagnées de violences, contre des projets ou lors de sommets internationaux (G8, OMC, FMI-Banque mondiale, Davos).

Une seconde phase, que l’on peut qualifier d’" altermondialiste ", commence avec le second FSM à Porto Alegre début 2002. Elle marque tout d’abord le passage de la primauté jusqu’ici accordée à la protestation à la volonté de définir une alternative au capitalisme globalisé, principalement dans le cadre des forums sociaux. Elle se caractérise aussi par un processus d’élargissement géographique, social et thématique de cette forme de contestation. Ceci conduit à une tension entre élargissement et approfondissement. La diversité croissante des participants aux forums sociaux ne peut être qu’antagonique avec la recherche d’un consensus sur la définition d’une alternative et l’élaboration d’un programme cohérent pour l’édification d’une " autre mondialisation ", à partir du moment où est privilégié le respect absolu des points de vue de chacun et où est refusée toute forme de synthèse à l’issue de ces forums.

Par ailleurs, les visions de ce que doit être cette alternative sont extrêmement divergentes au sein de la mouvance. Certains sont réformistes et aspirent à une mondialisation à visage humain. D’autres, altermondialistes au sens strict du terme, dénoncent la mondialisation libérale tout en se disant mondialistes et donc favorables à une autre mondialisation. D’autres encore sont antimondialisation car ils s’opposent à l’idée même d’un développement des flux transfrontaliers et prônent une autosuffisance des communautés locales. Enfin, les derniers entendent sortir du système afin de créer des communautés alternatives autonomes. Ceci favorise également de plus en plus une tension entre Porto Alegre et Caracas, c’est-à-dire entre ceux qui défendent le processus des forums sociaux et l’" esprit de Porto Alegre ", même si ceux-ci ont des difficultés à accoucher d’une alternative, et ceux qui estiment que l’alternative se trouve plutôt dans les pays latino-américains, comme le Venezuela d’Hugo Chavez, qui mettent en oeuvre depuis la fin des années 90 des politiques de rupture avec le modèle néolibéral.

Les défis à relever

Les défis que les altermondialistes doivent relever sont donc importants. On peut en dénombrer cinq. Le premier est un déficit de crédibilité, compte tenu notamment de leur incapacité à parvenir à définir une alternative à la mondialisation libérale et/ou de la radicalité de certains activistes. Le second est un déficit de globalité, l’altermondialisme restant encore largement un phénomène latin. Le troisième est un déficit de popularité, celui-ci faisant l’objet d’une indifférence de plus en plus nette de la part d’une partie notable de l’opinion publique dans les pays industrialisés et tout particulièrement de la part des catégories populaires.

Le quatrième est un déficit de visibilité, en raison d’un désintérêt de plus en plus manifeste des médias à l’égard de ce mouvement. Le cinquième est un déficit d’unité sur la question fondamentale de la position à adopter vis-à-vis des partis politiques et des gouvernements ; d’où la formation, début 2008, d’un post-altermondialiste, nouveau courant appelant ouvertement à une convergence des mouvements sociaux, des partis politiques et des gouvernements.

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