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L’union bancaire reste largement à construire

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Le projet d'une union bancaire européenne a été entériné en décembre dernier. Mais de nombreux obstacles demeurent pour la réaliser d'ici l'an prochain.

Les inquiétudes soulevées, fin janvier 2013, par la révélation des importantes pertes de la plus ancienne banque du monde, l’italienne Monte dei Paschi di Siena, sont venues rappeler, s’il en était besoin, que la situation financière dans la zone euro demeure précaire. La fragilité des banques commerciales dans certains pays est l’une des principales sources de tension depuis le déclenchement de la crise bancaire et financière de 2008 : en première ligne lors de la transmission de la crise américaine à l’Europe, les banques ont été aussi l’une des causes des profonds déséquilibres des finances publiques qui se sont accumulés dans la plupart des pays européens, notamment ceux qui, tels l’Irlande ou l’Espagne, paraissaient jouir des comptes publics les plus sains.

En discussion depuis l’été 2012, le projet d’une union bancaire européenne a été lancé lors de la réunion du Conseil européen d’octobre 2012 et entériné à la mi-décembre 2012 par le Conseil Ecofin, qui réunit les ministres de l’Economie et des Finances de l’Union européenne. L’objectif est que cette union soit opérationnelle en 2014. Dès janvier 2013, ce même Conseil Ecofin s’est attelé à en définir précisément les contours et les missions. Tâche titanesque, en vérité, dont on peut craindre qu’elle n’aboutisse pas, car si tous peuvent facilement s’accorder sur la nécessité de mettre en place des règles communes et une supervision coordonnée, les implications concrètes de ces orientations communes sont loin de faire l’unanimité.

Le préalable à tous ces débats concerne le périmètre même de l’union bancaire : doit-elle s’appuyer sur le marché unique et inclure de ce fait la totalité des 27 Etats membres de l’Union (et bientôt 28 avec la Croatie à partir du 1er juillet 2013) ou doit-elle concerner uniquement les Etats membres de la zone euro, c’est-à-dire les 17 Etats qui partagent la même monnaie et ont confié à la Banque centrale européenne (BCE) la gestion de leur politique monétaire commune ? Derrière cette première interrogation, c’est évidemment avant tout la place du Royaume-Uni, dedans ou dehors, qui est en jeu, avec ce que cela implique en matière de choix de réglementation et d’arrangements institutionnels - notamment la question du rôle que jouera la BCE dans l’union bancaire.

De nombreux autres aspects de ce projet, notamment la question cruciale des garanties financières, demeurent conflictuels, de sorte que les chances de parvenir réellement à un accord opérationnel avant 2014 sont minces, même si la présidence irlandaise de l’Union au premier semestre 2013 s’emploie avec énergie à promouvoir un projet qui la concerne au premier chef, puisque les finances publiques de ce pays ont été plombées par le sauvetage de son secteur bancaire.

Prévenir les crises systémiques

L’objectif premier de la réglementation des établissements de crédit, et plus généralement des institutions financières et d’assurance, est de les contraindre à ne pas assumer des risques excessifs ou à s’auto-assurer contre les risques qu’ils prennent. C’est la raison pour laquelle cette réglementation est souvent qualifiée de prudentielle. De même, la supervision de ces entreprises a pour objectif de vérifier qu’elles respectent cette réglementation et adoptent des comportements "prudents", notamment dans l’évaluation des risques auxquels elles sont exposées.

Cette attention particulière des pouvoirs publics aux entreprises des secteurs bancaire, financier et de l’assurance est elle-même justifiée par la nature spécifique des risques encourus, par l’ampleur des conséquences potentielles d’une défaillance de ces établissements sur l’ensemble de l’économie et des citoyens, et par les garanties, explicites et implicites, que les pouvoirs publics leur octroient. C’est ce qu’illustrent de manière spectaculaire les montants des soutiens publics, temporaires ou permanents, que les autorités, nationales et européennes (BCE, par exemple) ont mobilisés pour venir en aide aux banques en difficulté depuis le début de la crise financière de 2008. Ou encore des secours apportés par les pouvoirs publics en cas de catastrophe naturelle ou environnementale majeure, par nature inassurable par des entreprises privées d’assurances.

