Société

La pauvreté n’est pas une fatalité

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Le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté présenté en janvier dernier a le mérite de lier logement, santé, éducation, emploi, etc. Mais nombre des mesures annoncées restent insuffisantes.

La pauvreté n’est pas une fatalité, la précarité n’est pas un fléau qui s’abat au hasard sur une partie de la population ; ce n’est pas non plus une marque d’infamie. La précarité est le fait de processus économiques et sociaux que l’on peut combattre à condition d’être déterminés." A travers ces mots prononcés par Jean-Marc Ayrault à l’ouverture de la Conférence nationale contre la pauvreté du 10 décembre dernier, le gouvernement actuel affiche un certain volontarisme sur le dossier de la lutte contre la pauvreté. Alors que la droite, après avoir dans un premier temps annoncé elle aussi des objectifs ambitieux au moment de la mise en place du revenu de solidarité active (RSA), avait eu tendance à partir de 2009 à surtout stigmatiser les pauvres et les chômeurs en les rendant responsables de leur situation.

Dans la foulée de la conférence nationale, le gouvernement a présenté, en janvier dernier, un plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté. Il a le mérite d’englober à la fois les questions de logement, de santé, d’accès à la formation, d’éducation, de surendettement ou encore d’emploi. Si l’ensemble va plutôt dans le bon sens, de nombreuses mesures manquent néanmoins d’ambition. Quant aux moyens budgétaires, sans surprise, ils restent très limités.

Un RSA insuffisant et restrictif

Combattre la pauvreté implique en effet d’agir simultanément sur plusieurs leviers. Il est tout d’abord impératif d’assurer aux plus démunis des revenus décents. Actuellement, les personnes sans aucune ressource bénéficient du RSA dit "socle", l’ex-revenu minimum d’insertion (RMI), d’un montant maximal pour une personne seule de 483 euros par mois 1. Ce montant équivaut à peine à la moitié du seuil officiel de pauvreté*, fixé à 964 euros pour une personne seule en 2010 : être allocataire du RSA socle condamne donc automatiquement à être très pauvre. Depuis la création du RMI en 1989, son niveau a même régulièrement reculé par rapport au Smic.

Face à ce constat, les acteurs du secteur demandaient une revalorisation importante du RSA socle. Le gouvernement n’a que très partiellement répondu à leur attente, en annonçant une hausse de 10 % de cette allocation, en sus de l’inflation, d’ici à 2017.

Evolution du taux de pauvreté (en % de la population totale) et du nombre de personnes pauvres (en millions), au seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian

Par ailleurs, les jeunes, lorsqu’ils n’ont pas d’emploi et ne sont pas soutenus financièrement par leurs parents, n’ont pour la plupart aucune ressource : la majorité n’a accès ni au RSA (qui ne leur est ouvert que sous certaines conditions extrêmement restrictives) ni à l’assurance chômage, faute d’y avoir suffisamment cotisé. Le gouvernement a exclu d’élargir l’accès des jeunes au RSA. Il a néanmoins prévu la création d’un dispositif appelé "garantie jeunes", un contrat d’un an renouvelable signé entre un jeune en difficulté et le service public de l’emploi. En échange d’engagements à mener des démarches d’insertion, le jeune pourra bénéficier d’une allocation équivalente au RSA socle. Mais le dispositif ne devrait concerner que 100 000 personnes par an, alors que 700 000 jeunes de moins de 25 ans étaient inscrits en décembre dernier à Pôle emploi en catégorie A, B ou C.

De manière générale, dans un contexte de forte pénurie d’emplois, il serait nécessaire d’élargir l’accès des demandeurs d’emploi à l’indemnisation chômage. Cette question ne dépend pas du gouvernement, cette fois, mais des partenaires sociaux (syndicats et patronat) qui doivent en débattre cette année. Un progrès a été fait en la matière avec l’accord sur la sécurisation de l’emploi signé entre le Medef et certains syndicats (CFDT, CFTC et CFE-CGC) en janvier 2013, qui acte le principe de l’instauration de "droits rechargeables"** à l’assurance chômage. Mais reste à voir la forme que cela prendra. En outre, le dispositif risque d’avoir pour effet pervers d’inciter les employeurs à multiplier les contrats temporaires, avec la complicité des salariés concernés, puisque ceux-ci auront davantage de droits au chômage entre deux contrats de travail.

Des emplois de qualité, aidés si besoin

Au-delà de la question des revenus de remplacement, lutter contre la pauvreté implique avant tout de créer des emplois en nombre, de meilleure qualité qu’aujourd’hui, et de permettre au plus grand nombre d’y accéder. De ce point de vue, même en période de forte création d’emplois, les personnes les plus en difficulté sur le marché du travail cumulent deux handicaps. D’une part, elles rencontrent des difficultés qui sont d’ordre professionnel (manque de qualification ou d’expérience), mais aussi social (problèmes de garde d’enfants, absence de logement ou de moyen de transports, illettrisme...), qu’il faut les aider à surmonter. D’autre part, elles se heurtent à la réticence de la plupart des employeurs, dont les pratiques de recrutement sont de plus en plus sélectives.

