Economie

L’économie mondiale entre déflation et inflation

7 min

L'inflation revient un peu dans certains pays et sur certains marchés, mais globalement ce sont toujours les tendances déflationnistes qui dominent.

L’inflation est-elle de retour ? Au vu de la flambée de l’or (+ 25 % en 2009), de la remontée des prix des produits de base et du resserrement annoncé des politiques monétaires, on pourrait le craindre. Pourtant, la hausse annuelle de l’indice des prix à la consommation dépassait à peine 1 % fin 2009 dans les pays développés, après avoir été négative pendant la majeure partie du second semestre. Cette hausse est notamment imputable au rebond des prix de l’énergie. L’inflation sous-jacente, qui élimine l’incidence des fluctuations des prix de l’énergie et des produits alimentaires, s’est légèrement redressée à 1,8 % aux Etats-Unis, tandis qu’elle se situe toujours sur une pente déclinante dans la zone euro (1,1 % en décembre 2009). En réalité, si des pressions inflationnistes semblent réapparaître dans certains pays, l’économie mondiale dans son ensemble continue surtout d’être travaillée par des tendances déflationnistes profondes.

Des cas de figure différents

Un tableau rapide de l’inflation fin 2009 fait apparaître quatre catégories de pays (voir graphique). Un premier groupe est composé d’économies émergentes tels le Brésil, l’Inde ou la Russie, où l’accélération de l’activité et la hausse des prix des produits de base entraînent un redressement des taux d’inflation à partir d’un niveau élevé. S’y ajoute, parmi les économies développées, l’Islande qui subit encore les effets de la forte dépréciation de son taux de change (- 40 % en 2009).

Taux d’inflation en décembre 2009 en glissement annuel et variation des prix sur six mois au deuxième trimestre 2009 en rythme annuel, en %

Dans un second groupe, composé notamment de l’Australie, de la Norvège, du Royaume-Uni, des Etats-Unis et de la Chine, les taux d’inflation se redressent nettement depuis quelques mois, conduisant les banques centrales à relever leur taux d’intérêt (Australie, Norvège), à amorcer une sortie progressive des programmes de détente quantitative mis en place au plus fort de la crise financière (Etats-Unis, Royaume-Uni) ou encore à réduire la liquidité bancaire (Chine). Différents facteurs sont à l’origine de cette accélération de l’inflation dans ces pays : la bulle du crédit et les signes de surchauffe en Chine, le boom des exportations de produits de base dans le cas de l’Australie et en Norvège, le relèvement de la TVA au Royaume-Uni, l’impact de la détente quantitative et de la dépréciation des monnaies au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Le troisième groupe de pays est composé pour l’essentiel du noyau dur de la zone euro (Allemagne, France, Italie, Autriche, Espagne). Il fait face à des pressions déflationnistes persistantes. Celles-ci résultent pour une part de la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), moins expansive que celle de la Fed et de la Banque d’Angleterre et qui a provoqué une appréciation importante de l’euro à partir de mars 2009. L’atonie de la demande intérieure, sous l’effet notamment du credit crunch* et de la dégradation du marché du travail, fait d’autre part pression sur les prix à la consommation : leur progression était contenue en deçà de 1 % en fin d’année, malgré la remontée des prix de l’énergie.

Le dernier groupe est formé de pays à inflation négative fin 2009. Outre le Japon (voir encadré), il comprend l’Irlande, la Finlande et le Portugal auxquels s’ajoutent, lorsqu’on prend en compte les évolutions récentes, la Belgique, la Suisse, le Canada, les Pays-Bas et le Danemark.

Zoom Japon : le retour de la déflation

Le Japon n’a émergé en 2008 de douze ans de déflation que pour y replonger en 2009. De tous les pays développés, c’est le seul, avec l’Irlande, dont le taux d’inflation sous-jacente ne s’est pas redressé au second semestre 2009 (- 1 % fin 2009), et ce en dépit d’une politique active de détente quantitative.

Une première série d’éléments explicatifs renvoie aux évolutions conjoncturelles : la sévérité de la récession (- 7 % de PIB sur un an au premier trimestre 2009), l’ampleur des capacités de production inutilisées et l’appréciation du yen (+ 20 % vis-à-vis du dollar depuis l’été 2008).

A ces éléments s’ajoutent des facteurs plus structurels tels la flexibilité des salaires à la baisse dans les phases de récession, qui fait pendant à la rigidité de l’emploi : en 2009, les salaires nominaux japonais ont reculé de 2,7 % d’après l’OCDE et se situaient 10 % en dessous de leur niveau de 1995. A titre de comparaison, les salaires ont baissé l’an passé de 0,8 % (mais + 64 % depuis 1995) aux Etats-Unis, tandis qu’ils progressaient de 0,8 % dans la zone euro (+ 32 % depuis 1995). En outre, l’accoutumance des consommateurs à la baisse des prix tend à entretenir les tendances déflationnistes. En novembre 2009, la Banque du Japon annonçait officiellement que l’économie était retombée dans la déflation et que les prix continueraient vraisemblablement à baisser jusqu’en 2012. Ce qui l’amenait à réactiver son programme de détente quantitative.