C’est donc en définitive en raison de l’existence de ces garanties, qui peuvent prendre la forme d’interventions de prêteur en dernier ressort*, lorsqu’il s’agit s’assurer la liquidité du secteur bancaire ou d’être "l’assureur ultime", lorsqu’il s’agit de couvrir des pertes et/ou de recapitaliser certaines de ces entreprises que les Etats doivent légitimement s’assurer que les institutions financières ne leur font pas courir de risques excessifs.

Zoom Séparer les activités de dépôts de celles d’investissement ?

L’idée est ancienne : elle consiste à isoler, d’un côté, les risques que prennent les établissements financiers avec leurs activités d’investissement et leurs spéculations pour compte propre sur les marchés financiers, et d’un autre côté, les dépôts bancaires des ménages et des entreprises. Avec la crise bancaire et financière de 2007-2008, elle a connu un regain de popularité, notamment dans les pays anglo-saxons.

L’expérience, somme toute probante, a été tentée aux Etats-Unis au lendemain de la grande crise bancaire du début des années 1930. Une loi, le Glass-Steagall Act, a été adoptée en 1933, qui imposait une stricte séparation entre les établissements accueillant les dépôts à vue et les autres ; seuls les premiers relevaient de la supervision bancaire et bénéficiaient du fonds de garantie des dépôts. Cette séparation est demeurée en vigueur jusqu’à 1999 et son abolition pour mettre la loi en conformité avec les pratiques bancaires, notamment la constitution de géants de nature conglomérale comme Citigroup.

Une décennie plus tard, le législateur américain, instruit par la crise et ses répercussions sur les finances publiques et sur l’économie américaine tout entière, a souhaité réintroduire un cloisonnement entre collecte des dépôts et activités de placement de spéculation. Mais une séparation complète est apparue trop radicale, notamment pour les grandes banques existantes, qui sont toutes devenues de grands "supermarchés financiers", la crise contribuant encore à la concentration du secteur. C’est finalement une version un peu édulcorée dite "règle Volcker" - du nom de l’ancien président de la Réserve fédérale américaine - qui a été incluse dans le nouveau texte de réglementation financière adoptée par le Congrès en 2010, le Dodd-Frank Act. Elle impose une séparation fonctionnelle et des limitations sur les activités de marché pour compte propre, mais pas la partition des établissements. De même, au Royaume-Uni, le rapport Vickers, remis en 2012 au gouvernement, préconise une séparation. Une nouvelle loi bancaire est également en préparation en France. Mais les pays d’Europe continentale, qui ont une tradition de banques universelles, rechignent à pousser aussi loin que les Anglo-Saxons dans cette voie.

Tant la réglementation et la supervision que la charge financière des éventuelles garanties ont, jusqu’à récemment, toujours été exercées et assumées dans le cadre national. Cela paraissait naturel aussi longtemps que les marchés bancaires, notamment, demeuraient essentiellement structurés selon les frontières nationales, que les interdépendances étaient de ce fait limitées et les risques de contagion dès lors assez faibles. Il existe certes, depuis les années 1980, des normes prudentielles internationales édictées pour les banques par le comité de Bâle, qui regroupe les principales banques centrales. Mais ces normes - dont la nouvelle génération, dite "Bâle 3", a été incorporée dans les législations européennes en 2010 et doit entrer en vigueur avant juillet 2013 dans l’Union - n’ont qu’un caractère indicatif pour les autorités nationales. De même, les directives bancaires de l’Union imposent aux gouvernements des Etats membres une certaine harmonisation réglementaire, mais limitée. Depuis janvier 2011, l’Autorité bancaire européenne, créée en application des recommandations du rapport de Larosière de 2009, coordonne les superviseurs bancaires nationaux des pays membres, mais sans disposer de pouvoirs réels autres que d’information et de persuasion.

