2013, la crise n’est pas finie

11 min

Mauvaise nouvelle. L'économie restera en panne cette année encore. Il est urgent de corriger l'erreur de diagnostic qui a justifié l'austérité.

Amorcée à l’automne 2008, la Grande Récession est en train de devenir un phénomène pérenne. Economies déprimées, niveaux de vie dégradés, chômage en hausse, entreprises au bord de la faillite, risques systémiques abondants, c’était le cauchemar et l’exception, c’est devenu notre quotidien. L’habitude du désastre nous a rendus moins exigeants et plus facilement optimistes. Ainsi, quelques-uns veulent voir actuellement une amélioration de la situation et donc une lumière au bout du tunnel, le signe que les sacrifices consentis finiraient par produire des résultats. Si on examine les quelques éléments positifs, on se rend compte que la lumière au bout du tunnel pourrait bien être celle d’un train qui arrive en face. C’est-à-dire, une situation de récession qui persiste et qui s’aggrave. Tout sauf un retour à meilleure fortune.

L’austérité, remède général

La crise a creusé les déficits publics. Pour mettre un terme à la spirale récessive engagée à l’automne 2008, les stabilisateurs automatiques ont joué leurs rôles. Ils ont été renforcés par des plans de relance des économies et par des plans de soutien au secteur bancaire. De cette façon, les dettes privées insoutenables ont été "socialisées", la plupart du temps indirectement, mais parfois directement (comme en Irlande). Rapidement, cette crise a ainsi induit une dynamique de hausse des dettes publiques (via des déficits publics élevés). En l’espace de cinq années, la dette publique (nette des actifs financiers détenus par l’Etat) des Etats-Unis s’est accrue de presque 40 points de PIB, celle du Japon ou du Royaume-Uni connaissant une hausse encore plus marquée.

La zone euro a contenu le mouvement, mais les disparités en son sein sont fortes. Dans un contexte d’activité dégradée et de perspectives revues drastiquement à la baisse, le doute s’est installé quant à la soutenabilité de ces dettes publiques. Il s’en est suivi un mouvement de panique, accentué par le défaut envisagé de quelques pays de la zone. Ceux-ci étaient confrontés à la fois à des finances publiques particulièrement dégradées (liées à des pertes bancaires issues de l’éclatement de la bulle immobilière, à l’extension du secteur financier au-delà du territoire national, ou encore à des comptes publics maquillés), mais ils étaient surtout incapables de solliciter leur banque centrale pour acheter des titres publics et tempérer ainsi la panique. La Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Italie ou l’Espagne ont ainsi subi un sérieux retour de flamme lié à l’impossibilité institutionnelle pour la Banque centrale européenne (BCE) d’intervenir. Garantir les titres publics par quelque méthode que ce soit aurait en effet impliqué une solidarité de fait entre les contribuables européens sur les dettes nationales. Et le moins qu’on puisse dire est que la zone euro n’était pas prête à cette option jusqu’à récemment.

Dette publique et déficit public (2007-2012)

Cette peur du défaut sur les dettes publiques a conduit à une erreur majeure de politique économique. Cette erreur a reposé sur deux piliers. Le premier a été le refus de la solidarité européenne sur les dettes. Le second a tenu à la croyance que les multiplicateurs budgétaires* sont faibles. Malheureusement, ces deux piliers se sont renforcés l’un l’autre et ont justifié une politique dont les effets ont été dévastateurs et vont continuer de l’être. Si les multiplicateurs budgétaires sont faibles, alors l’effort de restriction budgétaire a peu d’impact sur l’activité. L’épargne publique supplémentaire, suivant l’argument dit "ricardien" de Robert Barro, un économiste américain, est compensée par la baisse de l’épargne privée, les acteurs privés étant rassurés sur l’avenir.

Zoom La Chine et les émergents peuvent-ils encore tirer la croissance mondiale ?

Depuis 2008, la Chine et les pays émergents avaient tiré l’économie mondiale. En 2012, leurs économies ont cependant marqué le pas à leur tour. En 2013, l’activité semble devoir repartir en Chine sur une trajectoire plus dynamique. Si on est loin des croissances fulgurantes du début de la décennie 2000, quand la Chine atteignait les 10 % annuels, les pays à revenu intermédiaire* devraient connaître cette année une croissance du revenu par tête de plus de 4 % par an, en accélération par rapport à 2012.