La résurgence des risques inflationnistes

Si l’on met à part le cas particulier de l’Islande et des pays exportateurs de produits de base, le débat sur les risques d’accélération de l’inflation est concentré pour l’essentiel sur la Chine et les pays anglo-saxons (Royaume-Uni et Etats-Unis). Dans ces deux derniers pays, il est notamment nourri par les craintes relatives à l’abondance des liquidités créées par les Banques centrales dans le cadre des politiques de détente quantitative. Ces craintes reposent à la fois sur la prégnance des approches monétaristes dans les milieux financiers et, aux Etats-Unis, sur la dépréciation du taux de change (- 16 % en termes effectifs entre mars et novembre 2009) que la politique ultra-expansive de la Fed semble avoir encouragée.

Lancés au dernier trimestre de 2008, les programmes de détente quantitative ont provoqué un doublement du bilan de la Fed et un triplement de celui de la Banque d’Angleterre. Bien qu’une grande partie des liquidités ainsi créées soient conservées sous formes de réserves par les banques auprès de la Banque centrale, le risque existe qu’elles alimentent une nouvelle bulle de crédit en cas d’accélération de l’activité. Jusqu’à présent, la décélération continue du crédit aux Etats-Unis montre que ce risque est loin de se concrétiser. Il est toutefois suffisamment sérieux pour inciter la Fed à préciser depuis novembre 2009 le timing et les modalités de l’arrêt prochain de la détente quantitative aux Etats-Unis 1.

Au Royaume-Uni, le redressement de l’inflation fin 2009 au-dessus de la barre officielle des 2 % est attribué par la Banque centrale aux accès de faiblesse de la livre sterling depuis la fin de l’été. Avec le relèvement de la TVA (+ 2,5 points) au 1er janvier 2010, le rythme de hausse des prix a toutes les chances de rester au voisinage des 3 % pendant plusieurs mois, mais cet effet devrait être temporaire, sauf nouvelle plongée de la livre. L’économie anglaise émergeant seulement de la récession, la sortie de la détente quantitative pourrait intervenir plus tardivement dans ce pays 2.

La situation est radicalement différente en Chine, où l’accélération de l’activité à partir du printemps 2009 a ramené la progression du produit intérieur brut (PIB) au-dessus de 10 % au quatrième trimestre 2009. Après neuf mois en zone négative, le taux d’inflation se redresse rapidement depuis novembre, et pourrait atteindre, selon certains prévisionnistes, 5 % à la fin du premier semestre 2010. Cette évolution est mise sur le compte de la croissance exceptionnellement rapide du crédit (+ 32 % en 2009). Elle entraîne d’ores et déjà une réaction sévère des autorités, qui ont relevé début janvier leurs taux d’intérêt et qui ont agi directement sur la liquidité bancaire en augmentant le niveau des réserves obligatoires des banques.

La prégnance des pressions Déflationnistes

Hormis les cas particuliers du Royaume-Uni, de l’Islande et du Japon, la hiérarchie des risques inflationnistes reflète très précisément la géographie de la reprise mondiale : elle est forte dans les économies émergentes, moyenne dans les pays anglo-saxons et pratiquement nulle dans les pays de la zone euro. Ceux-ci présentent la particularité d’avoir enregistré, en dehors du Japon, le recul de l’activité le plus marqué (- 5 % en rythme annuel au second trimestre 2009), la politique monétaire la moins expansive et les plans de relance budgétaires les moins ambitieux. A cela s’ajoute l’appréciation de l’euro qui empêche la zone de tirer pleinement partie de la reprise du commerce international.

Handicapée par la déflation du crédit et un taux de chômage qui pourrait atteindre 11 % courant 2010, selon les prévisions de l’OCDE, la demande intérieure a toutes les chances de stagner en 2010, pesant sur les prix à la consommation et plus encore sur les prix à la production, qui étaient inférieurs fin 2009 à leur niveau moyen de 2007. Difficile dans ces conditions de sous-estimer la prégnance des pressions déflationnistes. Celles-ci sont déjà clairement à l’oeuvre en Irlande, en Finlande et au Portugal, et pourraient s’étendre rapidement à la Grèce, à l’Espagne et à l’Italie avec la mise en oeuvre des plans d’austérité budgétaire exigés par les marchés financiers et les institutions européennes (Commission et Banque centrale).

Au-delà de la zone euro, l’ampleur des capacités de production inutilisées à l’échelle mondiale et la perspective d’une lente résorption des stocks d’endettement accumulés par les ménages et les institutions financières dans les années 2000 font pencher clairement la balance des risques dans les économies développées du côté de la déflation. La hausse des prix des produits de base, et notamment du pétrole, constitue le seul contrepoids sérieux à cette tendance de fond. Sur ce point, comme sur bien d’autres, la clé du problème résidera certainement dans l’évolution de la croissance chinoise.

  • 1. Voir page 12 et " La Réserve fédérale sur la corde raide ", Alternatives Economiques n° 288, février 2010, disponible dans nos archives en ligne.
  • 2. Voir " La Banque d’Angleterre peut-elle sauver le Royaume-Uni ", Alternatives Economiques n° 286, décembre 2009, disponible dans nos archives en ligne.
* Credit crunch

Situation dans laquelle le crédit cesse d'être disponible si ce n'est à des taux prohibitifs.

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