Couper les ponts

L’expérience de l’Union depuis le début de la crise financière montre cependant que ces dispositifs sont insuffisants, tant pour prévenir les accidents bancaires que pour éviter que leurs conséquences affectent fortement les finances publiques des Etats membres et, par contagion ou par le jeu des mécanismes de solidarité financière institués depuis trois ans, celles des pays partenaires. L’ampleur des garanties mobilisées par certains Etats explique, dans de nombreux cas, la dégradation de leur situation financière et l’augmentation vertigineuse de leur endettement public : le sauvetage des banques a coûté près de 50 milliards d’euros à l’Irlande en 2009, soit plus de 25 points de produit intérieur brut (PIB), les besoins en capitaux des banques ont dépassé les 40 milliards d’euros en Espagne en 2012, sans parler plus récemment de Chypre. Ce qui a contraint ce pays à solliciter l’assistance financière des autres gouvernements, du Fonds monétaire international (FMI) et, désormais, du Mécanisme européen de solidarité (MES). En tout, le soutien des banques par les Etats a déjà coûté, depuis le déclenchement de la crise, plus de 1 600 milliards d’euros aux gouvernements européens, soit environ 13 % du PIB de la zone.

Cet enchaînement fatal entre difficultés des secteurs bancaires nationaux, souvent détenteurs d’une part importante du stock existant de dette publique nationale, et alourdissement de l’endettement public, est au coeur de la crise que traverse la zone euro depuis le printemps 2009. Organiser collectivement la prévention des crises bancaires grâce à la mise en place d’un Mécanisme de supervision unique (MSU) - contrôlé par une autorité unique qui, selon les décisions de décembre 2012, sera la BCE - apparaît ainsi comme une étape essentielle dans la résolution de cette crise.

Qui paiera la facture ?

L’accord de principe obtenu en décembre dernier sur la création de cette union bancaire, sur son entrée en vigueur en 2014 et sur l’octroi à la BCE de la charge de la supervision ne règle toutefois pas tous les problèmes. De nombreux obstacles demeurent sur la voie d’une telle union. La question de son périmètre - Union ou zone euro - a déjà été évoquée ; et la position britannique est d’autant plus hostile que c’est à la BCE qu’a été confiée la tâche.

Pour complaire au gouvernement allemand, qui ne souhaitait pas que les banques régionales et les caisses d’épargne allemandes y soient soumises, la proposition de la présidence chypriote, adoptée par le Conseil Ecofin, limite la supervision unique aux établissements dits "systémiques", c’est-à-dire ceux dont la taille du bilan excède un certain montant (30 milliards d’euros) ou un certain pourcentage (20 %) du PIB du pays de résidence. Mais peut-on raisonnablement confier aux seules autorités nationales la supervision des autres établissements ? L’exemple allemand, précisément, dans lequel les banques régionales ont joué un rôle dangereux et demeurent fragiles, incite à la prudence ; plus généralement, le caractère, systémique - c’est-à-dire les risques de transmission à l’ensemble du système - ne peut se résumer à la taille des banques.

Zoom Taxer les banques ?

Au lendemain de la crise financière, alors que les dégâts causés par les activités spéculatives imprudentes et les coûts imposés aux finances publiques par les défaillances bancaires alimentaient le ressentiment à l’égard des banques, la question d’une taxation spécifique de ces activités a été soulevée. Il est vrai qu’à la différence des autres secteurs, les banques ne sont pas soumises à la TVA en Europe. Mais cela ne constitue pas nécessairement un avantage net puisqu’elles ne peuvent, de ce fait, pas déduire les montants de TVA acquittés sur leurs achats.

