Economie

Les déséquilibres sont-ils en train de se réduire ?

7 min

Avec la crise, les déséquilibres extérieurs se sont fortement réduits en 2009, mais la situation n'est pas réglée pour autant.

A quelque chose malheur est bon. La sagesse populaire s’applique semble-t-il à un problème que la crise paraît avoir en partie résolu : celui des déséquilibres dans les échanges extérieurs. De la fin des années 1990 jusqu’en 2007, l’économie mondiale a en effet été marquée par un creusement sans précédent des déficits de certains pays, tandis que d’autres accumulaient les excédents. Ces déséquilibres ont d’ailleurs contribué à la crise en incitant en particulier au surendettement américain. Leur réduction signifie-t-elle que les excès passés ont été " purgés " et que l’économie mondiale va repartir sur des bases saines ? Rien n’est moins sûr.

La montée des déséquilibres

Un déficit de la balance courante* apparaît quand un pays dépense plus en importations de biens et de services qu’il ne gagne par ses exportations. Il peut être financé par des entrées de capitaux en provenance d’autres pays. A l’échelle mondiale, les besoins de financement des uns sont donc compensés par les capacités de financement des autres. C’est d’ailleurs la principale justification de la globalisation financière que de permettre à l’épargne dégagée dans un pays d’aller s’investir dans un autre. Les déséquilibres de balance courante ne sont donc apparemment pas un problème, dans un monde où les capitaux circulent librement.

Balance courante, en milliards de dollars

Dans la décennie qui a précédé la crise, le déficit extérieur des Etats-Unis s’est creusé de façon spectaculaire, passant d’un peu plus de 100 milliards de dollars au milieu des années 1990 à 800 milliards en 2006, soit près de 6 % du produit intérieur brut (PIB) américain. Quelques autres pays, comme l’Espagne ou certains pays d’Europe centrale, ont eux aussi accumulé des déficits, encore plus importants rapportés à leur PIB. En valeur absolue, ils pesaient cependant beaucoup moins que le déficit américain.

Pour que certains pays soient en déficit, il faut bien que d’autres enregistrent des excédents. A l’Allemagne et au Japon, traditionnellement excédentaires, se sont ajoutés deux groupes de pays au cours des dernières années : les pays pétroliers, dont les excédents ont explosé avec la flambée de l’or noir entre 2002 et l’été 2008, et les pays du Sud-Est asiatique. A la suite de la crise de 1997, ces derniers ont en effet profité de la dépréciation de leur monnaie pour renforcer leur stratégie de croissance tirée par les exportations. Dans le même temps, ils ont accumulé des réserves de change, pour éviter à l’avenir d’avoir à nouveau à subir la tutelle humiliante du Fonds monétaire international. Cette stratégie a été adoptée à grande échelle par la Chine dans les années 2000. Rapidement, l’excédent chinois est devenu la principale contrepartie du déficit américain, dépassant en 2006 l’excédent japonais et celui du Moyen-Orient dans son ensemble en 2007.

Cette situation pouvait paraître a priori mutuellement bénéfique : elle permettait aux Etats-Unis de vivre au-dessus de leurs moyens en profitant de l’excédent d’épargne des Chinois ; elle permettait à la Chine d’engranger un taux de croissance à deux chiffres, fondé sur le dynamisme de ses exportations, tout en plaçant son épargne excédentaire dans des actifs américains " sans risque ". L’alliance du consommateur américain et de l’exportateur chinois a en tout cas dopé un temps la croissance mondiale, qui a été proche de 5 % en moyenne entre 2004 et 2007.

Un risque peut en cacher un autre

L’équilibre était cependant précaire. Le déficit croissant des Etats-Unis provoquait une dépréciation incontrôlée du dollar. Mais la crise n’a pas surgi d’une désaffection brutale des investisseurs internationaux à l’égard du billet vert, contrairement à ce que beaucoup attendaient : la limite à l’endettement américain n’est pas venue de l’extérieur, mais de l’intérieur.

Les déséquilibres extérieurs des Etats-Unis ne sont en effet que le reflet de déséquilibres intérieurs. Le déficit courant américain du début des années 1980 correspondait à un besoin de financement public (le keynésianisme militaire de la relance opérée par le président Ronald Reagan) ; celui des années 1990 était la conséquence d’un besoin accru de financement des entreprises (accélération de l’investissement dans la " nouvelle économie ") ; enfin, celui des années 2000 était lié aux ménages, qui se sont endettés massivement pour acheter des maisons.

Qui leur a prêté ? A première vue, des établissements financiers américains. Mais toute l’ingéniosité des banques a consisté à transformer ces prêts risqués en actifs réputés sans risque vendus ensuite aux investisseurs du monde entier. Elles n’ont pu le faire que parce qu’au même moment, d’énormes surplus d’épargne dans les pays excédentaires étaient précisément en quête d’actifs américains sans risque. Sans les excédents accumulés par les pays pétroliers et la Chine, l’emballement des subprime n’aurait donc pas été possible.

Et maintenant ?

Affaire classée ? Avec la crise, les déséquilibres extérieurs se sont fortement réduits en 2009. Aux Etats-Unis, comme dans les autres pays en déficit, le taux d’épargne des ménages est nettement remonté et la demande privée a considérablement ralenti. Résultat : le déficit extérieur s’est résorbé de plus de la moitié. Symétriquement, la chute du commerce mondial a fait fondre les excédents de l’Allemagne et du Japon.

Mais le problème est-il réglé pour autant ? Pas vraiment. Il reste l’épreuve de la reprise. Une croissance mondiale plus équilibrée supposerait que les consommateurs allemands, japonais et surtout chinois prennent durablement le relais des Américains. Aujourd’hui, la consommation ne représente que 35 % du PIB en Chine, contre 70 % aux Etats-Unis. Mais pour que les Chinois consomment une part plus importante de leurs revenus, autrement dit, pour qu’ils réduisent leur épargne, il leur faudrait d’abord un vrai système de protection sociale, qui les protège efficacement contre les aléas de la vie. Il faudrait aussi un système financier plus efficace qui leur prête de l’argent pour leurs projets.

Par ailleurs, la hausse de l’épargne chinoise est avant tout imputable aux profits très élevés réalisés par les entreprises depuis quelques années. Il faudrait donc aussi un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux salariés. Ce qui supposerait une démocratie politique et sociale... inexistante en Chine. Autant de changements lourds qui rendent un rééquilibrage de la croissance chinoise difficile à envisager à court terme. Il est donc à craindre que les autorités chinoises poursuivent leur stratégie de croissance tirée par les exportations et qu’elles s’opposent en particulier à une appréciation du yuan, qui serait susceptible de la freiner.

Zoom Le yuan, monnaie sous influence

Dans un monde où les capitaux circulent librement et où les autorités monétaires laissent les marchés fixer le cours des devises, l’évolution des taux de change devrait normalement rééquilibrer les balances des paiements. En effet, les échanges internationaux donnent lieu à des transactions sur le marché des changes. Par exemple, l’achat de marchandises produites en Chine par un importateur américain suscite une demande de yuans en échange de dollars. Si les importations américaines en provenance de Chine excèdent ses exportations à destination de ce pays, la demande de yuans contre des dollars devrait être supérieure à celle de dollars contre yuans, et la monnaie chinoise devrait s’apprécier vis-à-vis de la devise américaine. Cette appréciation devrait renchérir les exportations chinoises et ramener sa balance courante vers l’équilibre. Mais pour éviter cette appréciation, la banque de Chine achète massivement des actifs en dollars (par exemple des bons du Trésor émis en grande quantité pour financer le déficit public américain), ce qui augmente la demande de dollars sur le marché des changes.

Dès 2004, les partenaires occidentaux de la Chine ont vu dans cette accumulation de réserves en dollars le signe d’une manipulation à grande échelle de la monnaie chinoise visant à la sous-évaluer artificiellement. Sous leur pression, la Chine avait accepté en 2005 une appréciation modérée et contrôlée du yuan vis-à-vis du dollar. Avec des effets pervers considérables : non seulement cette appréciation n’a pas suffi à limiter l’excédent courant, mais elle a attiré aussi une masse de capitaux à court terme venue tenter le pari (facile) d’une appréciation du yuan. Face à la crise, les autorités chinoises sont revenues à un ancrage fixe de leur monnaie au dollar en 2008, à la fois pour soutenir leurs exportations et pour limiter les risques liés à ces capitaux spéculatifs.

Comme avant la crise, la valeur future du dollar reste un sujet d’inquiétude. Même si le déficit américain s’est réduit, il reflète désormais un besoin de financement public. Or, contrairement à celle des ménages, la dette de l’Etat est détenue directement par des investisseurs étrangers, dont on connaît l’humeur volatile. A cet égard, le rôle de la Chine paraît plutôt stabilisateur pour l’instant. La masse de réserves qu’elle détient (2 300 milliards de dollars en septembre dernier, soit la moitié des richesses produites par le pays en 2009) lui confère certes un droit de vie ou de mort sur le billet vert. Mais elle lui donne aussi une raison supplémentaire - patrimoniale en plus de commerciale - de ne pas le laisser dégringoler. Avec cependant certains " dégâts collatéraux " : la zone euro pourrait bien faire les frais de cette collusion des intérêts chinois et américains si la monnaie européenne s’apprécie vis-à-vis des deux devises à la fois.

Mais la principale menace réside sans doute, une fois encore, dans les déséquilibres internes que la globalisation financière autorise. Car les excédents des uns impliquent nécessairement que d’autres s’endettent encore au-delà du raisonnable ailleurs dans le monde. Quelle nouvelle bulle la surépargne chinoise gonflera-t-elle demain ? Les paris sont ouverts.

* Balance courante

Sous-ensemble de la balance des paiements, qui regroupe les échanges de biens et de services, les revenus et les transferts à destination ou en provenance de l'étranger.

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