Idées

Le bilan en demi-teinte des pôles de compétitivité

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Les pôles de compétitivité ont été lancés en 2004 pour maintenir et développer les activités industrielles en France. S'ils font consensus, leur évaluation reste cependant difficile.

Si l’avenir de l’industrie a (un peu) occupé le devant de la scène médiatique lors de la campagne présidentielle, il ne s’est trouvé aucun candidat pour évoquer le sort des pôles de compétitivité. Lancés fin 2004, mobilisant des sommes conséquentes d’argent public et une pléiade d’acteurs publics et privés, ils ont pourtant symbolisé le retour d’une politique industrielle ambitieuse en France. Les conclusions de l’évaluation de la deuxième phase (2009-2012) de la politique des pôles devraient être connues à la fin du premier semestre 2012. Comme lors de la première phase (2006-2008), cette évaluation a été confiée à des cabinets de consultants et le dispositif, qui suscite un large consensus chez les décideurs économiques et les responsables politiques de tous bords, ne devrait pas connaître de remise en cause. Pourtant, son efficacité reste largement à démontrer.

L’Italie et les Etats-Unis pour modèles

" Un pôle de compétitivité est une combinaison, sur un espace géographique donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques et privées engagés dans une synergie autour de projets communs au caractère innovant. Ce partenariat s’organise autour d’un marché et d’un domaine technologique et scientifique qui lui est attaché, et doit rechercher une masse critique pour atteindre une compétitivité et une visibilité internationale. " Telle est la définition des pôles donnée par l’Etat lors de leur lancement.

L’objectif de ce dispositif est de créer une dynamique de cluster (" grappe " en français), un mode d’organisation industriel dont les vertus ont été mises en évidence par l’économiste britannique Alfred Marshall dès la fin du XIXe siècle, et plus récemment par l’Italien Giacomo Becattini et l’Américain Michael Porter notamment. Giacomo Becattini a ainsi étudié à la fin des années 1970 comment, dans la région comprise entre Gênes, Milan et Turin, des petites et moyennes entreprises proches sur le plan géographique et opérant dans un même secteur d’activités atteignaient des performances remarquables en matière de croissance, d’exportation et d’emploi grâce aux relations originales qu’elles avaient tissées entre elles, relations tenant tout autant de la concurrence et de l’émulation que de la coopération.

De son côté, Michael Porter, à la fin des années 1990, a souligné les effets bénéfiques des clusters sur la productivité, l’innovation et la création d’entreprises. L’exemple le plus emblématique de ces clusters d’innovation étant la célèbre Silicon Valley, née de la concentration d’entreprises de semi-conducteurs et d’informatique dans la vallée de Santa Clara dans l’Etat de Californie.

Vingt ans après avoir abandonné la politique des grands programmes, qui lui avait permis, entre autres choses, de construire Airbus, le TGV et la filière nucléaire, le gouvernement français a donc décidé de ressusciter sa politique industrielle en l’axant sur la création de clusters. Inspirée à la fois de l’observation des districts italiens et de celle des clusters américains, la politique des pôles de compétitivité a cherché à concilier politique régionale d’aménagement du territoire et performance dans les hautes technologies : deux objectifs qui ne s’accordent pas nécessairement et forment l’ambiguïté originelle du dispositif.

Plus de 4 milliards d’euros

De ce péché originel découle le grand nombre de pôles labellisés : alors qu’il n’était question d’en créer qu’une quinzaine, 66 furent retenus en 2005, et 5 supplémentaires depuis, laissant craindre un saupoudrage inefficace des fonds publics. Au total, les sommes affectées à ces projets n’ont pourtant pas été chiches : entre 2005 et 2011, ce sont plus de quatre milliards d’euros en provenance de l’Etat, des collectivités territoriales ou bien du Fonds européen de développement régional (Feder) qui sont allés vers ces pôles pour financer des projets collaboratifs de recherche et développement (R&D).

