Environnement

Après-Kyoto : pourquoi ça coince

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Le protocole international sur la lutte contre le changement climatique est en cours de renégociation. Mais les chances de parvenir à un accord cette année sont faibles.

2009 sera une année charnière dans la lutte contre le changement climatique. C’est en effet du 7 au 18 décembre prochain à Copenhague que la communauté internationale doit décider des suites à donner au protocole de Kyoto. Adopté en décembre 1997, entré en vigueur en février 2005, aujourd’hui ratifié par 183 Etats, ce traité impose aux pays industrialisés - à l’exception majeure des Etats-Unis qui l’ont rejeté - d’atteindre avant fin 2012 une baisse de leurs émissions globales de gaz à effet de serre de 5 % par rapport à l’année 1990. Mais à partir du 1er janvier 2013, l’engagement de Kyoto expire et la poursuite de l’effort - et plus encore son accentuation - est tout sauf assurée.

Certes, l’Union européenne a déjà officiellement adopté, le 12 décembre dernier, son "paquet énergie-climat". Il prévoit une réduction des émissions de l’Union de 20 % en 2020 (par rapport à 1990), soit un effort plus important que les - 12 % qu’auraient permis d’atteindre à cette échéance les politiques actuelles des Vingt-Sept, selon l’Agence européenne pour l’environnement 1.

Pour autant, cette décision n’engage qu’une communauté d’Etats responsables d’une partie du problème : les émissions de l’Union liées à sa consommation d’énergie s’élèvent à 4 milliards de tonnes de CO2, quand l’ensemble de la planète en a libéré près de 30 milliards dans l’atmosphère l’an dernier. Or, la communauté scientifique internationale ne cesse d’avertir qu’il faut au minimum diviser par deux les émissions mondiales avant 2050 pour contenir la hausse des températures moyennes à 2 °C environ, limite au-delà de laquelle le changement climatique déjà à l’oeuvre sera catastrophique pour l’humanité. Et encore, à condition que celle-ci se donne dès à présent les moyens de s’adapter à un monde dont les écosystèmes vont de toute façon être profondément bouleversés (voir encadré). Une telle division par deux des émissions mondiales devrait enfin tenir compte des besoins de croissance des pays en développement. Si bien qu’un partage équitable du fardeau imposerait aux pays riches de diviser par quatre (pour le moins) leurs rejets atmosphériques.

Zoom Eviter, mais aussi s’adapter

Selon l’assureur des assureurs Munich Re, les catastrophes naturelles ont fait 220 000 morts et causé 140 milliards d’euros de dégâts en 2008. Le numéro deux mondial de la réassurance attribue ce sinistre bilan en partie aux effets déjà très réels du changement climatique. Parvenir à limiter à 2 °C la hausse moyenne de la température du globe ne suffira pas à empêcher des hausses plus élevées dans de nombreuses régions habitées et la destruction d’équilibres naturels, l’intensification des accidents climatiques (cyclones...), la prolifération d’épidémies, la hausse du niveau de la mer, etc. Des perspectives très graves auxquelles le monde ne se prépare pas sérieusement.

Les populations des pays pauvres seront les premières touchées, à la fois parce qu’elles sont nombreuses dans les zones les plus exposées (le Bangladesh, par exemple, où l’essentiel de la population habite quelques mètres seulement au-dessus du niveau actuel de la mer) et parce que ces pays n’ont guère les moyens de réaliser les investissements nécessaires pour se protéger et adapter leurs infrastructures.

Pour venir en aide à ces pays, un fonds d’adaptation a été créé fin 2007 lors de la conférence de Bali. Il est financé par un prélèvement de 2 % sur les crédits carbone acquis au Sud au titre des mécanismes de flexibilité du protocole de Kyoto. Ce fonds est doté à ce jour de 50 millions de dollars et il devrait voisiner les 350 millions en 2012. Alors que les besoins sont estimés en dizaines de milliards par an.

Faire participer les Etats-Unis et la Chine

L’enjeu de Copenhague est donc double : parvenir à des engagements chiffrés autrement plus importants que ceux du protocole de Kyoto et faire participer à l’effort des pays clés qui s’y refusent encore aujourd’hui. Au premier rang desquels les Etats-Unis et la Chine : chacun a émis 5,7 milliards de tonnes de CO2 en 2006 et représente à lui seul 20 % du total mondial des émissions. L’Europe a d’ores et déjà fait savoir qu’elle pourrait porter son objectif pour 2020 jusqu’à - 30 % en cas d’accord international.

En dépit de la bonne volonté européenne, les chances de succès à Copenhague sont très minces. Les grands pays du Sud, Chine, Inde, Indonésie, Iran, Brésil, Mexique, Afrique du Sud, sont désormais à l’origine de près du tiers des émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie. Et ils ne s’engageront pas à limiter la progression de leurs émissions tant que les principaux pollueurs et responsables historiques ne montreront pas davantage l’exemple. Même s’ils sont de plus en plus conscients de leurs propres responsabilités et de leur exposition au risque climatique, même s’ils font preuve de davantage de souplesse que par le passé, la position des pays en développement - bien compréhensible - n’a guère évolué sur le fond depuis le début des négociations de la convention internationale sur le climat, il y a près de vingt ans (et adoptée lors du Sommet de la Terre de 1992, à Rio). Or, hier encore, lors de la dernière conférence mondiale des Etats parties à cette convention (à Poznan du 1 au 13 décembre 2008), consacrée comme celle de Bali un an plus tôt à l’avenir du protocole de Kyoto, les Etats-Unis sont restés fidèles à leur ligne : l’entrée de la Chine dans le jeu est une condition d’un engagement international de leur part.

Le nouveau Président américain, arrivé à la Maison Blanche le 20 janvier, fera-t-il évoluer cette position ? Difficile de le prédire, même s’il existe des raisons de l’espérer. Durant la campagne électorale, aussi bien le camp démocrate que le camp républicain ont défendu un plan vigoureux de réduction des émissions au niveau fédéral (- 80 % en 2050 par rapport à 1990 pour Obama ; - 60 % pour McCain). La concrétisation de cette promesse lèverait un verrou à l’éventuelle entrée des Etats-Unis dans un accord international. Mais en tout état de cause, avec les délais de mise en place da la nouvelle administration, qui aura bien d’autres urgences à gérer, Yvo de Boer, le secrétaire général de la convention sur le climat, doutait à Poznan de la possibilité de parvenir fin 2009 à un accord détaillé. Tout en rappelant que les Occidentaux doivent mettre des chiffres sur la table, "sinon les dominos ne vont pas tomber".

L’Europe ne tient pas ses Engagements

La responsabilité du blocage incombe aussi aux Européens. S’ils ont fait des annonces fortes, ils n’ont guère fourni jusqu’ici au reste du monde la preuve de leur crédibilité. En vertu du protocole de Kyoto, l’Union à quinze devait réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 8 % entre 1990 et 2012. Or, en 2006, celles-ci n’avaient diminué que de 2,2 %. En poursuivant la tendance actuelle, cette baisse n’excédera pas 3,6 % en 2010, indique l’Agence européenne pour l’environnement.

Pour atteindre l’objectif, les Etats de l’Union devront donc non seulement agir plus fortement pour réduire leurs émissions nationales, mais également faire jouer à plein les mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto, autrement dit acheter des permis d’émission sur le marché du carbone. L’Union a déjà mis en place ce système pour ses propres Etats membres en 2005 et, depuis le 1er janvier 2008, il est ouvert à l’ensemble des parties de Kyoto. Il offre aux Etats (ou aux entreprises) astreints à un plafond d’émissions la possibilité d’investir ailleurs que chez eux pour réaliser des réductions qui, au terme d’un processus complexe de validation, seront inscrites à leur crédit. Il est en effet nettement moins coûteux de faire de la reforestation au Brésil ou de remplacer les vieilles centrales thermiques chinoises, russes ou ukrainiennes que d’améliorer l’efficacité énergétique d’une centrale à gaz anglaise ou allemande déjà performante. Un tel système n’est pas absurde sur le plan économique puisqu’il permet, pour un niveau donné de réduction des émissions, de limiter le coût des investissements à réaliser.

Poker menteur Nord-Sud

Nécessaire à l’Union européenne et aux autres pays industrialisés pour tenir leurs engagements, ce marché international du carbone est un dispositif qui s’éteindra en cas de non-reconduction du protocole de Kyoto. Du coup, c’est une partie de poker menteur Nord-Sud qui est en train de se jouer. Les pays riches, soucieux de voir les émergents s’engager davantage dans la lutte contre le changement climatique, savent qu’ils ont une carte dans leur manche : un échec des négociations priverait après 2013 le monde en développement des flux financiers liés aux mécanismes de flexibilité. Les pays du Sud, de leur côté, réclament dès à présent davantage d’aides non seulement pour réduire leurs émissions, mais aussi pour affronter les effets désormais inévitables du changement climatique. Mais ils se sont vu refuser à Poznan le renforcement du fonds d’adaptation (voir encadré). La relève du protocole de Kyoto n’a donc aujourd’hui rien d’assuré. D’autant que, depuis l’ouverture des négociations, un séisme financier et économique mondial est passé par là.

Emissions de gaz à effet de serre et écarts par rapport aux engagements de Kyoto*
  • 1. Voir "Greenhouse Gas Emission Trends and Projections in Europe 2008", disponible sur www.eea.europa.eu

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