Economie

Le marché du travail manque-t-il de flexibilité ?

6 min

Emplois précaires en croissance, nombreux outils pour rompre un CDI..., le marché du travail français n'est pas aussi rigide qu'on le dit.

Pour Laurence Parisot, la patronne du Medef, l’affaire est entendue : "il est temps, pardonnez le néologisme, de détabouïser le mot de "flexibilité"", a-t-elle déclaré fin novembre 2012 à la presse, dans le cadre des négociations sur la sécurisation de l’emploi qui avaient lieu entre partenaires sociaux. Dans cette charge contre les rigidités du marché du travail, elle a trouvé comme allié l’agence de notation Moody’s, qui a dégradé la note de la France le 19 novembre dernier en dénonçant, entre autres choses, "l’incertitude judiciaire [liée aux licenciements qui] augmente implicitement le coût du travail et désincite les entreprises à embaucher". Est-ce si sûr ?

Le droit social français n’a pas empêché les entreprises de contracter leurs effectifs au plus fort de la crise : 187 000 postes ont été détruits en 2008 et 334 000 en 2009, soit les pertes les plus lourdes enregistrées depuis quarante ans. Certes, cela aurait pu être pire. Le choc économique a été d’une telle violence qu’on aurait pu s’attendre à une contraction encore plus sévère. Mais cette (relative) résistance de l’emploi n’est pas due à d’hypothétiques bâtons qu’on aurait mis dans les roues des entreprises qui souhaitaient licencier davantage. Bien au contraire, confrontés à la chute de leurs carnets de commandes, de nombreux employeurs se sont efforcés de leur plein gré de limiter les dégâts sociaux, quitte pour cela à recourir au chômage partiel. Pas par charité, mais afin de préserver les collectifs de travail et garder en interne des compétences qu’ils auraient eu du mal à retrouver le jour où il aurait fallu embaucher à nouveau. Dans l’ensemble, les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) ont été relativement épargnés.

Les précaires, variable d’ajustement

On ne peut malheureusement pas en dire autant des salariés précaires. Ce sont eux qui ont servi de principale variable d’ajustement pendant la crise. Le nombre d’intérimaires a dégringolé de 670 000 début 2008 à 440 000 un an plus tard. Les salariés en contrat à durée déterminée (CDD) ont subi un sort similaire. Or, le recours à l’intérim a beaucoup augmenté depuis le début des années 1990. De même, la part des CDD dans les embauches atteignait 81 % en 2011, son plus haut niveau depuis dix ans. Et les contrats très courts ont tendance à se multiplier : ceux de moins d’un mois ont augmenté de 88 % entre 2000 et 2010 et ceux de moins d’une semaine de 120 % sur la même période.

Malgré cette part croissante de l’emploi précaire, la majorité des salariés ont toujours un statut stable : 86 % d’entre eux sont en CDI. C’est donc un marché du travail à deux visages qui se dessine : ceux qui subissent les aléas de la conjoncture et ceux qui restent accrochés tant bien que mal à leur CDI. De là à dire que l’essentiel de la flexibilité repose sur les épaules des 14 % de salariés qui n’ont pas la chance d’avoir ce sésame, il y a un pas que s’empressent de franchir nombre d’observateurs. Mais qui mérite d’être nuancé.

Les CDI pas à l’abri

Car CDI ne rime pas avec emploi à vie. Les employeurs ont en effet toute une panoplie à leur disposition pour se séparer de leurs salariés s’ils le souhaitent. L’option la plus connue est le licenciement économique, qui s’accompagne parfois de la mise en oeuvre d’un plan social (ou "plan de sauvegarde de l’emploi", selon l’expression désormais consacrée). C’est sur ces plans sociaux que se cristallisent toutes les tensions : c’est en effet le seul point où il reste une rigidité sur le marché du travail français, du moins jusqu’à ce que les nouvelles règles de l’accord sur la sécurisation de l’emploi du 11 janvier dernier n’entrent en vigueur (voir encadré).

