Société

Une répression renforcée fait-elle reculer l’insécurité ?

7 min

Les sanctions judiciaires alourdies et l'activisme des forces de l'ordre ont été peu efficaces jusqu'ici face à l'insécurité. Tout en entraînant beaucoup d'effets pervers.

Face à la montée du chômage, les sociétés riches n’ont pas su garantir la sécurité économique et sociale de leurs citoyens. Les lendemains sont devenus plus incertains pour beaucoup. En dépit de moyens accrus, elles ont également échoué à garantir la sécurité physique au quotidien. De la délinquance économique au trafic de stupéfiants en passant par les violences urbaines, l’insécurité a constamment été au coeur du débat public depuis une trentaine d’années. Et l’appel à une répression plus forte n’est pas récent.

Au tout début de 1981, le vote de la loi Sécurité et liberté, défendue par Alain Peyrefitte, le ministre de la Justice de l’époque, avait marqué un tournant symbolique en donnant notamment plus de liberté aux policiers en matière de contrôles d’identité. Depuis lors, la thématique sécuritaire n’a jamais cesser d’être présente, avec des hauts et des bas, dans le débat public. L’évolution des politiques publiques a néanmoins connu une forte accélération ces dernières années : à partir du début des années 2000, justice et police ont nettement durci leurs pratiques. Sans effet probant sur le niveau de l’insécurité.

Du point de vue des sanctions, la loi de novembre 2001 sur la sécurité quotidienne avait introduit les premiers changements importants. Par la suite, une succession de textes ont créé de nouveaux délits, du bizutage au harcèlement sexuel en passant par le harcèlement moral au travail. Surtout, ils ont élevé le niveau général des peines encourues. Un point d’orgue a été atteint en 2007-2008, avec trois lois successives. En mars 2007, celle sur la prévention de la délinquance alourdit encore les sanctions, notamment vis-à-vis des plus jeunes. En août de la même année, la loi sur la récidive instaure des peines planchers minimales en cas de réitération des délits. Enfin, en février 2008, la loi sur la rétention de sûreté permet de maintenir enfermés les criminels condamnés à des peines de plus de quinze ans pour les crimes les plus graves, même quand leur peine de prison est purgée. Au total, comme le note le juriste Jean Danet, ce ne sont pas moins de 30 lois qui ont modifié le code de procédure pénale de 2002 à 2007 1. Les jeunes ont été particulièrement visés, mais aussi les prostituées, les automobilistes, les mendiants...

En parallèle, les forces de l’ordre ont accru la répression sur le terrain. Certes, les effectifs de la police nationale n’ont quasiment pas évolué, stagnant autour de 146 000. En revanche, l’activité des services a beaucoup changé. Le nombre de personnes gardées à vue est passé de 380 000 en 2002 à 578 000 en 2008, une hausse de 50 %. L’activité policière s’est intensifiée en particulier vis-à-vis du trafic de drogue, des atteintes aux personnes et des étrangers en situation irrégulière.

Un "nouveau management de la sécurité" 2 s’est mis en place, relève le sociologue Laurent Mucchielli, imposant notamment des objectifs chiffrés. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a promis en contrepartie aux forces de l’ordre des "récompenses" en cas de bons chiffres. La conjonction de condamnations plus lourdes et de l’activisme des forces de l’ordre a conduit à un gonflement sans précédent de la population incarcérée. De moins de 50 000 en 2002, on atteint actuellement 64 000 détenus.

Des résultats décevants

Quels sont les résultats de cette politique ? Le gouvernement met en avant la baisse des crimes et délits recensés par la police. Problème : comme les années précédentes, le bilan 2008 est en demi-teinte : les vols continuent certes de baisser, en liaison surtout avec la baisse spectaculaire des vols d’automobiles, mais les coups et blessures augmentent (voir encadré). Concernant les actes les plus graves, le nombre d’homicides diminue, mais celui des viols augmente, notamment sur mineur(e)s...

Zoom Baisse de la délinquance : tout est dans l’auto !

La baisse de la délinquance constatée par la police est nette sur la période 2002-2008 : - 13,5 %, soit 555 000 faits en moins ! Mais en réalité, l’essentiel de cette baisse est lié à un seul poste : l’automobile. La diminution des vols de véhicules et dans les véhicules (autoradios...) est de 40 %, soit 440 000 infractions en moins. Soit 80 % de la baisse de l’ensemble des crimes et délits. Si on ajoute les destructions ou les dégradations d’automobiles, on obtient à peu de chose près la baisse globale sur la période. Cette évolution résulte surtout des efforts des constructeurs et des assureurs en matière de protections antivol...

