Economie

La fiscalité est-elle redevenue plus juste ?

6 min

Les réformes introduites depuis mai 2012 ne font, pour l'essentiel, que corriger l'important affaiblissement de la fiscalité progressive depuis 2000.

L’impôt sur le revenu est progressif : la taxation devient plus forte au fur et à mesure que les revenus sont importants. Sa place dans le système fiscal n’a pourtant cessé de reculer entre 2000 et 2010, du fait de la baisse du taux marginal supérieur d’imposition*, de la multiplication des "niches fiscales" et de l’instauration d’un bouclier fiscal** : cet impôt représentait 5 % du revenu disponible des ménages en 2001, contre 3,8 % en 2010. Cette baisse a bénéficié essentiellement au dixième le plus favorisé de la population, dont la part dans le revenu des ménages est passée de 23,4 % à 24,9 % entre ces deux dates 1. Parallèlement, l’imposition des successions et des donations a, elle aussi, été fortement réduite pour les gros patrimoines tout au long des années 2000.

Certes, la tendance à la réduction de l’impôt sur le revenu avait déjà été inversée en 2011 afin de réduire le déficit public : suppression du bouclier fiscal, augmentation du prélèvement forfaitaire libératoire*** sur les revenus financiers, contribution exceptionnelle de 3 % ou 4 % sur les hauts revenus (supérieurs à 250 000 euros). Total de l’addition supplémentaire : 2 milliards. Mais cela avait été contrebalancé en bonne partie par un allégement du barème de l’ISF, l’impôt sur la fortune (- 1,5 milliard). De plus, la majoration du taux réduit de TVA pour la plupart des produits concernés (+ 1,9 milliard) avait touché davantage le dixième le moins favorisé des ménages, qui consacre à la TVA sur les achats de produits concernés 2,3 % de son revenu, contre 1 % pour le dixième des ménages les plus aisés, selon l’Insee.

Des aménagements modestes

Le changement de majorité a sensiblement modifié la donne. Dès juillet 2012, une contribution exceptionnelle sur les gros patrimoines est votée, pour un montant de 2,3 milliards. Puis la loi de finances 2013 rétablit les anciens taux de l’ISF (mais avec le barème de 2012), soumet à l’impôt sur le revenu la plupart des revenus financiers et des plus-values relevant jusqu’alors du prélèvement forfaitaire libératoire, crée une tranche d’impôt à 45 % (à partir de 150 000 euros par part) et gèle le barème**** de l’impôt sur le revenu pour 2013, moyennant des réductions ("décote") pour les ménages les moins imposés. Au total, dans le projet présenté au Parlement, l’impôt sur la fortune devait être majoré d’un milliard et l’impôt sur le revenu de 13,5 milliards, dont une partie (4,2 milliards), il est vrai, résultait de décisions prises antérieurement.

Mais la fiscalité n’est pas un long fleuve tranquille. Il y eut d’abord l’affaire des "pigeons" : faire passer la taxation des plus-values de cession d’actions du prélèvement libératoire à l’impôt sur le revenu découragera tous les créateurs d’entreprise, estimaient-ils. La taxation des plus-values de cession fut donc sérieusement écornée à leur avantage. Puis le Conseil constitutionnel "retoqua" un certain nombre de mesures votées, dont la plus emblématique, la taxe exceptionnelle à 75 % sur la tranche de revenus d’activité supérieure à 1 million d’euros.

Une remise à niveau

Il n’en reste pas moins que le budget 2013 entérine une sensible progression de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les bénéfices des sociétés 2. L’essentiel de la hausse de la fiscalité repose sur les ménages, et pour plus des trois quarts sur le dixième le plus favorisé d’entre eux. Est-on allé trop loin ? De nombreux commentateurs l’estiment et notamment notre confrère LesEchos dans un article du 22 novembre dernier. Mais il le fait sur la base d’une comparaison internationale contestable, établie par le cabinet d’audit KPMG : dans les prélèvements retenus pour cette comparaison figurent en effet notamment les cotisations sociales "contributives" qui financent un revenu en nature (l’assurance maladie) et un revenu ultérieur (la retraite). Or, le mode financement de ces prestations diffère fortement d’un pays à l’autre. Ainsi, aux Etats-Unis, l’assurance maladie privée représente en moyenne 10 % du revenu d’activité (mais l’employeur en prend en général en charge une fraction), tandis qu’au Royaume-Uni, la retraite est, pour les trois quarts, financée par l’adhésion à un fonds de pension, non prise en compte dans ces taux de prélèvements obligatoires.

Taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu en France, en %

Quant à la rumeur faisant état d’un fort exil fiscal, elle est jusqu’ici de l’ordre du fantasme : en 2011, 128 personnes ont été soumises à l’exit tax prélevée sur les plus-values latentes du patrimoine de ceux qui décident d’aller s’installer ailleurs 3. Maintenant que la majorité des revenus du capital est taxée à l’impôt sur le revenu au même titre que les revenus du travail, mieux vaudrait cependant remplacer l’épouvantail qu’est devenu l’ISF, au rendement fiscal peu élevé et à l’assiette très étroite (en pratique, il ne taxe guère que l’immobilier), par une majoration du taux de la dernière tranche d’impôt sur les revenus.

En réalité, la nouvelle fiscalité n’est pour l’essentiel qu’une remise à niveau corrigeant la dérive libérale qui avait abouti à ce qu’on taxe nettement moins en France les revenus élevés que dans le reste de l’ex-Union à quinze : avec ses 45 % de taux marginal supérieur, la France se situe désormais en... 13e position sur 15 pour l’impôt sur le revenu 4. Le taux marginal supérieur est à 56,6 % en Suède, 55,4 % au Danemark, 53,7 % en Belgique, 52 % aux Pays-Bas et en Espagne, 50 % au Royaume-Uni. Même en y ajoutant la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), la fiscalité française maximale sur le revenu se situe désormais à 50,8 % 5, tout à fait dans la norme de l’Union à quinze.

Malgré ces modifications, on reste toutefois loin de la grande réforme fiscale attendue, celle qui simplifierait une fiscalité sur le revenu devenue trop complexe et illisible pour les citoyens. Et qui donnerait à la fiscalité écologique une place essentielle, alors qu’aujourd’hui elle est réduite à très peu. 2013 est donc sur le plan fiscal une année de mise à niveau sociale. Il reste à faire une mise à niveau environnementale.

  • 1. Métropole uniquement. Un point de part de revenu en plus ou en moins représente un déplacement d’environ 11 milliards d’euros.
  • 2. Mais un "crédit d’impôt pour l’emploi et la compétitivité" va réduire l’impôt sur les bénéfices des sociétés de l’équivalent de 4 % du montant des salaires bruts inférieurs à 3 500 euros versés en France en 2014 et de 6 % en 2015 (ce qui désavantagera les multinationales), cependant le financement de ce crédit d’impôts - passage de la TVA de 7 % à 10 % - est critiquable.
  • 3. Cette taxe est prélevée seulement lorsque les plus-values sont "exercées" (c’est-à-dire qu’elle est perçue lors de la vente des éléments du patrimoine concerné). En 2011, la plus-value latente moyenne déclarée par les exilés fiscaux a été de 11 millions d’euros, soit une ressource fiscale potentielle de 2,3 millions par contribuable.
  • 4. Et les deux derniers (l’Irlande et le Luxembourg) ne se situent pas très loin avec respectivement des taux marginaux supérieurs de 41 % et 42,1 %. En 2010, la France avait le plus bas taux de toute l’Union européenne à quinze.
  • 5. La CSG-CRDS est de 8 % sur le revenu d’activité, mais l’essentiel est déductible du revenu imposable à l’impôt sur le revenu. On ne peut donc pas additionner les deux taux.
* Taux marginal supérieur

Taux de la dernière tranche d'impôt sur le revenu (en 2013, 45 % pour les revenus imposables excédant 150 000 euros par part).

** Bouclier fiscal

plafonnement du montant total des impôts payés (CSG + impôt sur le revenu + ISF + taxe d'habitation) à une certaine proportion du revenu déclaré (50 % entre 2007 et 2012), supprimé en 2012. Il reste un plafonnement de l'impôt (sur le revenu et ISF) à 75 % du revenu.

*** Prélèvement forfaitaire libératoire

Taxation des plus-values et des revenus financiers à 21 % ou 24 % (+ 15,5 % de prélèvements sociaux) se substituant à celle de l'impôt sur le revenu.

**** Gel du barème

Le barème de l'impôt sur le revenu est normalement relevé chaque année du montant de la hausse des prix à la consommation. Il ne l'a pas été en 2012 ni en 2013.

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