La perspective d’une crise majeure en Europe s’éloignant, un peu plus de sérénité semble revenir sur les marchés financiers, évitant le processus d’aller et retour des capitaux qui, à la fin de l’année 2011, avait induit une brutale transmission de la crise aux pays émergents. Cet apaisement apparaît d’autant plus nécessaire que ces pays ne peuvent plus compter sur des gains de parts de marché dans les pays développés (Etats-Unis en tête) pour tirer leur croissance. Ils doivent aujourd’hui trouver en priorité des clients en leur sein ou dans les autres économies émergentes. La période des excédents commerciaux massifs, qui a marqué l’après-crise asiatique de 1997-1998, est terminée : l’endettement extérieur des pays développés se réduit et leur appétence pour les produits importés se tarit, quand ce ne sont pas des mesures de réindustrialisation qui inversent la logique des années précédentes.

La Chine devient d’ailleurs de plus en plus un des principaux importateurs des produits ou des ressources des autres pays émergents. Le stimulus macroéconomique entrepris par la Chine, doublé des mesures pour y faire émerger une demande intérieure autonome et de moins en moins dépendante des succès à l’exportation y ont contribué. Mais la question commence à se poser de la soutenabilité de la croissance chinoise après la fantastique phase de développement des vingt dernières années (pendant lesquelles le PIB chinois a été multiplié par sept). Le développement économique peut-il devenir mature et ne pas reposer sur une fuite en avant continue ? Le système financier est-il suffisamment sain pour assurer la rentabilité des investissements considérables passés ? La nature autoritaire de son capitalisme est-elle compatible avec une classe moyenne de plus en plus éduquée ? Autant de questions qui deviennent cruciales, non seulement pour la Chine mais également pour la croissance des autres pays émergents. Si la Chine tousse, les secousses se feront sentir un peu partout

On peut mettre à différentes sauces théoriques cet argument, l’une d’entre elle étant ce que Paul Krugman appelle la "fable de la confiance" : les marchés financiers s’effraient de la situation des finances publiques et craignent un défaut. Ils demandent alors des rendements plus élevés, au point d’être prohibitifs, pour se protéger. Mais ils redoutent également les conséquences de ce défaut pour le secteur privé et refusent d’investir globalement dans cette économie. Le pays s’enfonce alors dans la dépression et ne peut en sortir que par un épisode radical d’effacement des dettes et de dépréciation complète de tous les actifs, c’est-à-dire une solution à l’Argentine 1.

Pour éviter un tel scénario, une politique vigoureuse (c’est un euphémisme) d’austérité devait permettre de rétablir la confiance sans avoir d’impact sensible sur l’activité, car l’effort qu’allait faire le secteur public libérerait le secteur privé de la fatalité à venir. La perspective de la croissance allait être rétablie et la combinaison rigueur-redémarrage de l’activité rendrait soutenable la situation des finances publiques. La confiance demande des résultats rapides et des engagements clairs. Cela justifiait donc des remèdes de cheval et le refus de la solidarité, car celle-ci aurait ouvert la porte à l’aléa moral** et donc à la faible fiabilité des engagements pris. Solidarité et crédibilité étaient supposées se contredire, ce qui au passage renforçait les tendances au repli sur soi des différents pays et les calculs égoïstes de boutiquiers.

Cette stratégie a été appliquée en Grèce (où la lutte contre l’aléa moral a pris des allures de croisade après les trucages comptables des années 2000), puis en Italie et en Espagne et, finalement, à presque toute l’Union européenne, à l’exception de quelques pays dont la vertu a été érigée en exemple. Cela a conduit à mettre en oeuvre une restriction budgétaire sans équivalent depuis la Seconde Guerre mondiale , en espérant ainsi restaurer la confiance et sortir de la crise.

Résultat : une forte dépression

Le résultat de cette austérité généralisée est tout autre. Car si les déficits publics se sont réduits dans la plupart des pays de la zone euro, la récession s’est prolongée en 2012 et elle se poursuivra encore en 2013. Les pays de la zone euro qui ont conduit les programmes d’austérité les plus violents plongent dans une dépression majeure. C’est le cas de la Grèce, de l’Espagne, de l’Irlande ou de l’Italie. Le chômage y atteint des niveaux records presque comparables à ceux des Etats-Unis pendant la Grande Dépression des années 1930. A la fin de l’année 2012, un quart des 26 millions de demandeurs d’emploi de l’Union est espagnol (voir graphique). Depuis 2008, le nombre de chômeurs parmi les Vingt-Sept s’est accru de 8 millions et le nombre de chômeurs de longue durée de plus de 4 millions.