Mais ces plans sociaux ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Seules les entreprises de plus de 50 salariés qui licencient au moins 10 personnes sur une période de trente jours sont contraintes d’y recourir. En décembre 2012, les licenciements économiques, à la fois individuels et collectifs, ne représentaient que 2,7 % des motifs d’inscriptions à Pôle emploi. Refroidis par la lourdeur et la lenteur des procédures à mettre en place et effrayés par la perspective de voir un juge annuler un dispositif qu’ils ont mis des mois à négocier, les employeurs privilégient d’autres moyens pour se séparer de leurs salariés. Et pour cela, ils ont l’embarras du choix.

Indicateur de protection de l’emploi dans certains pays de l’OCDE, en 2008

Lecture : plus l’indicateur est proche de zéro, moins la réglementation est restrictive.

Indicateur de protection de l’emploi dans certains pays de l’OCDE, en 2008

Lecture : plus l’indicateur est proche de zéro, moins la réglementation est restrictive.

La procédure de licenciement pour motif personnel, par exemple, est assez simple. Le nombre de personnes inscrites à Pôle emploi après avoir été licenciées de cette manière a d’ailleurs explosé en dix ans (+ 60 % entre janvier 1998 et janvier 2008). A cela s’ajoute la possibilité offerte depuis 2008 de rompre le contrat de travail à l’amiable. Ce dispositif, appelé "rupture conventionnelle", a connu un succès impressionnant depuis sa création. Car, d’un côté, il offre au salarié une indemnité et des droits à l’assurance chômage, ce dont il ne bénéficie pas s’il démissionne. Et, de l’autre, il permet à l’employeur de se prémunir contre tout risque de recours en justice.

Une négociation sociale a minima

Les autres pays font-ils mieux ou pire, selon le point de vue ? Les comparaisons internationales en la matière sont délicates. L’OCDE s’est risquée à cet exercice, en créant un indicateur pour évaluer le degré de protection de l’emploi, basé sur les règles juridiques nationales qui entourent la rupture du contrat de travail. A première vue, le droit du travail français est très peu flexible : l’Hexagone arrive en 34e position sur 39 (voir graphique). Mais cette place est due pour l’essentiel à la rigidité... des contrats temporaires ! En revanche, si on s’intéresse aux obligations applicables aux licenciements collectifs, celles-là mêmes qui étaient dans le collimateur du patronat pendant la négociation sur la sécurisation de l’emploi, c’est une tout autre histoire : la France pointe en 12e position, devant les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Danemark, l’Allemagne, l’Espagne ou encore la Grèce.

Zoom Réforme du marché du travail : ce qui va changer

Le 11 janvier 2013, les partenaires sociaux ont trouvé un accord sur la sécurisation de l’emploi. Il offre à la fois plus de flexibilité aux entreprises et plus de sécurité aux salariés. Le patronat est notamment parvenu à limiter l’intervention des juges en cas de licenciement, en modifiant les règles qui encadrent la mise en oeuvre d’un plan social. Cela passera désormais soit par la négociation d’un accord majoritaire, soit par une homologation de l’administration.

Autre nouveauté : la possibilité de conclure des "accords de maintien dans l’emploi" : ils permettront aux entreprises en difficulté de baisser les salaires ou d’augmenter le temps de travail en échange d’un engagement à préserver l’emploi. Des accords de ce type existaient déjà, mais ils seront désormais mieux encadrés.

De leur côté, les syndicats ont obtenu de nouveaux droits, dont certains sont attachés à la personne et non plus au contrat de travail : généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés, création d’un compte personnel de formation transférable d’un emploi à un autre, création de droits rechargeables à l’assurance chômage, taxation de certains contrats précaires, encadrement du temps partiel, etc.

Bien entendu, cet indicateur ne compare que les règles en vigueur et ne dit rien sur les pratiques des entreprises et des organisations syndicales. Et il est vrai que les plans sociaux sont très souvent conflictuels : les syndicats n’hésitent pas à faire de l’obstruction, en se lançant dans une bataille juridique pour faire respecter les procédures. Mais s’ils réagissent de cette manière, c’est que c’est le seul moyen qu’ils ont pour se faire entendre face à un patronat qui refuse de négocier en amont les restructurations. Ce qui est en cause, c’est donc la mauvaise qualité du dialogue social en France plus que la rigidité du droit du travail. Et sur ce point, l’accord du 11 janvier change sensiblement la donne, en réduisant le risque juridique pour les employeurs et en donnant davantage de place à la négociation sociale.

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