Environnement

Sommes-nous trop nombreux ?

6 min

La planète pourra probablement supporter les neuf milliards d'habitants prévus pour 2050. Mais à condition de changer radicalement de mode de consommation.

La Terre peut-elle accueillir davantage d’êtres humains ? Cette question n’est guère nouvelle. A la fin des années 1960, la population mondiale ne comptait encore que trois milliards d’habitants, mais son taux de croissance était au plus haut et l’on s’inquiétait déjà des perspectives d’avenir : on imaginait mal la planète capable d’accueillir sept milliards d’individus cinquante ans plus tard. C’est pourtant le cas aujourd’hui. Peut-on en conclure pour autant que les neuf ou dix milliards prévus en 2050 ne poseront pas de problème majeur ? Cela dépend beaucoup de nos façons de vivre. La Terre peut nourrir plus de monde qu’aujourd’hui, mais elle ne pourra pas supporter la généralisation à toutes les régions du globe des modes de consommation et de production des pays riches.

La schizophrénie de la population mondiale

Pendant que les pays riches se lamentent de ne plus faire assez d’enfants et qu’ils ferment leurs frontières, les pays pauvres, eux, restent encore souvent confrontés à une démographie galopante 1. De fait, la fécondité ne permet plus d’assurer, dans certains pays développés, la stabilité de la population sans avoir recours à l’immigration. En témoignent les cas de l’Allemagne ou du Japon, qui depuis des années enregistrent une fécondité conjoncturelle* de 1,4 enfant par femme en moyenne. Notre voisin d’outre-Rhin a perdu environ 300 000 habitants entre 2004 et 2007 (immigration comprise). Seul un recours important à l’immigration peut enrayer le déclin démographique dans ces pays.

Le paysage est différent au Sud. Depuis longtemps, on souligne la baisse rapide de la fécondité dans une grande partie du monde en développement : le pic de croissance de la population mondiale remonte déjà aux années 1960. L’exemple le plus connu est celui de la Chine, dont la fécondité dépasse de peu celle de l’Allemagne aujourd’hui. D’autres géants comme l’Iran (73 millions d’habitants), le Mexique (100 millions), le Bangladesh (160 millions) ou le Brésil (190 millions) ont une fécondité qui se situe entre 2 et 2,5 enfants par femme et se rapprochent des tendances occidentales.

Mais le mouvement n’est pas partout aussi rapide et son impact sur le volume global de la population est différé par un effet d’inertie : dans les jeunes générations, le nombre d’enfants par femme diminue, mais le nombre de femmes en âge d’avoir des enfants demeure très élevé du fait de la natalité passée. Du coup, la quantité de bébés mis au monde reste considérable. L’Inde, par exemple, est tombée à 2,7 enfants par femme, mais il y naît encore chaque année 27 millions de bébés. De plus, chez certains géants mondiaux, la fécondité atteint encore les quatre enfants par femme, comme au Pakistan (qui compte180 millions d’habitants), voire près de six pour le Nigeria (152 millions).

Que va-t-il se passer ?

Les comportements de fécondité ne changeant pas du jour au lendemain, l’espérance de vie ayant de bonnes chances de continuer à progresser, et les générations qui mettront au monde des enfants d’ici une vingtaine d’années étant déjà nées, on peut prévoir que la population mondiale, poussée par cet effet d’inertie, va continuer à croître, sauf catastrophe majeure (voir encadré).

Zoom Population mondiale : des prévisions à prendre avec des pincettes

La Terre comptera-t-elle vraiment 9,1 milliards d’êtres humains en 2050 ? Ce nombre correspond au scénario intermédiaire envisagé par les Nations unies. Or, ces prévisions ont souvent été démenties par le passé : la croissance future de la population a régulièrement été surestimée. On oublie fréquemment que ces projections sont fondées sur un certain nombre d’hypothèses. L’évolution de la population d’un pays ou d’une zone dépend en effet à la fois du nombre des naissances, de celui des décès et de l’immigration.

Ce dernier paramètre ne joue toutefois pas au niveau mondial. Concernant la mortalité, les Nations unies font l’hypothèse que les progrès constatés ces dernières années vont se poursuivre, mais sur un rythme plus lent dans les pays où l’espérance de vie est la plus élevée.

Là où les différences sont les plus sensibles (et où dans le passé les erreurs les plus importantes ont été commises), c’est surtout sur l’évolution de la fécondité. Pour 2050, les Nations unies ont établi au total huit scénarios. Si on se concentre sur les trois principaux, d’ici à 2025, les chiffres ne divergent pas sensiblement : la population mondiale tourne autour de neuf milliards. Ensuite, les écarts se creusent et on aboutit à huit milliards dans l’hypothèse basse et à 10,4 dans l’hypothèse haute en 2050.

