Economie

Que peut-on faire face au chômage ?

6 min

La remontée du chômage pourrait être atténuée, mais par des mesures qui obligent à revenir sur les politiques mises en place ces dernières années.

En décembre 2009, on comptait 866 000 inscrits de plus à Pôle emploi qu’en décembre 2007 (inscrits en catégories A, B, C, D et E). Il y a tout lieu de penser que cette vague ne va pas refluer de sitôt. En effet, la reprise est lente. Les entreprises qui avaient souvent fait le dos rond au coeur de la tempête continuent à ajuster leurs effectifs à la baisse pour rattraper le retard pris en termes de productivité (voir encadré). En outre, ce retour du chômage de masse intervient malgré le papy-boom et les nombreux départs en retraite qui devaient stimuler le marché du travail. Du coup, cette remontée risque d’avoir un effet particulièrement délétère sur une société déjà très fragilisée. Elle pourrait aussi tuer la reprise économique elle-même en comprimant la consommation des ménages, principal ressort jusqu’ici de l’activité. Bref, il faut absolument réussir à limiter les dégâts. Il n’y a certes pas de remède miracle, mais des moyens éprouvés existent : réduction du temps de travail, emplois aidés, emplois publics... Encore faut-il vouloir les adopter.

Zoom La productivité victime de la baisse de l’activité

Pourquoi l’emploi continue-t-il de diminuer alors que la France est sortie de la récession depuis le second trimestre 2009 ? L’emploi s’ajuste toujours avec retard aux évolutions de l’activité. A la baisse comme à la hausse. Mais cet effet est particulièrement marqué aujourd’hui. La chute spectaculaire de l’emploi à laquelle on a assisté en 2009 est en effet loin de refléter l’ampleur de la baisse d’activité. On s’en rend compte en mesurant la productivité, c’est-à-dire la quantité de richesses produite par chacun de ceux qui occupent un emploi.

Au premier trimestre 2009, elle était plus faible de 2,6 % qu’au premier trimestre 2008. Or, en temps normal, on parvient au contraire chaque année à produire un petit peu plus de richesses avec autant de travail, grâce à de nouvelles machines, une meilleure organisation, etc. D’ordinaire, le niveau de ces gains de productivité est de l’ordre de 1,5 % par an, en France. Quand on se situe à - 2,6 %, cela signifie que les effectifs employés sont trop importants, à hauteur de 4 % environ par rapport à la normale. Ces sureffectifs sont notamment liés au recours massif au chômage partiel et à la souplesse donnée aux entreprises par les accords sur les 35 heures, qui ont permis de cumuler les réductions du temps de travail (RTT) à ce moment-là et d’éviter ainsi des licenciements.

Malgré l’aide de la puissance publique au chômage partiel, cette situation ne peut cependant pas s’éterniser : les salariés sous-employés pèsent négativement sur la rentabilité des entreprises, au moment où celles-ci peinent à obtenir des crédits auprès des banques et ont le plus grand besoin de les rassurer, ainsi que leurs clients et leurs fournisseurs, sur leur viabilité. En effet, la part des profits dans la valeur ajoutée des entreprises (les sociétés non financières) avait plongé à 30,1 % au premier trimestre 2009, un record à la baisse depuis 1985. C’est pourquoi, bien que l’économie française soit sortie de la récession dès le second trimestre 2009, les suppressions d’emplois se sont poursuivies depuis, et se poursuivront cette année, à un rythme élevé.

Fin 2009, le rattrapage était en effet encore loin d’être terminé : au troisième trimestre, la productivité était toujours inférieure de 0,9 % par rapport au troisième trimestre 2008. Autrement dit, au niveau actuel de production, les effectifs employés par l’économie française sont encore trop importants de l’ordre de 2,5 %, soit 580 000 emplois, si on prend en compte 1,5 % de gains de productivité potentiels annuels. Sauf si des mesures très volontaristes sont adoptées, il y a tout lieu de redouter non seulement une reprise économique sans emploi, mais aussi une poursuite de la montée du chômage.

Nombre d’inscrits à Pôle emploi, en millions

Où en est le marché du travail ?

En 2008, l’économie française avait déjà perdu 37 000 emplois, selon l’Insee. En 2009, ce sont 378 000 emplois qui ont été supprimés, soit une baisse de 1,8 % en deux ans. Un niveau très supérieur à celui enregistré en 1993 (- 215 000) et en 1984 (- 268 000), les deux précédents records en la matière. Sans surprise, c’est d’abord l’industrie qui a été touchée (- 269 000 emplois entre début 2008 et fin 2009). Mais le bâtiment et, situation inédite, les services (hors intérim) ont, eux aussi, connu des pertes massives.

Pour mesurer l’impact de ces pertes sur le chômage, il faut tenir compte de l’évolution du nombre des personnes qui ont ou cherchent un emploi, ce qu’on appelle la population active. La crise de 2008-2009 est intervenue au moment où le papy-boom battait son plein : alors que le groupe des 15-59 ans augmentait encore de plus de 200 000 personnes par an au début des années 2000, il baisse désormais depuis 2007 : - 118 000 personnes en 2009 (et probablement - 85 000 en 2010). Pourtant, la population active, elle, continue d’augmenter : + 67 000 personnes en 2008 et + 75 000 en 2009, selon l’Insee. C’est le résultat, d’une part, de la hausse du taux d’activité des femmes (le pourcentage de celles qui cherchent ou ont un emploi continue de monter malgré la crise) et, de l’autre, de celui des 55-64 ans, passés de 42,2 % début 2003 à 44,8 % au troisième trimestre 2009.

Avec cette augmentation de la population active, le contrecoup de la crise sur le chômage est massif. Après une hausse de 104 000 chômeurs en 2008, on devrait avoir enregistré, selon l’Insee, une augmentation de 453 000 chômeurs en 2009. Un niveau inégalé : le chômage n’avait bondi " que " de 307 000 personnes en 1984 et de 276 000 en 1993.

Cette hausse a touché surtout les hommes. Entre janvier 2008 et octobre 2009, 468 000 hommes supplémentaires ont dû s’inscrire à Pôle emploi, contre 236 000 femmes. En termes d’âge, ce sont les jeunes hommes de moins de 25 ans qui sont les plus touchés : leur nombre a bondi de 35 % entre octobre 2008 et octobre 2009. Et 115 000 chômeurs de plus devraient rejoindre Pôle emploi au premier semestre 2010, selon l’Insee. Le chômage de longue durée (plus d’un an) augmente quant à lui quasiment au même rythme que le chômage lui-même. Et plus cette situation dégradée se prolonge, plus le nombre de chômeurs qui arrivent en fin de droits grandit : ils devraient être près d’un million cette année.

Que faire ?

Le retour de la croissance est bien sûr la variable essentielle pour inverser la courbe du chômage. Mais, au-delà, ne peut-on pas " enrichir la croissance en emplois ", comme disent les économistes ? En abaissant par exemple le coût du travail. C’est ce qu’a fait le gouvernement en supprimant les cotisations sociales des salariés recrutés au niveau du Smic dans les entreprises de moins de dix salariés. En décembre dernier, 740 000 emplois en avaient bénéficié, selon le gouvernement. Le chiffre est élevé, mais pour une bonne part lié à ce qu’on appelle un " effet d’aubaine " : ce type de mesure coûte en effet très cher aux finances publiques, alors que la plupart des emplois qui en bénéficient auraient été créés même sans ces allégements.

Autre manière de créer des emplois : inciter les gens à se mettre à leur compte. 580 000 entreprises ont vu le jour l’an dernier, contre 331 000 en 2008, soit une hausse de 75 % malgré la crise, grâce notamment au succès du nouveau statut d’auto-entrepreneur. Malheureusement, si ces créations d’entreprises soulagent temporairement les statistiques du chômage, la grande majorité d’entre elles ne survivront pas : dans un tel contexte, beaucoup de ceux qui se sont lancés dans l’aventure connaîtront de grandes difficultés personnelles et financières. Outre le fait que l’économie française se caractérise déjà par un trop grand nombre d’entreprises trop petites...

De même que l’Etat endosse le rôle de banquier en dernier ressort lorsque le système financier risque de s’écrouler, il peut et doit aussi être l’employeur en dernier ressort lorsque le chômage menace de plonger l’économie et la société dans la crise. Cela peut prendre la forme de la création d’emplois publics. Il faut naturellement être prudent : compte tenu de la protection statutaire dont bénéficient ces emplois, ces créations sont difficilement réversibles. Mais pour l’instant le problème ne se pose pas : le gouvernement entend, au contraire, supprimer 30 000 emplois dans la fonction publique (dont 16 000 à l’Education nationale), soit le plus grand plan social du pays.

Cette fonction d’employeur en dernier ressort peut aussi prendre la forme d’emplois aidés, plus facilement réversibles que les emplois statutaires. Ce n’est pas l’idéal, mais ils sont utiles à différents titres : pour limiter l’impact désocialisant du chômage sur les personnes ; pour aider à modifier les " files d’attente " des chômeurs en donnant une chance de revenir dans l’emploi à celles et ceux qui en ont a priori très peu ; enfin, pour permettre à certaines activités d’exister, notamment dans le secteur non lucratif. Après avoir beaucoup réduit le nombre de ces emplois aidés, le gouvernement a rouvert les vannes en 2009. Mais on reste encore loin du compte : selon l’Insee, après avoir baissé de 63 000 en 2008, leur nombre n’est remonté que de 48 000 en 2009.

Dans les circonstances actuelles, la réduction du temps de travail pourrait, elle aussi, limiter le nombre de chômeurs. Mais loin d’aller dans ce sens, le gouvernement continue d’encourager les salariés à faire des heures supplémentaires à grand renfort d’argent public. Un emploi coûte en moyenne 40 000 euros par an, charges comprises. Les 4 milliards d’euros dépensés pour subventionner les heures supplémentaires permettraient donc de financer entièrement 100 000 emplois supplémentaires...

Enfin, plus délicat, une autre forme de réduction du temps de travail est envisageable : une des politiques traditionnelles face aux poussées du chômage de masse consiste à encourager les salariés les plus âgés à anticiper leur départ en retraite afin de donner la priorité aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Les problèmes de financement de la protection sociale sont réels, mais, au vu de l’évolution récente du chômage et compte tenu de l’absence de perspectives d’amélioration à court terme, il convient probablement de revenir, en partie et provisoirement, sur la politique qui a consisté toutes ces dernières années à limiter au maximum ces départs anticipés. Au point que le nombre de départs en retraite a été, contre toute attente, inférieur en 2009 à ce qu’il avait été en 2008.

Bref, il existe des moyens pour freiner la montée du chômage, mais leur mise en oeuvre à grande échelle impliquerait de remettre en cause certains dogmes au vu de la gravité de la crise...

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