Economie

La finance est-elle sous contrôle ?

7 min

Le contrôle des risques liés aux marchés financiers progresse lentement. Des règles plus contraignantes se mettent en place pour les banques.

Lors de leur réunion d’avril 2009, les dirigeants politiques du G20, le groupe qui rassemble les principaux pays riches et émergents, ont affirmé leur volonté de mettre en place un nouveau cadre réglementaire destiné à atténuer, si ce n’est à éviter, les dérapages de la finance et leurs conséquences négatives sur la croissance et l’emploi. Près d’un an après, cet engagement est-il effectivement mis en oeuvre ? Le contrôle des risques liés aux marchés financiers avance lentement. En revanche, un nouveau cadre réglementaire plus contraignant pour les banques est bien en train de se mettre en place. Et une nouvelle architecture de gouvernance financière mondiale voit le jour. Sa solidité et son efficacité décideront de la capacité des Etats à maîtriser, voire à anticiper, les crises financières.

Zoom Paradis fiscaux : une régulation insuffisante

Le rôle des paradis fiscaux comme promoteur de l’instabilité financière internationale reste encore largement sous-estimé. Pourtant, les éléments d’analyse ne manquent pas 1. Un rapport du GAO, l’équivalent de la Cour des comptes aux Etats-Unis, montre qu’une bonne partie du système bancaire " fantôme " établi par les institutions financières américaines pour développer les actifs toxiques à l’origine de la crise a été domiciliée aux îles Caïmans. Les déboires de la banque britannique Northern Rock sont dus à un excès d’endettement à court terme dissimulé dans sa filiale Granite, enregistrée à Jersey. Le rôle de la Suisse, du Luxembourg, des Iles Vierges britanniques ou des Bermudes a été mis en évidence dans le scandale Madoff, tout comme l’implication d’Antigua dans le scandale Allen Stanford, etc.

Le G20 a fermement déclaré vouloir s’attaquer au problème, mais la liste des paradis fiscaux facilitant l’instabilité financière promise pour fin 2009 n’a toujours pas vu le jour. D’une manière générale, si les pays du G20 ont su forcer ces territoires à lever en partie leur secret bancaire pour mieux traquer l’argent des riches individus fraudeurs, ils n’ont pas voulu s’attaquer aux pratiques fiscales douteuses des multinationales ni aux activités des institutions financières. Il reste donc beaucoup de chemin à faire dans la lutte contre les paradis fiscaux.

  • 1. Voir Tax Havens : How Globalization Really Works, par Ronen Palan, Richard Murphy et Christian Chavagneux, Cornell University Press, 2010.

La difficile maîtrise des marchés financiers

Un meilleur contrôle des risques liés aux marchés financiers passe d’abord par un encadrement du fonctionnement des marchés de produits dérivés*. Impossible en effet aujourd’hui de savoir avec précision qui prend des risques sur ces marchés et à quelle hauteur. Car la très grande majorité des transactions s’y effectue de gré à gré, c’est-à-dire de manière bilatérale et opaque entre acteurs financiers.

Le G20 souhaite désormais que ces marchés soient organisés autour de chambres de compensation, des institutions privées dont le rôle est d’enregistrer les transactions, d’établir quotidiennement les positions nettes des acteurs financiers (ce qu’ils achètent moins ce qu’ils vendent) et de se porter garantes si l’un d’entre eux fait faillite ou ne peut payer les autres. Les régulateurs devront alors surveiller que les chambres de compensation aient assez de capital pour faire face à une crise éventuelle.

En décembre dernier, la Chambre des représentants américaine a voté un texte allant dans le sens de cette nouvelle organisation des marchés. Le Sénat doit débattre du sujet et il faudra plusieurs mois aux parlementaires américains pour se mettre d’accord. L’Europe souhaite avancer dans le même sens, mais on attend encore les propositions de la Commission européenne. Compte tenu des importants profits réalisés sur ces marchés, les acteurs financiers exercent depuis l’an dernier un puissant lobbying des deux côtés de l’Atlantique pour tenter de limiter la portée de ces nouvelles régulations.

Une meilleure maîtrise des risques financiers passe également par un plus grand contrôle des fonds spéculatifs. Côté américain, le débat sur la possibilité d’encadrer directement ces fonds n’avance pas, mais le président Barack Obama a proposé en janvier un projet de loi visant à interdire à toutes les banques qui bénéficient d’une garantie publique de pouvoir " détenir, investir ou soutenir " un fonds spéculatif ou de private equity**.

En Europe, un projet de directive a été proposé en avril 2009, mais il n’envisage que de contrôler les gestionnaires des fonds et pas les fonds eux-mêmes ; il laisse ainsi la porte ouverte aux acteurs opaques domiciliés dans les paradis fiscaux. Cela n’empêche pas les fonds installés à Londres de se battre contre le nouveau pouvoir de régulation qui serait donné à la Commission : une bataille d’influence s’est engagée entre la City, le Parlement européen, le Conseil des ministres et la Commission dont on connaîtra le résultat dans le courant de l’année 2010.

Des banques mieux contrôlées

Si la régulation des zones à risque de la finance avance lentement, la volonté des régulateurs bancaires de reprendre la main s’est affirmée plus nettement. Les banques disposent de ressources à court terme (des dépôts et des emprunts) et prêtent à moyen et long termes, c’est l’essence de leur métier. Quand une panique survient, les financements de court terme se tarissent. Les régulateurs souhaitent désormais que les banques diminuent le poids de leurs emprunts de court terme dans le total de leurs ressources. Ils veulent également qu’elles détiennent, au jour le jour, davantage de bons du Trésor (des titres d’emprunt public), qui rapportent peu, mais qu’elles pourraient échanger facilement auprès des banques centrales ou d’autres banques en cas de crise, du fait de leur caractère peu risqué, pour obtenir des financements.

Les régulateurs vont aussi demander aux banques de mettre plus de capital de côté quand tout va bien, pour disposer de réserves plus importantes au moment où la conjoncture se retournera. Les banques les plus importantes, par la taille ou par l’importance de leurs connexions avec d’autres établissements financiers, seront également obligées de mettre davantage de capital de côté, voire de payer en plus une taxe de " responsabilité de crise financière ", comme le souhaite Barack Obama pour les banques installées aux Etats-Unis. Tout cela afin de limiter les risques qu’elles font courir à l’ensemble du système (on parle de risque systémique) : leurs difficultés pourraient en effet entraîner des problèmes chez les autres acteurs du fait d’une réaction en chaîne.

A ce titre, les banques centrales vont s’engager dans une révolution : la mise en oeuvre d’une politique dite " macroprudentielle ". Le principe consiste à définir une progression " normale " du crédit dans une économie, en fonction de son potentiel de croissance. Puis à repérer le moment où le crédit s’emballe et devient excessif au regard de cette norme, qui peut signifier que les banques alimentent la formation d’une bulle spéculative. L’étape suivante consistera à pointer les établissements qui alimentent cette bulle et à leur imposer de mettre plus de capital de côté pour faire face à l’accroissement des risques qu’ils sont en train de prendre. Ce qui cassera la rentabilité des crédits, fera diminuer leur nombre et tuera la bulle avant qu’elle n’enfle de manière excessive.

Autre piste de régulation : demander aux banques d’écrire un " testament " (living wills) : elles devront mettre à plat et simplifier leurs structures juridiques trop complexes. En effet, ce que l’on appelait " la " banque Lehman Brothers, dont la faillite a déclenché la crise en septembre 2008, était en fait composée de près de 3 000 entités juridiques différentes entre lesquelles se nouaient d’incestueuses connexions que les syndics de faillite ont bien du mal à démêler aujourd’hui. Connaître avec précision l’organisation d’une banque permettrait aux autorités publiques de repérer rapidement quelles entités de l’établissement continuent à bien se porter, quelles parties sont essentielles au bon fonctionnement de l’économie et doivent être aidées, et lesquelles, au bord du gouffre, peuvent être mises en faillite aux frais des actionnaires. En gros, ne soutenir que les activités de banque commerciale et leurs crédits à l’économie et laisser tomber les parties spéculatives. C’est une sorte de retour discret du Glass-Steagall Act, la loi américaine de 1933 qui imposait une distinction entre les activités de banques de détail et celles de banque d’affaires.

Une nouvelle gouvernance financière

La volonté régulatrice des Etats s’exprime également par le nouveau cadre institutionnel qu’ils mettent en place. Au sommet, on trouve les ministres des Finances du G20 et leurs deux bras armés, le Fonds monétaire international (FMI), pour les questions macroéconomiques, et le FSB, Financial Stability Board ou Conseil de stabilité financière, pour les aspects monétaires et prudentiels. Regroupant les banquiers centraux, les ministres des Finances et les régulateurs financiers de tout acabit, cet ensemble sera le lieu de formation du consensus international sur les régulations à mettre en oeuvre.

En Europe, une institution équivalente a été créée : le Conseil européen du risque systémique (Cers). Dominé par les banques centrales, il sera en charge de surveiller dès courant 2010 les risques qui pèsent sur la stabilité du système financier européen dans son ensemble (politique macroprudentielle). A ses côtés, un Système européen de surveillance financière (SESF) contrôle les établissements financiers (politique microprudentielle) en coordonnant un réseau de superviseurs nationaux. Et cela en coopération avec les trois nouvelles entités européennes de contrôle des banques, des assurances et des Bourses, dont la création a été avalisée en décembre 2009.

Estimation des besoins ou des excédents de fonds propres des banques en 2012 pour répondre aux nouvelles contraintes réglementaires en cours de définition

Après la panique de 1929, il avait fallu cinq ans aux seuls Etats-Unis pour mettre en oeuvre leur nouvelle politique de régulation financière. Il a fallu moins de temps aux pays du G20 pour réagir, ensemble, après la panique déclenchée par la chute de Lehman Brothers. Il faudra attendre encore de longs mois pour faire le bilan définitif de toutes ces initiatives. Mais le message est clair : l’innovation en matière financière est pour l’instant du côté des acteurs publics.

* Produits dérivés

Produits financiers permettant aux acteurs économiques de se protéger contre les variations des taux d'intérêt, des taux de change, etc. Ils sont devenus des supports importants de la spéculation.

** Private equity

fonds d'investissement entrant dans le capital de sociétés non cotées en Bourse pour en retirer un rendement rapide.

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