La population des pays riches devrait ainsi passer de 1,2 à 1,3 milliard d’habitants d’ici à 2050, selon les projections des Nations unies. Ces estimations ne prenant pas en compte une remontée assez sensible de la fécondité dans les années récentes, ce nombre pourrait donc être plus important. Mais c’est au Sud que la progression sera la plus forte : la population des pays pauvres devrait passer de 5,7 à 7,9 milliards d’habitants, en dépit de la baisse prévue de la fécondité qui devrait atteindre au milieu du siècle deux enfants par femme dans les pays en développement (2,4 pour les plus pauvres). Au total, en 2050, la population mondiale arriverait à une sorte de " croissance zéro ". Mais d’ici là, les pays les plus démunis devraient accueillir 2,2 milliards d’individus supplémentaires. Ainsi, l’Inde verrait sa population augmenter de 300 millions, soit près de cinq fois celle de la France, dans les quinze prochaines années ! Le Nigeria, moins peuplé, verrait naître en dix ans 60 millions de bébés...

Est-ce grave ? Depuis 1970, les pays pauvres ont déjà accueilli trois milliards d’êtres humains supplémentaires. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que la situation de leur population s’est peu améliorée et que la pression humaine sur l’environnement s’est encore accrue, notamment par le biais de la déforestation. En outre, rien ne prouve que ce qui était vrai hier le soit encore demain.

L’un des problèmes majeurs est la concentration urbaine. La ville reste attractive pour les populations rurales, par sa modernité et les multiples possibilités qu’elle représente. Mais de nombreuses cités sont aujourd’hui au bord de l’asphyxie. Comme à Nairobi, au Kenya, où près de la moitié des six millions d’habitants résideraient dans des taudis. Selon les Nations unies, près des deux tiers des habitants des villes d’Afrique subsaharienne vivraient entassés dans des bidonvilles. Et les Etats du Sud sont très loin d’avoir les moyens d’investir en infrastructures pour simplement maintenir la situation des services publics de santé, d’éducation, de routes, etc.

Il faudra consommer autrement

Les difficultés vont donc être considérables. Au premier chef, bien sûr, se pose la question alimentaire. Les Nations unies font certes remarquer que seulement 40 % des terres cultivables sont aujourd’hui exploitées, mais les terres qui restent sont de moins bonne qualité, souvent éloignées des populations et parfois couvertes de forêts indispensables à la lutte contre les émissions de CO22. Arrivera-t-on à faire progresser encore les rendements pour nourrir 80 millions de bouches supplémentaires chaque année tout en améliorant le sort du milliard d’habitants qui déjà souffre de la faim ? Et cela tout en utilisant moins de pesticides et d’engrais chimiques qui menacent notre environnement ? Quant à l’eau indispensable aux cultures, elle provient de nappes phréatiques sur lesquelles on prélève actuellement des quantités disproportionnées par rapport à leur capacité de renouvellement. En Inde, 175 millions de personnes dépendraient déjà de nappes en voie d’épuisement.

Pour avoir une chance de relever ce défi alimentaire, il faudra notamment revoir les modes d’alimentation. La consommation de viande est concernée en premier lieu, car sa production requiert elle-même beaucoup de protéines végétales, tandis que les ruminants émettent une quantité significative de méthane, un gaz à effet de serre plus nocif encore que le CO2. Suivant les standards de consommation américains, les récoltes actuelles de céréales ne nourriraient que 2,5 milliards de personnes. Le régime indien permettrait, en revanche, d’en nourrir dix milliards avec la même production. Sans aller jusque-là, il faudra bien modifier en profondeur les habitudes alimentaires des habitants des pays riches.

Evolution de la population mondiale selon trois hypothèses, en milliards

Au-delà de l’agriculture, c’est notre modèle de développement lui-même qui est en cause. Si toute la planète vivait à l’heure américaine en matière d’équipement automobile, elle serait envahie par 7 milliards de voitures, contre un milliard aujourd’hui. Notre environnement, déjà mis à mal, n’y résisterait pas. Il serait immoral - et de toute façon impossible - d’empêcher les habitants des pays en développement de profiter des bienfaits de la société de consommation dont jouissent aujourd’hui les riches, au motif où il faudrait préserver la planète. La Chine est ainsi devenue en 2009 le premier marché automobile mondial. Pour que la Terre supporte l’accroissement de sa population, c’est bien notre propre mode de vie qu’il va falloir transformer de fond en comble.

  • 1. Voir " Population : Malthus finira-t-il par avoir raison ? ", Alternatives Economiques, hors-série n° 83, 4e trimestre 2009. Disponible dans nos archives en ligne.
  • 2. Voir " Une autre agriculture est possible ! ", Alternatives Economiques, hors-série n° 83, 4e trimestre 2009. Disponible dans nos archives en ligne.
* Fécondité conjoncturelle

Nombre moyen d'enfants par femme à un moment donné, toutes générations confondues.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !