La santé des travailleurs malmenée
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Accidents, maladies, usure..., si les pays du Sud paient de loin le plus lourd tribut en matière de souffrance au travail, ceux du Nord ne sont pas épargnés : en France, 20 % des personnes signalant un problème de santé l’attribuent à leur emploi. La pénibilité et le stress ont d’ailleurs fait dans l’Hexagone l’objet de négociations laborieuses en 2008. Face à des conditions qui restent dures, voire qui se dégradent dans de nombreux secteurs, patronat et syndicats ont du mal à s’entendre. Car lutter contre la souffrance physique et mentale au travail, c’est contester des formes d’organisation trop souvent déshumanisantes.
En France, le travail est moins harassant qu’il y a un siècle : sa durée moyenne, 3 068 heures annuelles en 1836, est tombée à 1 540 en 2004. Pour autant, sa dureté n’a pas disparu : 50 % des ouvriers qualifiés et 54 % des ouvriers non qualifiés supportaient au moins quatre pénibilités physiques à la fois en 2005, telles que le port de charge lourde, la répétition d’un même geste à des cadences élevées, etc. Autre signe inquiétant : l’épidémie de troubles musculo-squelettiques (TMS), telles les tendinites. Ces maladies provoquées par des gestes répétitifs affectent le dos, les épaules, les poignets ou encore les genoux. Quant aux souffrances psychiques, elles ont également progressé. En 2003, 39,4 % des salariés considéraient leur emploi comme souvent stressant, contre 35,9 % en 1996. Cette dégradation des conditions de travail est directement liée à son intensification : les exigences de productivité augmentent, les cadences s’accélèrent et les délais se raccourcissent. Pour ne rien arranger, la précarité fragilise un peu plus le bien-être mental et physique des travailleurs.
On ne court pas les mêmes risques selon que l’on est ouvrier ou cadre, homme ou femme, employé chez un sous-traitant ou dans la société mère. Les inégalités de santé au travail sont criantes, comme en témoigne l’écart d’espérance de vie entre les catégories socioprofessionnelles. Ainsi en 2003, un "col bleu" de 35 ans bénéficiait d’une espérance de vie sans incapacité inférieure de dix ans à celle de son encadrant. Epargnés par les douleurs musculaires et articulaires, les professions supérieures n’en sont pas moins frappées par d’autres formes de souffrance au travail, notamment psychiques. La multiplication des suicides en entreprise a d’ailleurs jeté un coup de projecteur sur le stress des cadres. La surexposition des femmes aux risques professionnels est une réalité moins connue. Obligées de s’adapter à des normes pensées pour les hommes, elles souffrent plus souvent que leurs homologues masculins de troubles musculo-squelettiques.
Les accidents mortels ont nettement diminué dans les pays développés. Grâce à l’amélioration des outils de production et des équipements de sécurité dans nombre de métiers physiquement pénibles de l’industrie, des mines ou du bâtiment. Et surtout grâce à la tertiarisation des économies. Ces progrès ne doivent pas être l’arbre qui masque la forêt : la mortalité au travail y est essentiellement dû aux maladies professionnelles. Notamment les cancers provoqués par une exposition à des substances toxiques.
Dans les pays du Sud, où sont concentrées de nombreuses activités dangereuses (industries extractives, etc.), la mortalité par accident est beaucoup plus élevée, mais la part des décès par maladie est également prépondérante. Cependant faute d’études épidémiologiques, dans les pays en développement comme dans les pays riches, le problème des maladies professionnelles et de leur évolution reste très mal observé. Au total, l’Organisation internationale du travail (OIT) estime que chaque jour dans le monde, 6 300 personnes en moyenne meurent à la tâche, 1 000 par accident et 5 300 de maladie.
De 4 % à 8,5 % des décès par cancer sont imputables à l’activité professionnelle des victimes, selon le Plan national santé-environnement 2004. Ce qui place le travail en tête des facteurs des risques de cancer non liés à des comportements individuels, tels que le tabagisme. En cause, l’exposition à des substances dangereuses, comme l’amiante, responsable d’environ 100 000 décès chaque année dans le monde. Interdit de commerce et d’usage en Union européenne, ce cancérogène continue d’être massivement utilisé en Inde, en Chine et en Russie. Mais la liste des agents toxiques dépasse largement le simple cas de l’amiante. En France, 14 % des salariés, soit 2,37 millions de personnes, sont exposés à au moins un produit cancérogène. Pour limiter les risques liés aux substances chimiques, le règlement européen Reach est entré en vigueur le 1er juin 2008. Son objectif : encadrer la production, l’importation et la consommation de 30 000 produits chimiques. Reste à faire appliquer cette nouvelle réglementation aux 150 000 entreprises potentiellement visées.
Pour en savoir plus
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Pour comprendre ces chiffres Le nombre de maladies professionnelles reconnues a fortement augmenté depuis dix ans. Faut-il y voir un signe d'une plus grande vulnérabilité des travailleurs français ? Pas nécessairement, carcette croissance est en partie dueà l'élargissement du champ des maladies reconnues, et à une meilleure information tant des médecins que des salariés. Ceci dit, à l'inverse, il convient de ne pas minorer cette évolution préoccupante dela santé au travail. Les données concernant les TMS, par exemple, sont en effet largement sous-évaluées car seulement 10 % à 20 % des cas seraient déclarésà l'
assurance maladie , selon la CNAMTS.Ou trouver ces chiffres "Enquête sur les conditions de travail", Dares, Premières Synthèses n° 01-2, janvier 2007, voir aussi "Enquête Sumer 2003", disponible sur www.travail.gouv.fr
"Quatrième enquête européenne sur les conditions de travail 2005", fondation de Dublin, février 2007, disponible sur www.eurofound.eu.int
"Surveillance des maladies à caractère professionnel par un réseau de médecins du travail en France", Bulletin épidémiologique hebdomadaire n° 32, 26 août 2008, disponible sur www.invs.sante.fr
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