Deux projets ont été étudiés par la Commission européenne : la taxation des activités financières et la taxation des transactions financières. La première relève davantage d’une logique de taxation des établissements ; la seconde d’une logique de dissuasion des transactions spéculatives, dans la lignée de l’idée de la taxe Tobin. Cette taxe, de très faible taux sur les transactions financières (entre 0,05 % et 0,2 %), avait été proposée dans les années 1970 par le futur lauréat du prix "Nobel" d’économie James Tobin, afin de "mettre un grain de sable dans les rouages de la spéculation".

C’est finalement ce projet de taxation des transactions financières qui est sur le point de voir le jour au niveau européen. Douze pays membres y sont désormais favorables (il en faut neuf au minimum). Mais la plupart des gouvernements nationaux ont aussi choisi d’alourdir l’imposition des banques, notamment pour qu’elles contribuent davantage aux coûts qu’engendrent leur supervision et les garanties implicites que leur accordent les finances publiques, mises à contribution en cas de crise bancaire.

De fait, la pression fiscale sur les établissements financiers a significativement augmenté en France depuis le début de la crise, comme le montre un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de 2013. Les banques sont-elles pour autant surtaxées ? Le CPO le suggère, tout en insistant sur l’insuffisance des ressources prélevées pour faire face aux coûts de crises systémiques. Mais cette conclusion est discutable.

Si la plupart des pays européens ont choisi de taxer plus leurs banques, ce mouvement n’est, hélas, pas coordonné, ce qui induit, une fois de plus, des distorsions et des risques de concurrence fiscale. De plus, l’utilisation des recettes de ces nouvelles taxes, en pratique très diverses, diffère selon les pays : dans certains, elles alimentent un fonds de garantie ; dans d’autres, comme la France, elles financent le fonctionnement des autorités de régulation ou alimentent le budget de l’Etat. L’Europe de la taxation du secteur financier reste encore à inventer.

En outre, il reste à s’accorder sur l’essentiel, à savoir les procédures de résolution en cas de défaillance d’un ou plusieurs établissements et le partage du fardeau financier correspondant. Mettre en place un mécanisme de renflouement direct par le MES permettrait de briser le lien direct entre banques et finances publiques nationales, et de mutualiser les pertes à l’échelle de l’Union. Mais, d’une part, la dotation actuelle du MES - limitée à 750 milliards d’euros et déjà en partie engagée - pourrait se révéler insuffisante ; d’autre part et surtout, l’incitation ainsi créée risquerait d’aboutir à un aléa moral** massif, les banques systémiques n’ayant plus guère d’incitations à éviter la prise de risques excessifs, et les Etats membres n’en ayant pas davantage à les en dissuader.

Il semble dès lors difficile de progresser réellement sur le front de l’union bancaire sans poser à nouveau la question de la solidarité financière, et donc du fédéralisme budgétaire, sous une forme ou sous une autre. La question qui est posée est en définitive celle de savoir si l’on peut vraiment faire en sorte que les coûts des sauvetages bancaires soient supportés par les actionnaires ou les clients des établissements, par imposition de ratios de solvabilité élevés et mises en place de dispositifs d’assurances de dépôts financés par des prélèvements obligatoires sur les banques. Ou si, au contraire, les contribuables devront être sollicités. Mais, dans ce cas, quels contribuables ? Tant qu’il n’existe pas de véritable budget européen de taille significative et tant que les ressources financières, pour le budget européen existant et pour le MES, proviennent de contributions nationales des Etats membres, la solidarité financière reste limitée. Elle demeure tributaire du bon vouloir des gouvernements nationaux. On peut douter que ce soit compatible avec l’existence d’une union bancaire.

* Prêteur en dernier ressort

Institution qui peut prêter de manière illimitée aux banques en cas de crise de liquidité. Ce rôle est joué par la banque centrale dans une économie nationale.

** Aléa moral

Encouragement à la prise de risque provoqué par l'existence d'une assurance en cas de réalisation du risque. Ainsi, les banques peuvent prendre des risques excessifs sachant que, quoi qu'il arrive, elles seront assistées par un prêteur en dernier ressort qui leur évitera la faillite.

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