Ecart de production en 2012 et prévision 2013, en points de PIB

Lecture : l’écart de production (ou output gap) représente l’écart entre le potentiel de production estimé en fonction du capital productif et de la main-d’oeuvre disponible, et la production effective. Un écart négatif indique une sous-utilisation des ressources.

Ecart de production en 2012 et prévision 2013, en points de PIB

Lecture : l’écart de production (ou output gap) représente l’écart entre le potentiel de production estimé en fonction du capital productif et de la main-d’oeuvre disponible, et la production effective. Un écart négatif indique une sous-utilisation des ressources.

Une récession qui dure entraîne une profonde dégradation de la situation économique. Elle induit en effet immédiatement une hausse du nombre de chômeurs. La phase 2 de la récession, amorcée à la fin de l’année 2011, n’atteint pas encore les sommets de 2009, mais reste spectaculaire. Vient ensuite, avec un décalage dans le temps, une hausse du nombre de chômeurs de longue durée, une tendance qui est également bien plus lente à se retourner. Le bref moment en 2010 où le nombre de chômeurs a décru dans l’Union n’a pas suffi à empêcher la poursuite de la hausse du chômage de longue durée. L’Europe s’est donc installée durablement dans le chômage de masse. La récession européenne et la crise des dettes souveraines en zone euro ont entraîné les autres pays développés dans leur sillage, provoquant l’inquiétude des Etats-Unis. Ce pays s’est engagé dans un débat similaire mais n’a pas pour l’instant enclenché un programme d’austérité aussi massif que le nôtre .

Chômage en hausse renforcé par les mesures d’austérité, erreurs de prévisions corrélées à l’ampleur des restrictions budgétaires, tout indique aujourd’hui que les multiplicateurs budgétaires sont plus élevés qu’on pouvait le penser avant la crise. Ainsi, le Fonds monétaire international (FMI), à travers la plume d’Olivier Blanchard, son économiste en chef, a reconnu récemment l’ampleur de cette erreur. La preuve est donc apportée que la "fable de la confiance" ne fonctionne pas et que les politiques d’austérité ont en fait aggravé la situation. Une lourde responsabilité que portent ceux qui ont cru à cette fable et qui ont conseillé les décideurs.

Plutôt que l’austérité, c’est au contraire la promesse crédible qu’il n’y aura pas de défaut sur la dette publique qui rétablit la confiance. C’est, ensuite, un engagement à stabiliser les finances publiques à un horizon de moyen terme, sans que pour autant le schéma exact pour y parvenir ou encore la date précise ne soient véritablement importants. Les violentes crises comme celle déclenchée en 2008 demandent beaucoup de prudence tant les incertitudes dominent. Et rien n’est pire qu’un plan ambitieux qu’on ne peut pas tenir.

Une étape importante a néanmoins été franchie par la zone euro à la fin de l’année 2012. Il a été en effet réaffirmé, par la voix de nombreux responsables, que l’euro était irréversible. Cette promesse somme toute vague implique cependant qu’il n’y aura pas de défaut majeur sur les dettes publiques européennes. Chypre sera sans doute amenée à faire défaut sur une partie de sa dette, mais il s’agit là d’un cas très particulier et surtout très marginal. En revanche, que ce soit pour l’Espagne ou l’Italie, le message est clair : si nécessaire, ces pays seront aidés et bénéficieront de la solidarité des autres nations européennes. Cette amorce d’une sécurité monétaire indispensable peut laisser entrevoir une sortie de crise en Europe. Au mois de septembre 2012, l’annonce du dispositif OMT (opérations monétaires sur titres) par la BCE a concrétisé cet engagement pour le court terme. A la condition de s’engager dans un programme de stabilisation des finances publiques, les Etats membres de la zone euro peuvent désormais bénéficier de rachat de leurs titres par la BCE. Les autres états membres deviennent alors de fait caution solidaire de leur dette publique.

La stratégie du choc

Nous sommes donc à un tournant majeur de la récession. Une "mauvaise politique" a été appliquée sur la base d’une erreur de diagnostic sur les multiplicateurs budgétaires, avec pour résultat d’aggraver la situation de la plupart des économies des pays développés. L’urgence est grande de le reconnaître et d’en tirer véritablement toutes les conséquences. Certains instruments ont été mis en place pour mener une "bonne politique", mais ils sont encore insuffisants et demandent de plus à être mis en oeuvre effectivement. Le risque est que dans une situation très dégradée, par peur de perdre la face et sous le coup de la stratégie du choc, pour reprendre l’expression de Naomi Klein 2, on persiste dans la voie de l’erreur.

