Economie

Derrière la crise, l’excès d’épargne mondiale

6 min

A l'origine de la crise financière, on trouve les déséquilibres de l'épargne mondiale. Trop abondante, elle ne finance pas le développement du Sud, mais les excès de la consommation américaine. Et gonfle les bulles spéculatives.

Depuis le début des années 2000, les mouvements internationaux de capitaux ont pris une importance considérable dans les échanges mondiaux. Une épargne de plus en plus abondante, en provenance principalement des pays émergents, mais aussi dans une moindre mesure de l’Allemagne et du Japon, cherche à se placer à l’étranger. Ce faisant, elle contribue à nourrir l’endettement et la spéculation dans le reste du monde. Cet excès d’épargne a été une des causes de la crise des subprime. Si celle-ci a dans l’immédiat profondément affecté les flux de capitaux internationaux, les déséquilibres de l’épargne mondiale sont toujours là et laissent craindre la montée de nouvelles bulles spéculatives.

Trop d’épargne

Au début des années 2000, l’épargne mondiale* représentait l’équivalent de 22 % à 23 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. En 2007-2008, elle en pesait un peu plus de 27 %. Cet accroissement provient principalement du fait que les revenus des pays émergents et des pays pétroliers, des zones à fort taux d’épargne, ont considérablement augmenté avec la progression de leurs excédents commerciaux et l’accumulation correspondante de réserves de change. Les marchés financiers locaux de ces zones étant peu développés, cette épargne a cherché des rendements importants en se plaçant à l’étranger.

Zoom Le trou noir de la finance

Quand on étudie dans le détail les statistiques des mouvements de capitaux internationaux, on tombe sur une bizarrerie 1. Par définition, tout euro, dollar ou autre monnaie qui sort d’un pays est un euro, un dollar, etc. qui entre dans un autre. Quand on compare, au niveau mondial, d’un côté le total des capitaux qui sortent de l’ensemble des pays et, de l’autre, tous ceux qui y entrent, on devrait donc tomber sur le même résultat. Or, il existe une différence croissante qui représente actuellement de l’ordre de 5 % à 7 % du produit intérieur brut (PIB) mondial ! Il y a visiblement des capitaux qui sortent de certains pays, mais ne vont nulle part. Ou presque : en fait, ils se dirigent en grande partie vers les paradis fiscaux où l’on perd la trace de leurs propriétaires...

  • 1. Voir "A Global Perspective on External Positions", par Philip R. Lane et Gian Maria Milesi-Ferretti, NBER Working Paper n° 11589, septembre 2005.

Comme beaucoup d’épargnants souhaitaient prêter leurs capitaux, cela a avantagé les emprunteurs qui pouvaient offrir des taux d’intérêt assez bas. De plus, après l’éclatement de la bulle Internet en 2000 et le fort ralentissement de la croissance qui s’en était suivi, les banquiers centraux, en particulier aux Etats-Unis, avaient adopté une politique monétaire de bas taux d’intérêt à court terme, ceux sur lesquels ils ont de l’influence. Après 2004, les banques centrales ont cependant commencé à remonter les taux à court terme, car elles croyaient qu’il y avait un risque de hausse de l’inflation. Mais même alors, les taux à long terme étaient restés bas du fait de l’abondance de l’épargne mondiale.

Trop de risques

Peu satisfaits de cette faiblesse des taux d’intérêt, les épargnants ont logiquement cherché le moyen d’obtenir de meilleurs rendements. Ils les ont trouvés en particulier aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Espagne, des pays où des bulles immobilières associées à des instruments financiers sophistiqués et mal régulés leur ont permis de toucher des rendements très élevés. Mais en prenant des risques importants. Un comportement spéculatif qui s’est terminé avec la crise que l’on connaît aujourd’hui.

L’abondance d’épargne disponible et le niveau de l’endettement de ceux qui l’empruntent (par exemple les ménages dans le cas de l’immobilier) ne provoquent pas forcément une crise. Il a fallu le développement d’innovations financières complexes et le comportement de forte prise de risques de la part des épargnants et des intermédiaires financiers (les banques et les fonds spéculatifs), qui leur promettaient des rendements importants, pour qu’une crise se déclenche.

Il aura également fallu un contexte idéologique où les régulateurs publics pensaient que moins les financiers étaient contrôlés, plus ils répartissaient l’argent disponible de manière efficace. On peut espérer qu’avec la récession qui frappe l’économie mondiale cette année, les autorités publiques sauront inventer et mettre en oeuvre dans les mois qui viennent les régulations nécessaires permettant de limiter les prises de risques inconsidérées. Mais le problème de l’abondance de l’épargne ne sera toujours pas réglé.

Certes, la forte baisse du prix du pétrole et la récession mondiale devraient fortement diminuer l’ampleur des excédents extérieurs des pays pétroliers et des pays émergents : la Banque mondiale prévoit une chute d’environ un tiers en 2009. Néanmoins, ces excédents existeront toujours. Et les pays émergents devraient continuer à accumuler des réserves en devises, lesquelles approchaient déjà les 5 000 milliards de dollars à la fin 2008. Et ils voudront toujours placer ces réserves sur les marchés financiers. Leur montant dépasse, et de très loin, ce à quoi elles servent d’habitude : être à même, en cas de difficulté d’accès aux marchés financiers, de payer sur ses propres ressources plusieurs mois d’importations et éventuellement rembourser la dette en devises à court terme du pays.

Et toujours trop d’épargne

Pourquoi les banques centrales accumulent-elles actuellement des réserves plus importantes que ce qui leur serait nécessaire ? Selon un travail récent de trois économistes américains 1, ces réserves excédentaires servent surtout de police d’assurances face à un risque de crise bancaire locale : les banques centrales accumulent en effet d’autant plus de réserves que le système bancaire du pays se développe. Elles disposent ainsi d’un matelas pour aider les banques au cas où une crise de confiance inciterait les déposants d’abord à retirer leur argent des établissements financiers, puis à le transformer en dollars afin de parer à tout risque de dévaluation. L’incertitude qui plane encore sur l’avenir de la finance et de la croissance mondiale ne peut que les inciter à poursuivre dans cette voie.

Que vont faire les pays émergents de ces réserves ? Après la crise des subprime, ils sont, comme tous les investisseurs internationaux, à la recherche de placements sans risques. Plutôt que d’investir dans les actions des banques et des multinationales, les banques centrales émergentes privilégient donc l’achat de bons du Trésor émis par les grands pays industrialisés, contreparties de la forte progression des déficits publics liés aux plans de relance budgétaire et aux opérations de sauvetage des banques.

De ce point de vue, même après la crise financière, les Etats-Unis vont continuer à attirer l’épargne mondiale. Les ménages y ont tendance à davantage épargner et les entreprises à moins investir, ce qui devrait diminuer les besoins d’entrées de flux financiers du pays de l’équivalent de 4 points de pourcentage du produit intérieur brut (PIB), selon les estimations de Patrick Artus, directeur de la recherche économique chez Natixis 2. Mais, avec le plan de relance de 820 milliards de dollars proposé par le président Barack Obama et un déficit budgétaire qui pourrait atteindre les 11 % du PIB cette année, l’offre de titres réputés sûrs restera très importante.

Balances courantes, en milliards de dollars
Epargne reçue en 2007, en % de l’épargne internationale disponible

Dès que la crise de confiance se sera atténuée, les investisseurs chercheront de nouveau des terrains de jeux plus spéculatifs, en pariant par exemple sur les variations des prix des matières premières. S’assurer contre les prochaines crises financières réclame donc à la fois de limiter les prises de risque inconsidérées des intermédiaires financiers et de rééquilibrer l’épargne mondiale. Ce qui implique un retour à la croissance dans les pays du Nord, pour limiter les besoins d’emprunts publics et, surtout, un développement de la protection sociale et une répartition moins inégalitaire des revenus dans les pays émergents, afin de diminuer leurs excès d’épargne. Ce qui prendra nécessairement beaucoup de temps.

  • 1. "Financial Stability, the Trilema and International Reserves", par Maurice Obstfeld, Jay C. Shambaugh et Alan M. Taylor, NBER Working Paper n° 14217, août 2008.
  • 2. Voir "Désordres financiers mondiaux : excès d’épargne ou excès de liquidités ?", Flash Economie n° 39, 23 janvier 2009. Et "Les politiques menées aux Etats-Unis vont-elles accroître les déséquilibres globaux ?", Flash Economie n° 25, 20 janvier 2009.
* épargne mondiale

Partie non affectée à la consommation des revenus issus de la richesse produite dans le monde.

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