Economie

Qu’est-ce qu’une politique industrielle efficace ?

7 min

Conserver les entreprises sur le territoire, " booster " l'innovation..., l'Etat français s'est donné plusieurs outils pour y parvenir. Sans garantie de résultats.

La scène a quelque chose d’irréel : en septembre dernier, lors de l’Université du Medef, grands patrons et ministres se félicitaient de l’ambition renouvelée de l’Etat en matière de politique industrielle. "Imaginez qu’on ait eu ce débat ici il y a seulement deux ans !", s’échauffait alors Henri Guaino, le conseiller spécial du président de la République. Il n’y a pas si longtemps en effet, l’intervention de l’Etat dans les affaires industrielles était jugée au mieux ringarde, au pire néfaste, et les entreprises n’aspiraient qu’à se débarrasser de cette tutelle embarrassante. Mais les difficultés de l’industrie française à l’exportation et la crise sont passées par là. Face aux pertes d’emplois et au risque de voir disparaître définitivement nombre d’activités, l’Etat s’est progressivement doté de toute une batterie de nouveaux outils pour façonner et soutenir l’appareil industriel. Sans garantie de succès.

Préserver les champions nationaux

Comment empêcher que les centres de décision des entreprises et les activités à forte valeur ajoutée qui leur sont associées (recherche et développement ou R&D, conseil, activités juridiques, banques d’affaires...) ne migrent en dehors du territoire français au gré des fusions-acquisitions ? Réponse : en se mêlant du devenir des champions nationaux. La vague de privatisations, enclenchée en 1986 et intensifiée à partir de 1993, mais aussi les scandales, comme celui du Crédit lyonnais, avaient ramené progressivement l’Etat au rôle d’observateur des grandes manoeuvres industrielles.

Depuis le sauvetage d’Alstom en 2003, il est cependant revenu aux manettes. Il a notamment multiplié les mariages arrangés afin de sauver des champions français des attentions trop pressantes de concurrents étrangers. Dernier en date : Areva T&D, apparié avec Schneider-Electric, pour éviter un rachat par l’américain General Electric ou le japonais Toshiba. Ce patriotisme économique produit cependant des effets collatéraux plutôt dommageables. Ainsi, lorsque l’Etat a favorisé le rachat du laboratoire pharmaceutique Aventis par son concurrent Sanofi, c’est une entreprise véritablement européenne, fruit d’un compromis franco-allemand, qui a disparu. C’est donc un mauvais signal envoyé par la France à ses partenaires, qui seront tentés de lui rendre la pareille à la première occasion...

Avec la crise, l’Etat s’est aussi doté d’un outil spécifique pour entrer au capital des entreprises jugées stratégiques et les maintenir sous pavillon français : le Fonds stratégique d’investissement (FSI), sorte de fonds souverain à la française doté de 20 milliards d’euros. En un an, 1,4 milliard d’euros ont été investis dans des entreprises comme l’équipementier Valeo, le fabricant de cartes à puces Gemalto ou le spécialiste du câblage Nexans. Le caractère stratégique de certains de ses investissements a parfois été critiqué et le FSI a dû se défendre de servir surtout de béquilles à tous les canards boiteux de l’industrie française.

Même si ces prises de participation publiques ne sont pas gérées directement par lui, l’Etat va devoir se poser la question de ses priorités. Se comportera-t-il comme n’importe quel actionnaire soucieux de la rentabilité de l’entreprise ou influera-t-il sur sa stratégie pour qu’elle concoure à des objectifs d’intérêt général, via ses efforts en matière d’investissement, d’innovation ou d’emploi ? Ou bien restera-t-il un actionnaire " dormant ", avec tous les risques de dérives observés par le passé, lorsque l’Etat n’a pas exercé de réel contrôle ?

De ce point de vue, le gouvernement envoie actuellement des signaux contradictoires, au gré de l’actualité. D’un côté, il menace Renault d’augmenter sa participation dans le capital si le constructeur décide d’assembler la nouvelle Clio à Bursa, en Turquie, et non dans son usine de Flins, dans les Yvelines. Alors même que la spécialisation de Renault dans le segment très concurrentiel des petites voitures l’oblige à rechercher des conditions de production plus favorables. De l’autre, l’Etat n’a pas renoncé cette année à toucher les dividendes de ses participations dans les entreprises dont il est actionnaire (Air France-KLM, EADS, France Télécom, EDF...). Plutôt que d’exiger un taux de distribution des bénéfices en ligne avec ce qui se fait dans les entreprises du CAC 40, on aurait pu imaginer qu’il modère son appétit pour que ces entreprises puissent jouer un rôle contra-cyclique dans la crise : en investissant, en augmentant les salaires, en embauchant, etc.