Evolution du chômage, en millions de personnes

Le repli sur soi des Etats européens, la tentation de la dévaluation fiscale, de mesures nationales déflationnistes, de protectionnisme déguisé combinés à la résignation à une économie durablement dépressive, et donc à l’évidence de la réduction de l’Etat social, alimenteront la guerre de tous contre tous et prolongeront la récession. Il n’y a derrière cela aucun complot, aucune volonté délibérée, mais simplement l’enchaînement de mauvaises décisions, prises sur la base d’analyses obsolètes face à un problème assurément complexe. Mais ce qui peut rendre pire encore la situation, c’est le déni de l’erreur.

Reste qu’une sortie par le haut est encore possible. Elle suppose de franchir quelques obstacles majeurs. Premièrement : l’austérité doit être mise en pause, particulièrement dans les pays les plus frappés par la récession. C’est dans ces pays que les multiplicateurs budgétaires sont les plus élevés. C’est donc là qu’il est le plus urgent de mettre un terme au massacre par la restriction budgétaire. Deuxièmement : la crédibilité de l’ajustement à moyen terme doit être assurée par une construction institutionnelle raisonnée. Cela suppose un transfert de souveraineté au moins partiel (en cas de nécessité et d’exercice de la solidarité) des Etats membres à une institution européenne. Mais les écueils sont nombreux.

Zoom La guerre des changes aura-t-elle lieu ?

En 2013, les risques d’évolution radicale des taux de change - manipulée (la guerre des monnaies) ou subie (les crises de change) - sont grands. Les tensions entre pays développés et émergents vont en effet s’accroître à ce sujet au fur et à mesure que les pays émergents perdent un de leur levier d’influence (des balances courantes excédentaires) et que les pays développés deviennent de plus en plus soucieux de défendre leur compétitivité. Tokyo, avec la politique de relance quantitative massive engagée récemment par la Banque du Japon, vise manifestement à faire baisser le cours du yen. Tandis qu’en Europe, la crise des dettes souveraines étant apaisée, le risque est grand que l’euro remonte face au dollar. D’autant que les Etats-Unis cherchent à bénéficier de nouveau d’une dévaluation contrôlée et surtout bornée de leur monnaie. Ceci leur permet en effet de regagner en compétitivité sans avoir à payer le prix d’un renchérissement du financement de l’économie. L’Europe aurait, elle aussi, les moyens de peser sur le taux de change de sa monnaie, mais la politique de change y reste tabou et cela conduit à la surévaluation chronique de l’euro.

Cette institution doit être légitime démocratiquement à l’échelle de la zone euro. Or, le Parlement européen est le parlement de l’Union, qui avait certes vocation à se confondre à terme avec la zone euro, mais ce projet semble avoir fait long feu. En s’appuyant sur la BCE, on résout en partie la question du champ géographique, mais on confie à la BCE une responsabilité qui dépasse son mandat et est incompatible avec son indépendance : en prenant dans son bilan des titres publics, la BCE s’expose à des pertes et donc prend de fait des décisions d’ordre budgétaire.

Enfin, le pilotage de la stabilité des finances publiques a toujours été conduit à partir de règles fixant des objectifs de résultats futurs en matière de déficit public ou de dette. Or, ceux-ci sont soumis à des aléas imprévisibles et ne correspondent jamais aux engagements pris. On valide ainsi des politiques inadaptées parce qu’elles coïncident avec les objectifs fixés antérieurement. Et on les déjuge ensuite parce qu’elles ont été contrariées par des impondérables. C’est un vieux débat initié par les économistes américains Finn E. Kydland et Edward Prescott : leur conclusion était que la règle n’est jamais un bon instrument pour s’adapter à l’imprévu.

  • 1. Début 2002, à l’issue d’une grave crise économique, sociale et politique, l’Argentine avait fait défaut sur sa dette extérieure et massivement dévalué sa monnaie.
  • 2. La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre, par Naomi Klein, Actes Sud, 2008.
* Multiplicateurs budgétaires

Lorsque l'Etat dépense 100 en plus, l'impact positif sur la croissance est supérieur à 100. A l'inverse, une baisse de 100 des dépenses a un impact négatif sur la croissance supérieur à 100 et cet impact est d'autant plus fort que l'ajustement est rapide et généralisé. Le ratio entre l'évolution de l'activité et celle des dépenses publiques est ce fameux multiplicateur.

** Aléa moral

Encouragement à la prise de risque provoqué par l'existence d'une assurance en cas de réalisation du risque ou d'un prêteur en dernier ressort.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !