Société

Ecole : priorité au primaire

6 min

Dans sa lutte contre l'échec scolaire, le gouvernement a fait de l'école primaire sa priorité. Pour réussir, il devra la considérer dans toute sa diversité.

L’école française va mal. Au moment de leur entrée dans la vie active, environ 15 % des jeunes n’ont pas acquis de diplôme qualifiant ou ne maîtrisent pas les connaissances et les compétences de base permettant de s’adapter, et donc de faire carrière. De quoi rendre leur insertion dans l’emploi particulièrement difficile, alors que les transformations du système productif observées au cours des dernières décennies ont élevé les attentes des employeurs, en même temps que le haut niveau du chômage les rendait plus sélectifs. Résultat : si l’importance du chômage des jeunes s’explique en grande partie par la faiblesse de l’activité, le phénomène ne frappe pas tous les jeunes de la même façon : malgré la crise, la plupart des jeunes diplômés continuent de s’intégrer dans la vie active sans trop de difficultés 1, tandis que ceux sans formation se trouvent très souvent repoussés au bout des files d’attente, y compris pour les emplois qui ne requièrent a priori pas une qualification élevée. D’où l’urgence d’agir contre l’échec scolaire.

Proportion d’élèves de CM2 et de troisième qui maîtrisaient les compétences de base en français et en mathématiques en mars 2012 (France métropolitaine et Dom, public et privé), en %

La faute au primaire ?

Pendant longtemps, le collège a été considéré comme le maillon faible du système éducatif. De fait, c’est là que se concentraient les difficultés les plus apparentes. En cause, l’accès de tous les enfants à un cursus unifié - "le collège unique" -, sans que les méthodes et les objectifs aient été adaptés ni que les moyens nécessaires aient été dégagés pour soutenir les élèves en difficulté. Or, le niveau des élèves à l’entrée en sixième demeurait très hétérogène. Si le collège est le symptôme, c’est donc plutôt l’école primaire - élémentaire et maternelle - qui est désormais désignée comme le lieu où tout se noue. De fait, les différentes enquêtes internationales montrent qu’un pourcentage élevé d’élèves ne maîtrise pas, à la sortie du CM2, les compétences de base en compréhension de l’écrit ou en mathématiques. Une proportion qui s’est plutôt accrue depuis dix ans.

La faute à l’école primaire ? Oui et non. Car, malgré l’engagement des professionnels, l’école hérite d’enfants dont le niveau est déjà très différent dès l’entrée en maternelle. Certains sont prêts à apprendre, maîtrisent déjà différents niveaux de langage - celui qu’on parle avec les copains et celui de la maîtresse -, tandis que d’autres peinent à faire des phrases correctement construites et n’ont qu’un vocabulaire limité. A cela s’ajoute le fait qu’en dépit de l’aspiration de l’immense majorité des parents à voir réussir leurs enfants, les difficultés du quotidien de nombreuses familles, en termes notamment de revenus et de logement, ne facilitent pas les choses. Dans un tel contexte, rien ne sert d’accabler l’école, mais cela ne la dispense pas pour autant d’agir plus efficacement pour tenter de réduire les inégalités et assurer la réussite de tous.

Une question de méthodes et de moyens

Si la nécessité de lutter contre l’échec scolaire est régulièrement réaffirmée par tous les ministres qui se succèdent, les dispositifs mis en oeuvre ont ciblé les enfants les plus en difficulté, avec l’idée de les faire recoller au peloton. Mais les méthodes mises en oeuvre pour l’ensemble des enfants n’ont pas été suffisamment questionnées. Or, ce sont elles aussi qu’il faut modifier pour que l’école soit plus inclusive. Cela passe par une réflexion sur la pédagogie et une définition claire des objectifs. En maternelle, par exemple, il faut cesser d’opposer activités d’éveil et d’apprentissage, comme si les premières étaient de l’ordre du jeu tandis que les secondes seraient seules vraiment sérieuses - en vertu du principe qui veut qu’on n’est pas à l’école pour rigoler. En fait, les premières sont la condition de l’efficacité des secondes, sauf à faire de la maternelle une propédeutique à l’école élémentaire qui ne profite qu’aux élèves déjà formatés !

Changer l’école n’est donc pas seulement une question de moyens. Il est cependant tout aussi ridicule d’imaginer qu’il suffirait de décréter d’en haut de nouveaux objectifs pour tout changer, sans rien transformer des conditions d’exercice du métier. Car, pour que les enseignants s’approprient de nouvelles méthodes et repensent autrement leur métier, il faut aussi que leurs conditions de travail changent sur le terrain. En 2010, la France dépensait 14 % de moins par élève au niveau primaire que la moyenne des pays de l’OCDE. La dépense moyenne annuelle par élève, en 2011, était de 5 870 euros dans le premier degré, contre 9 660 euros dans le second degré (collège et lycée). On comptait 21,2 élèves par enseignant dans l’enseignement primaire public français en 2010, contre 19,8 dans l’Union européenne. Des moyennes qui masquent en outre d’importantes inégalités, les classes surchargées se rencontrant souvent dans les quartiers populaires.

En décidant de donner la priorité à l’école primaire, en annonçant des recrutements destinés d’abord aux quartiers populaires, là où se concentrent les difficultés, en allant vers une situation où l’on puisse avoir plus de maîtres que de classes, de quoi rendre possible une pédagogie différenciée sur le temps scolaire, le nouveau gouvernement va dans le bon sens. Reste à voir si les intentions proclamées seront effectivement suivies d’effets, dans un contexte budgétaire difficile.

Agir sur l’environnement

Mais beaucoup de choses se jouent avant même l’école primaire. Il faut donc agir aussi pour modifier les conditions de vie et d’accueil des enfants dès leur plus jeune âge. Lutter efficacement contre l’échec scolaire suppose d’améliorer en parallèle les politiques de la petite enfance dans toutes leurs dimensions. Le développement de modes de garde de qualité accessibles à tous est ici une priorité majeure. Dans l’intérêt des enfants, mais aussi parce qu’elle facilite le maintien dans la vie active des mères, facteur déterminant pour qui veut réduire la pauvreté infantile. Les modifications du congé parental - mieux rémunéré et plus court - proposées par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault vont ainsi dans le bon sens. De même, alors que les gouvernements précédents ont réduit drastiquement le taux d’accueil des enfants en maternelle avant 3 ans, un mouvement inverse est annoncé, en donnant la priorité aux quartiers populaires.

Changer l’école, ensuite, c’est aussi améliorer le bien-être des enfants, les conditions d’accueil dans les cantines, la qualité des toilettes, etc. Autant de choses considérées comme secondaires dans un système éducatif où la transmission des connaissances prime sur tout, mais qui sont pourtant essentielles pour assurer la réussite de tous.

Changer l’école, c’est aussi transformer les rythmes scolaires, comme l’a décidé le nouveau gouvernement. Mais la réussite de cette réforme suppose que la prise en charge des élèves en dehors du temps d’enseignement stricto sensu soit satisfaisante. L’enjeu ici est d’éviter en particulier que ne s’aggravent encore les inégalités entre communes riches et communes pauvres, des inégalités dénoncées avec raison par les organisations syndicales.

Enfin, il faut refondre la carte scolaire de manière à assurer une plus forte mixité sociale dans les classes. Mais il ne faut pas s’y tromper, cette mixité sera d’autant mieux acceptée que les moyens et méthodes mis en oeuvre dans les écoles seront de nature à assurer la réussite de tous les enfants.

  • 1. Voir "Un diplôme, et après ?", Alternatives Economiques Poche n° 59, janvier 2013, en kiosque et dans nos archives en ligne.

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