D’où l’importance des emplois aidés. Ceux-ci peuvent leur être réservés et sont subventionnés pendant un temps par les pouvoirs publics afin d’inciter les entreprises, les associations ou les collectivités à les embaucher. Ces emplois ne règleront pas la question du chômage, mais s’ils sont bien ciblés et bien accompagnés, ils peuvent redonner une chance à ceux qui étaient relégués au bout de la file d’attente.

D’où l’importance également du secteur de l’insertion par l’activité économique - l’IAE (entreprises d’insertion, chantiers d’insertion...) -, qui propose des contrats temporaires à des personnes éloignées du marché du travail, afin de leur remettre le pied à l’étrier et leur donner de l’expérience professionnelle. D’où l’enjeu, enfin, d’associer à ces démarches un accompagnement social et professionnel et une formation adaptée, permettant aux individus de résoudre leurs difficultés propres.

En la matière, les efforts du gouvernement concernent davantage les jeunes peu qualifiés que l’ensemble des personnes en difficulté sur le marché du travail, et les financements publics de l’IAE restent insuffisants.

Former mieux et sécuriser les parcours

Une fois retournés sur le marché du travail, encore faut-il que les anciens chômeurs ne se transforment pas en travailleurs pauvres. C’était avant tout pour lutter contre cette pauvreté laborieuse que le gouvernement de François Fillon avait créé, en 2009, le RSA dit "activité" : un complément de salaire versé aux travailleurs dont les revenus ne dépassent pas le seuil de pauvreté.

Il s’agit évidemment d’une aide précieuse pour les 453 000 allocataires qui le touchaient au 30 septembre 2012. Néanmoins, ce dispositif mériterait d’être réformé sur plusieurs points. D’une part, l’allocation est d’un montant le plus souvent insuffisant pour permettre réellement aux ménages de sortir de la pauvreté. D’autre part, le RSA activité a largement raté sa cible, puisque 68 % des personnes qui pourraient y avoir droit ne demandent pas à en bénéficier, pour des raisons diverses : complexité des démarches, manque d’information, peur de la stigmatisation, etc.

Surtout, le dispositif peut inciter les employeurs à développer les emplois à temps très partiel, considérant que les faibles salaires de leurs employés seront de toute façon complétés par le RSA activité. Or, pour lutter contre la pauvreté, il faudrait au contraire inciter les entreprises à avoir moins recours aux contrats temporaires et aux temps partiels.

L’accord sur la sécurisation de l’emploi conclu en janvier dernier marque quelques progrès en ce sens : il prévoit un taux de cotisation des entreprises à l’assurance chômage plus élevé pour certains contrats à durée déterminée (CDD), dans le but de réduire la précarité. Mais ce taux ne s’appliquera pas à tous les CDD et les modalités de mise en oeuvre restent à fixer. L’accord fixe également un temps de travail minimal pour un emploi à temps partiel, mais laisse là aussi quelques échappatoires.

Plus largement, la lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion de tous nécessite de réformer en profondeur notre système de formation initiale - l’échec scolaire est un facteur essentiel de pauvreté et d’exclusion -, ainsi que l’organisation du système de protection sociale dans son ensemble : aujourd’hui, la plupart des droits sociaux (accès à une complémentaire santé, droits à l’assurance chômage, à la retraite, à la formation professionnelle...) sont associés à l’occupation d’un emploi. Dans un contexte où le chômage et la précarité sont de plus en plus répandus, cela écarte de fait un grand nombre de gens du bénéfice de cette protection sociale.

Là aussi quelques progrès ont été réalisés ces dernières années et avec l’accord du 11 janvier 2013. Il faudrait cependant aller plus loin et, comme le prônent notamment les sociologues Robert Castel et Nicolas Duvoux 2, refonder le système de solidarité, en associant les droits sociaux non plus aux emplois, mais à chaque personne, quel que soit son parcours professionnel.

  • 1. Ce montant est un maximum car le RSA est une allocation dite "différentielle" : une personne vivant seule ayant par exemple 100 euros de ressources autres (allocation chômage...) ne touchera que 383 euros au titre du RSA (483 - 100 euros). Un "forfait logement" de 57 euros est également retiré de ce montant si l’allocataire est propriétaire de son logement ou logé à titre gratuit ou bénéficiaire d’une aide au logement.
  • 2. Voir L’avenir de la solidarité, par Robert Castel et Nicolas Duvoux, PUF-La vie des idées, 2013.
* Seuil de pauvreté

Sont considérés comme pauvres les ménages dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté, généralement fixé à 60 % du revenu médian du pays, parfois à 50 % de ce revenu.

** Droits rechargeables

Possibilité pour une personne, en cas de reprise d'emploi, de reporter ses droits à l'assurance chômage non consommés.

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