Crimes et délits : ce qui baisse et ce qui monte

Dans les autres domaines, le bilan est moins reluisant. Les atteintes à l’intégrité physique des personnes ont augmenté de 16 %, les coups et blessures de 50 %, les infractions à la législation sur la drogue de 72 %... Toutefois, cette hausse ne signifie pas non plus nécessairement que l’insécurité ait explosé. Une partie de cette évolution vient d’une sensibilité plus grande de la population, qui dénonce aujourd’hui des faits non déclarés hier. Une autre partie résulte d’une action plus importante des forces de l’ordre, par exemple vis-à-vis des étrangers ou des consommateurs de cannabis. Bref, le bilan réel est très différent de la version officielle...

En dépit des propos gouvernementaux, la question de l’insécurité reste donc entière pour les problèmes les plus vivement ressentis par la population. Personne ne nie toutefois qu’une répression accrue puisse avoir des effets. C’est le cas en particulier dans des domaines où manifestement l’autorité publique faisait preuve jusque-là d’un certain laxisme. A l’évidence, la manière forte a davantage payé en matière de changement des comportements de conduite que l’appel aux bonnes volontés défendu jusque-là par les constructeurs automobiles. La baisse de la vitesse moyenne et de la consommation d’alcool au volant a permis d’économiser des milliers de vies humaines.

Mais force est de constater que sur nombre d’autres terrains, cette politique demeure peu efficace. "De manière générale, l’idée que l’intensification de l’action de la police serait le principal facteur (direct par dissuasion ou indirect par effet des arrestations) de réduction du volume global de la délinquance est une idée fausse", note Laurent Mucchielli. Pour lui, l’efficacité de l’action de la police n’est liée de façon significative au niveau de pression sur le terrain, qu’en matière de police des étrangers et de trafic de stupéfiants. Mais même l’action menée dans ces domaines ne semble pas avoir réduit sensiblement les activités criminelles : les délits liés au trafic de stupéfiants ont augmenté de 28 % au cours des six dernières années et les cas de travail clandestin ont été multipliés par 1,7. Certes, il est logique que le nombre de faits enregistrés augmente dans un premier temps quand il y a renforcement de l’action policière, mais si la répression était efficace, on devrait bien aboutir après quelques années à une diminution. Ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

Justice et police à la peine

Cette répression accrue entraîne parallèlement tout un cortège de conséquences négatives. L’encombrement judiciaire est généralisé, une partie des dossiers sont traités à la va-vite. Faute d’investissement massif dans les prisons, les détenus y vivent dans des conditions jugées inhumaines par la plupart des observateurs nationaux et internationaux. Certaines pratiques tournent parfois au drame humain, qu’il s’agisse de la chasse aux sans-papiers ou de la mise en accusation à tort d’auteurs présumés de crimes, comme dans le cas de l’affaire d’Outreau. Sans parler des erreurs judiciaires qui ne peuvent que se multiplier dans un contexte de suspicion généralisée.

L’application même de la loi devient problématique quand la sanction est manifestement disproportionnée, ce qui conduit les juges à ne l’appliquer que partiellement. "Les peines planchers ne paraissent pas adaptées à la plupart des situations auxquelles sont confrontés les magistrats", remarque le député Christophe Caresche - coauteur d’un rapport sur la loi sur la récidive -, évoquant le malaise des juges, notamment vis-à-vis des mineurs.

Pour ce qui est des forces de l’ordre, la logique de résultat aboutit à se concentrer souvent sur la partie visible. Le retour de la police de proximité, rebaptisée de "quartier", sonne comme un aveu d’échec des politiques menées ces dernières années. Expérimentée depuis un an, elle va être étendue à un plus grand nombre de quartiers sensibles. Le travail de terrain, au quotidien et en relation avec la population, est mieux à même de ramener de la tranquillité que les opérations coup de poing spectaculaires mais sans lendemain. "De nombreux chantiers mériteraient d’être ouverts : les relations entre la police et la population, avec la police de proximité bien sûr ; mais aussi la prévention à la source, comme la lutte contre l’échec scolaire. Enfin, il faudrait se préoccuper de l’efficacité réelle des sanctions pénales et des alternatives à la prison", conclut Laurent Mucchielli.

  • 1. Voir "Cinq ans de frénésie pénale", par Jean Danet, dans La frénésie sécuritaire, par Laurent Mucchielli (dir.), éd. La Découverte, 2008.
  • 2. Voir "Le nouveau management de la sécurité à l’épreuve : délinquance et activité policière sous le ministère Sarkozy, 2002-2007", par Laurent Mucchielli, Champ Pénal, vol V, 2008.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet