Société

Les discriminations positives sont-elles la solution ?

7 min

L'élection de Barack Obama a relancé le débat, en France, sur l'opportunité d'introduire des mesures de discriminations positives en faveur des "minorités visibles".

Yes we can" : le slogan du nouveau président américain Barack Obama a fait le tour du monde. L’accession d’un Noir à la tête de la première puissance mondiale - un pays où la ségrégation était inscrite dans le droit encore dans les années 1960 -, a fait flotter dans l’ensemble des minorités de la planète le sentiment que désormais "tout est possible". Cet événement a relancé en particulier le débat en France : de nombreux commentateurs ont souligné à cette occasion le retard du pays dans la promotion de la diversité et l’ampleur des discriminations qui frappent les minorités "visibles".

Des discriminations incontestables

Le constat de l’ampleur des discriminations qui minent la société française est malheureusement bien documenté 1. Ainsi par exemple, une étude de l’université d’Evry, menée par la méthode du testing*, a fait apparaître que, pour un poste de comptable, un candidat de nationalité marocaine, de nom et prénom à consonance arabe recevait une convocation à un entretien pour 277 lettres envoyées, contre un pour 19 pour les candidats de nationalité et de nom et prénom à consonance française, à compétences et expérience semblables...

Une autre étude, de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), menée en Ile-de-France et à Lille indiquait qu’en réponse à une petite annonce pour un logement, 35 % des candidats de nationalité française obtenaient une visite, contre 20 % pour ceux d’origine maghrébine et 14 % pour ceux d’Afrique subsaharienne. Là aussi, bien sûr, à références identiques.

Les opinions divergent beaucoup plus sur la façon de réduire ces discriminations. Faut-il mettre en place des discriminations positives, c’est-à-dire réserver un traitement de faveur aux populations généralement victimes de discriminations, celles-ci étant caractérisées sur une base "ethno-culturelle" ? Les partisans de ces mesures indiquent que l’égalité juridique formelle conduit de fait à favoriser les plus favorisés, et a pour conséquence pratique une reproduction dans le temps des inégalités. L’égalité produisant de facto l’inégalité, il devient légitime d’y déroger partiellement. Des politiques de ce type ont notamment été mises en oeuvre aux Etats-Unis (à l’origine en faveur des Noirs dans la seconde partie des années 1960), mais aussi en Inde et en Afrique du Sud.

La discrimination positive déjà pratiquée

En France, de telles politiques existent, mais elles ne s’appliquent pas aux minorités "visibles" au sens où elles ne différencient pas les publics visés selon les origines ethno-culturelles. Dans l’emploi, par exemple, un certain nombre de dispositifs visent ainsi à favoriser les handicapés. Dans le domaine de la vie politique, on recherche la parité en sanctionnant financièrement les partis qui ne présentent pas autant de candidats des deux sexes pour la plupart des élections. Enfin, de nombreux mécanismes sont censés favoriser les habitants des territoires les plus défavorisés, par exemple les zones urbaines sensibles (ZUS, les grands ensembles où vivent les catégories les plus défavorisées), auxquelles l’Etat dévolue davantage de moyens.

La question posée n’est donc pas tant celle de la discrimination positive en tant que telle, que celle des critères sur lesquels il est légitime de la fonder, et particulièrement la question de son éventuelle extension aux personnes "de couleur". La victoire de Barack Obama devrait-elle amener à considérer ce type de mesure ? "Pas question", a répondu nettement le président de la République Nicolas Sarkozy, lors d’un discours prononcé à la mi-décembre 2008 à l’Ecole polytechnique : "Il n’y pas de République réelle sans la volonté de corriger les inégalités, en traitant inégalement les situations inégales." Mais y répondre sur des critères ethniques ou religieux "conduirait à prendre le risque de dresser les unes contre les autres des communautés rivales et à s’enfermer chacun dans son identité". Pour lui, "c’est par le critère social qu’il faut prendre le problème, parce que les inégalités sociales englobent toutes les autres (...) En réduisant toutes les fractures sociales, on réduira du même coup toutes les fractures ethniques, religieuses ou culturelles" 2.

Cette prise de position reprend en fait les recommandations du Comité de réflexion sur le préambule de la Constitution, présidé par Simone Veil 3, qui a remis son rapport en décembre dernier. Il considère que le cadre actuel n’empêche pas de mener des politiques "d’action positive", à condition qu’elles ne soient pas fondées sur des critères "ethniques". Ceci afin d’éviter de favoriser une communautarisation de la société française. Le nouveau président américain, lui-même, insiste sur la priorité de la lutte contre les inégalités sociales, observant notamment que ses filles Malia et Sasha, parce qu’elles "ont toutes leurs chances dans la vie", ne devraient pas bénéficier d’un traitement de faveur.

Lutter contre les inégalités sociales

Si on refuse de distinguer selon la couleur de la peau, la seule façon de faire régresser réellement les discriminations est de combattre beaucoup plus vigoureusement les inégalités sociales, en luttant contre l’échec scolaire, en permettant à toutes les familles d’accéder à un logement décent, etc. On n’en prend malheureusement guère le chemin. Le président de la République préconise plutôt une sorte "d’élitisme social", selon l’expression de Patrick Savidan, philosophe et président de l’Observatoire des inégalités 4 : une politique qui permettrait à une poignée de jeunes "méritants" d’accéder aux plus hautes fonctions, sans s’attaquer réellement aux inégalités qui minent la société.

En matière de lutte contre les inégalités sociales, les propositions présidentielles se réduisent à quelques mesures, comme la progression du nombre de boursiers dans les grandes écoles. Au lieu d’assurer à tous une éducation de base de bonne qualité, il s’agit d’insérer quelques pauvres méritants dans les filières d’élites surdotées. Les autres mesures proposées relèvent d’une lecture "ethnique" de la société (voir notre entretien). Si certaines nominations à des postes prestigieux, dans le monde politique ou dans les médias, ont le mérite de faire accepter l’idée que ces postes ne sont pas interdits aux minorités, elles peuvent se révéler contre-productives si elles demeurent l’exception qui masque la règle.

Trois questions à Gwénaële Calvès

Les difficultés actuelles de la société française tiennent justement à ce décalage constant entre les grands discours universalistes sur la liberté et l’égalité, et les politiques publiques. Les moyens consacrés à combattre les inégalités sociales sont maigres. C’est le cas dans les zones d’éducation prioritaire, qui ne disposent que de 1 % du budget de l’Education nationale. Pas de quoi faire la différence. La réduction drastique des effectifs enseignants des Réseaux d’aides spécialisées aux enfants en difficulté (Rased) dans les écoles primaires est également un puissant vecteur d’augmentation des inégalités sociales, qui vient en totale contradiction avec le discours présidentiel. Les difficultés du plan Espoir banlieues, faute de moyens et de réelle volonté politique, en sont un autre exemple. Dans le même temps, d’autres leviers ne sont pas actionnés. On pourrait par exemple lever l’interdiction de nombreux métiers aux étrangers hors Union européenne, à commencer par les emplois de la fonction publique.

La politique de discrimination positive fondée sur des bases ethniques comporte sans doute plus d’inconvénients que d’avantages. Il n’en demeure pas moins que les politiques sociales qui, en limitant les inégalités, bénéficieraient très largement aux discriminés d’aujourd’hui restent toujours à construire.

* Testing ou tests de situation

On présente pour des logements ou des emplois des candidats différant seulement par l'apparence ou le nom.

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