Éditorial

Arithmétique potagère

3 min

On n’additionne pas les patates et les tomates ! Qui ne s’est jamais fait rappeler cette règle élémentaire sur les bancs de l’école ? Pour pouvoir le faire, il faut les rapporter à une unité de mesure commune. Le kilo, par exemple. A l’échelle d’un pays, cela donne la méthode de comptabilité qui prévalait en Union soviétique. Maximiser la production, c’était produire le plus de kilos possible. Et comme les pommes de terre sont plus faciles à produire, les magasins regorgeaient de patates, mais il fallait se lever de bonne heure pour manger des tomates.

Les économies de marché utilisent une unité bien plus efficace : la monnaie. D’abord, elle permet d’additionner beaucoup plus de choses, des biens matériels, mais aussi du temps de travail, des informations, de l’art même. Dès qu’il y a un marché, il y a un prix, lequel varie selon l’offre et la demande et renseigne le producteur sur les goûts des consommateurs. Comptez la production maraîchère en monnaie plutôt qu’en kilo et les tomates réapparaîtront sur les étals.

Sauf que le prix n’a pas toutes les vertus dont on le pare. D’abord, il ne reflète pas les besoins de tous, mais seulement la demande de ceux qui ont les moyens. Ensuite, il n’intègre pas les externalités : ni l’épuisement des nappes phréatiques par excès d’arrosage, ni leur pollution par les engrais, ni la destruction des abeilles par les pesticides... Sans parler de ce qui n’a pas de prix, le plaisir de faire un joli potager fleuri pour sa consommation personnelle.

Résumé dans un carré de jardin, voilà à peu près le problème que les économistes de la commission Stiglitz " pour la mesure de la performance économique et du progrès social " se sont posé. Car les limites du produit intérieur brut (PIB) comme indicateur de richesse, de bien-être ou de progrès sont, pour l’essentiel, les mêmes que celles du prix comme expression de la valeur. Il y aurait pourtant bien d’autres manières de compter. Revenons à notre potager. Les nutritionnistes proposeront de compter le nombre de bouches bien nourries. Les climatologues préconiseront plutôt de mesurer la quantité de gaz à effet de serre émise pour produire et pour acheminer les légumes jusqu’à nos assiettes. Les hydrologues, la quantité d’eau utilisée ; les éthologistes, les espèces présentes dans le jardin... Et tous auront raison.

C’est pourquoi vous trouverez dans ce numéro des graphiques exprimés en nombre de morues, en kilos de riz par hectare ou en degrés Celsius. En plus de beaucoup d’autres en euros ou en dollars. Mais l’économiste arrive et dit : vous ne vous y retrouverez jamais dans cette inflation de chiffres, laissez-moi convertir tout cela en unités monétaires et tout sera plus simple. Les autres font la moue : quelle mesure commune entre les tonnes de CO2, les abeilles et les calories ? Aucune, en réalité. Aussi, la bonne vieille règle doit s’appliquer : on n’additionne pas les patates et les tomates.

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