Le retour des grands programmes

Comment reprendre pied dans le domaine des technologies de pointe ? Le grand emprunt lancé début 2010 ressuscite notamment les grands programmes : l’Etat veut ainsi mettre le paquet pour aider les " filières d’excellence " françaises - l’aéronautique et l’automobile - à accoucher d’innovations qui conforteront son avance technologique. Au programme : " avion du futur" faiblement émetteur en CO2 et voiture électrique. Le risque de ces grands programmes pilotés par l’Etat est de pousser l’industrie française à faire cavalier seul dans des voies technologiques qui se révéleront au final des impasses industrielles et commerciales. Ainsi en a-t-il été par le passé avec l’énergie nucléaire ou le Concorde.

Ces politiques de grands programmes présentent aussi le défaut de privilégier trop les grands groupes au détriment du reste du tissu industriel. C’est pourtant du côté de ses PME que se trouve une des principales faiblesses du tissu industriel français quand on le compare en particulier à celui de l’Allemagne : la France manque de PME suffisamment grosses pour avoir des moyens financiers et humains suffisants pour innover et prendre des parts de marché dans le commerce international, y compris face aux grands groupes. Comme le montre par exemple le succès récent d’une petite entreprise familiale allemande, OHB, qui a raflé au nez et à la barbe du géant franco-allemand EADS l’appel d’offres lancé par l’Agence spatiale européenne pour la fabrication de satellites dans le cadre du projet Galileo. Par comparaison, les PME françaises apparaissent plus petites, moins innovantes et elles ont beaucoup souffert de l’intensification de la concurrence internationale depuis le début de la décennie.

Zoom A chaque région son " cluster "

Le lancement en 2004 des pôles de compétitivité a été un moment clé du grand retour de la politique industrielle. L’Etat a labellisé alors 71 pôles répartis sur tout le territoire, associant entreprises, laboratoires de recherche publics et privés et organismes de formation autour de projets innovants. Il s’agit de créer à chaque fois une logique dite de " cluster ", c’est-à-dire de favoriser la naissance d’un écosystème innovant qui ancre les entreprises dans un territoire donné.

Cette politique hésite cependant entre la tentation de concentrer les moyens sur les projets les plus prometteurs (le plus souvent là où une logique de cluster existe déjà en pratique) et la volonté de ne pas laisser de côté des portions entières du territoire (alors que les chances de créer un cluster de toutes pièces sont très faibles). Malgré ces limites, ce système semble avoir contribué à décloisonner l’univers de la recherche publique et celui de la recherche privée, comme à enrichir le dialogue entre grandes entreprises et PME sous-traitantes, traditionnellement plutôt cantonné, en France, à la discussion des prix.

Afin de booster les dépenses de recherche et développement des entreprises, traditionnellement faibles en France, le gouvernement privilégie le dispositif du crédit impôt recherche, qui permet de déduire de l’impôt sur les bénéfices ses dépenses de R&D. Il ne cesse depuis quelques années de le réformer pour l’étendre. Mais, là encore, cette déduction fiscale profite jusqu’ici aux grandes entreprises plus qu’aux PME.

Autre voie explorée : le soutien financier direct à la croissance des PME. Celle-ci reste en effet très difficile en France, faute notamment de financement. Les banques s’intéressent peu à ce type d’aventures, jugées trop gourmandes en capitaux et trop risquées. Tandis que le capital-risque reste limité. D’où les moyens supplémentaires affectés à Oseo, la banque publique des PME, et à un fonds dédié à cette fin. Il est trop tôt pour juger de l’efficacité de ces mesures, mais il est probable que l’effort soit insuffisant, en l’absence d’une implication plus grande des banques traditionnelles et d’une mobilisation de l’épargne des ménages. Celle-ci reste orientée en priorité vers le financement de la dette publique, notamment via l’assurance-vie.

L’essentiel, c’est l’environnement

Mais une bonne politique industrielle ne consiste-t-elle pas au fond surtout à fournir un environnement de qualité aux entreprises ? La qualité de la main-d’oeuvre (et donc du système d’enseignement et de formation), celle des infrastructures ou la stabilité du cadre juridique et fiscal sont en effet primordiaux à la fois dans les décisions de localisation des entreprises existantes et dans la capacité d’un territoire à en faire émerger de nouvelles.

Le patronat a tendance à se focaliser sur un seul point : abaisser les charges qui pèsent sur les entreprises. Après avoir obtenu la suppression de la taxe professionnelle, il cherche désormais à réduire le financement des régimes sociaux. C’est oublier que les autres caractéristiques jouent certainement un plus grand rôle pour l’attractivité d’un territoire, comme le montre la bonne résistance de certains pays nordiques conjuguant dynamisme économique et niveau de prélèvements obligatoires élevés. A cet égard, la volonté affichée par le gouvernement de réduire coûte que coûte les effectifs dans l’Education nationale, alors même que le système scolaire français affiche des performances plutôt médiocres, du fait notamment de taux d’encadrement trop faibles en maternelle ou en primaire, constitue plutôt un mauvais signal.

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet