Economie

Peut-on encore sauver l’industrie française ?

6 min

Incapacité à monter en gamme, carences du tissu productif..., les causes de la désindustrialisation hexagonale sont connues. Mais les remèdes proposés pas toujours adéquats.

Depuis le milieu des années 2000, la France ausculte avec une inquiétude croissante son industrie : son poids dans l’économie et l’emploi et ses performances à l’export n’ont cessé de se dégrader pour atteindre la cote d’alerte avec la crise commencée en 2008. Les gouvernements successifs ont multiplié les outils de politique publique pour lutter contre cette désindustrialisation en apparence inexorable, jusqu’au pacte de compétitivité décidé à l’automne dernier. Le recul (et les évaluations) manque pour apprécier les effets à long terme de cette accumulation de mesures, mais celles-ci semblent souvent manquer de cohérence stratégique ou s’avèrent mal ciblées. Quand elles ne font pas l’impasse sur des dimensions essentielles de la compétitivité industrielle.

Une saignée sévère

Depuis les débuts de la crise, l’hémorragie s’est en effet accélérée : l’industrie manufacturière hexagonale a perdu 320 000 emplois entre le deuxième trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2012, soit 11 % de ses effectifs. Quasiment autant en quatre ans de crise qu’au cours des huit années précédentes. Le mouvement d’externalisation des emplois industriels vers le secteur des services aux entreprises et les gains de productivité ne suffisent plus à expliquer ce phénomène. La production ne s’est pas remise de la chute observée en 2009, laissant craindre une réduction importante des capacités industrielles du pays dans de nombreux secteurs d’activité.

Dans le même temps, le déficit des échanges de produits industriels, apparus pour la première fois en 2003, n’a cessé de se dégrader depuis pour culminer à 42 milliards d’euros en 2011. L’appareil industriel français, autrefois très généraliste, n’est plus exportateur net que dans une poignée de secteurs : aéronautique, pharmacie, cosmétiques et agro-alimentaire. L’automobile, qui jusqu’au début des années 2000 fournissait les plus gros excédents commerciaux de l’Hexagone, paraît désormais prisonnière d’une spirale infernale : sa focalisation, par choix ou nécessité, sur les véhicules d’entrée et de moyenne gammes lui a fait perdre des parts de marché et la pousse à délocaliser toujours plus sa production hors de France, dans l’espoir de réduire ses coûts pour mieux résister à la concurrence. Une évolution douloureuse sur le plan économique et social, compte tenu du rôle historique joué par l’automobile dans le tissu industriel national. Ainsi se dessine l’avenir d’un pays dont les points forts se limiteraient à quelques niches technologiques, ainsi qu’au luxe et au tourisme.

Poser le bon diagnostic

Faut-il alors faire son deuil d’une industrie puissante en France ? Au regard de son rôle d’entraînement sur le reste de l’économie, de son poids dans l’investissement, l’innovation, l’emploi qualifié ou encore les échanges extérieurs, renoncer serait lourd de conséquences. Ce serait aussi abdiquer l’ambition de porter la France aux avant-postes du grand défi de la conversion écologique : celle-ci passera nécessairement par la mise au point à moindre coût d’équipements et de services nouveaux destinés à réduire les consommations énergétiques et à exploiter le potentiel des énergies renouvelables, ce qui n’est possible qu’en faisant appel à des méthodes de production industrielles. Même si les espoirs portés par la "croissance verte" en Europe pourraient être plus modestes qu’espérés, comme le prouve la quasi-disparition des producteurs de panneaux photovoltaïques européens au profit des constructeurs chinois.

Emploi salarié en France, en équivalent temps plein, données corrigées des variations saisonnières, en millions

Lutter contre la désindustrialisation suppose néanmoins de poser le bon diagnostic. Au cours de la décennie 2000, l’industrie française n’a pas su monter en gamme assez rapidement pour échapper à la concurrence frontale sur les prix des produits venus des pays émergents. Elle s’est par conséquent enfermée dans un cercle vicieux, dans lequel ses marges de plus en plus comprimées lui ont de moins en moins permis d’investir et d’innover pour remonter la pente, accélérant ainsi la dégradation de sa compétitivité. Les diverses carences du tissu productif relevées à longueur de rapports officiels - déficit de croissance des PME, faible niveau de recherche et développement (R&D), accès difficile au financement bancaire... - viennent s’inscrire dans ce tableau général.

Traitement inadapté

Après deux décennies de désintérêt pour ce secteur, la prise de conscience progressive de ses difficultés et de son caractère stratégique a cependant amené les pouvoirs publics à développer de nouveau une panoplie d’outils de politique industrielle. Parmi eux figurent notamment les pôles de compétitivité, lancés en 2004, et le crédit impôt recherche (CIR), considérablement renforcé en 2008. Tous deux visent à stimuler l’innovation industrielle sur le territoire français, mais par des voies différentes.

Les pôles de compétitivité soutiennent financièrement les projets de recherche associant grandes entreprises, PME, instituts de recherche publics ou privés et centres de formation. Le CIR vise, quant à lui, à stimuler les dépenses de R&D des entreprises en leur permettant d’en déduire une partie de leurs impôts. Ces dispositifs mobilisent tous deux des sommes conséquentes d’argent public à un niveau qui n’a guère d’équivalent à l’étranger. Ils prêtent cependant le flanc à la critique. Il leur est souvent reproché d’être la source d’effets d’aubaine* au profit des grandes entreprises, de ne s’intéresser qu’au secteur de la high-tech ou encore de négliger la phase délicate de la mise sur le marché des innovations. Le gouvernement actuel entend corriger certains de ces défauts, en particulier en réorientant les pôles de compétitivité vers la production de biens et de services innovants prêts à industrialiser. Des intentions louables dont la mise en musique sera déterminante pour juger de leur efficacité.

Zoom Les Etats-Unis se réindustrialisent-ils vraiment ?

Aux Etats-Unis, la mode est à l’insourcing et au reshoring, termes utilisés pour décrire le phénomène de relocalisation qui caractériserait actuellement l’industrie manufacturière américaine. Entre janvier 2010 et septembre 2012, celle-ci a en effet créé 500 000 emplois. Du jamais vu depuis plusieurs décennies. Sur la même période, son homologue européenne a continué d’en perdre plus de 250 000. A y regarder de près cependant, il est encore trop tôt pour parler de véritable réindustrialisation outre-Atlantique. Depuis le début de la crise, les Etats-Unis ont en effet détruit en proportion encore plus d’emplois industriels que l’Union : pour une large partie, le phénomène récent semble donc être surtout un mouvement conjoncturel corrigeant un ajustement qui avait été trop radical.

Plusieurs facteurs pourraient néanmoins prolonger cette embellie : l’appréciation progressive du yuan par rapport au dollar, le rattrapage salarial en Chine, la compression des salaires dans certains Etats américains low cost à faibles droits syndicaux ou encore le renchérissement des coûts de transport. Ils rendraient de plus en plus attractive la production sur le sol américain de certains biens comme le matériel de transport, les biens d’équipement ou la métallurgie, mais aussi l’informatique et l’électronique. Le principal carburant de ce renouveau est cependant constitué par la baisse des prix de l’énergie liée à l’exploitation des gisements de gaz et de pétrole de schiste 1. Selon le cabinet PwC 2, l’avantage compétitif qu’il confère au pays serait à lui seul source d’un million d’emplois créés dans l’industrie manufacturière d’ici à 2025.

Ayant fait du "redressement productif" un des axes forts de sa campagne présidentielle, François Hollande a cependant voulu aller plus loin. D’abord, en créant une banque publique d’investissement, destinée à garantir le financement des PME et des entreprises de taille moyenne. Puis avec le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, dévoilé en novembre dernier, et notamment sa mesure phare, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (Cice). Les 20 milliards d’euros de réduction de l’impôt sur les bénéfices qui lui sont associés seront attribués aux entreprises sur la base des salaires inférieurs à 2,5 fois le Smic qu’elles auront versés. Objectif : leur redonner des marges pour embaucher et investir.

Mais, dans la pratique, ce dispositif aidera de manière indiscriminée les entreprises exposées à la concurrence internationale comme celles qui en sont protégées. Il bénéficiera aussi et surtout aux entreprises dont la masse salariale est importante par rapport au capital, c’est-à-dire... les entreprises de services. Par ailleurs, n’étant conditionné à aucun engagement de la part des récipiendaires, il a peu de chances d’avoir les effets escomptés : confrontées à la déprime de leur marché domestique, les entreprises devraient utiliser surtout ces marges supplémentaires pour investir sur des marchés étrangers plus dynamiques ou pour mieux rémunérer leurs actionnaires.

Surtout, les politiques publiques françaises n’ont encore que timidement exploré d’autres leviers importants de la compétitivité : le renforcement de la formation des salariés et l’amélioration du dialogue social. Le gouvernement a fait part de sa détermination dans ces domaines, mais tout reste à faire ou presque . Ce sont pourtant deux ingrédients non négligeables des succès enregistrés par l’industrie allemande. Ils comptent probablement beaucoup plus que les réformes menées par l’ex-chancelier Gerhard Schröder au début des années 2000 pour abaisser le coût du travail.

* Effet d'aubaine

Cas d'une entreprise qui bénéficie d'une aide publique pour créer un emploi qu'elle aurait de toute façon créé même si l'aide publique n'avait pas existé.

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