Pour certains observateurs, c’est moins le saupoudrage qui est à craindre qu’une prodigalité excessive : dans un récent rapport vite enterré 1, Antoine Masson, coordinateur pour les pôles au ministère de la Recherche et ancien directeur adjoint de l’Agence nationale de la recherche, soulignait à quel point la générosité de la politique française des pôles détonnait en comparaison avec les politiques de clusters menées dans d’autres pays européens. Selon lui, elle pouvait amener à financer de manière excessive sur fonds publics les projets de R&D des entreprises privées. En comparaison, l’Allemagne consacre trois fois moins de financements que la France à ses clusters. Une prudence d’autant plus heureuse, souligne l’auteur, que l’effet positif de ces politiques reste empiriquement difficile à déterminer.

Nombre et importance des pôles de compétitivité en 2012

Il y a quelques années, un groupe d’économistes emmené par Gilles Duranton, remarquant qu’il n’y avait de clusters que " naturels ", concluait à la quasi-impossibilité d’en créer de toutes pièces et mettait en garde contre le risque de spécialisation excessive que ces politiques faisaient courir aux territoires 2. A contrario, pour les clusters qui fonctionnent bien, le risque est grand pour la collectivité de déverser des fonds publics sur des coopérations qui auraient existé et prospéré de toute façon.

Une évaluation impossible

L’évaluation de l’efficacité du soutien public aux clusters est compliquée en France par la véritable " cathédrale administrative " (selon les mots d’Antoine Masson) qui a été construite dans le cadre de la politique des pôles : pas moins de 56 outils et mesures s’empilent, ce qui rend impossible l’évaluation de chacun d’entre eux. Les pôles pâtissent par ailleurs d’une gestion trop bureaucratique, de processus de sélection des projets de recherche et développement non conformes aux standards internationaux, d’une marginalisation des collectivités locales pourtant gros financeurs ou encore de l’absence d’experts indépendants associés à la gestion et à l’évaluation des programmes. Bref, alors que les clusters, par nature, sont censés émerger selon une logique bottom up (c’est-à-dire depuis le terrain), la politique française des pôles reste très top down, ou dit autrement, très classiquement jacobine.

Autres reproches traditionnellement adressés aux pôles : leur focalisation excessive sur la high-tech, qui laisse de côté l’essentiel de l’appareil industriel hexagonal, le caractère trop franco-français des partenariats ou encore une présence trop rare des PME. Des écueils auxquels les pouvoirs publics se sont efforcés de remédier avec plus ou moins de bonheur.

La coopération comme atout

Compte tenu des défauts et des incertitudes qu’elle porte en elle, ne vaudrait-il pas mieux remettre carrément en cause la politique des pôles de compétitivité ? Cela reviendrait sans doute à jeter le bébé avec l’eau du bain. Les pôles ont en effet eu au moins deux résultats positifs, qui expliquent certainement le consensus dont ils font l’objet. D’abord, même s’ils restent encore trop souvent pilotés depuis Paris, ils ont généré une forte mobilisation concertée des acteurs locaux, qu’il s’agisse des collectivités locales, des unités de recherche, privées comme publiques, voire des centres de formation, donnant naissance à un embryon de politique industrielle territorialisée. Or, on sait que pour assurer la pérennité de la localisation d’une entreprise, les relations qu’elle noue avec son environnement local sont cruciales.

Ensuite, même là où il existait une tradition ancienne de coopération, les pôles ont permis d’intensifier le dialogue entre entreprises et laboratoires de recherche, ainsi qu’entre PME et grands groupes. Une dynamique propice à l’émergence d’une forme d’innovation ouverte ou partagée, dont nombre d’économistes pensent qu’elle est amenée à jouer un rôle croissant dans l’économie.

Bref, les retombées des pôles en termes d’emplois et de croissance pourraient être certes plus minces qu’escomptées et demanderaient à être plus sérieusement évaluées au vu des sommes en jeu. Les pôles eux-mêmes gagneraient à être pilotés plus près du terrain et de la réalité du tissu industriel. Il n’empêche que les formes de coopération qu’ils visent apparaissent toujours déterminantes pour le maintien et le développement d’activités productives dans l’Hexagone.

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