Economie

La finance est-elle sous contrôle ?

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Les pays du G20 se sont dotés de nouveaux outils pour encadrer la finance. Des dispositifs à l'efficacité encore incertaine et qui sont loin d'être suffisants.

Plus de six années après le début d’une crise financière d’ampleur historique et aux conséquences économiques et sociales désastreuses, de multiples régulations sont actuellement mises en oeuvre pour maîtriser la finance et ses dérapages. Certaines d’entre elles s’attaquent directement à des causes essentielles du développement des bulles spéculatives, mais c’est loin d’être gagné, car elles doivent encore faire leurs preuves. De plus, le nouveau filet de régulation progressivement mis en place comporte encore des trous béants.

Maîtriser les innovations

Toute bulle spéculative commence par des innovations financières, de nouveaux moyens de gagner de l’argent inventés par des petits génies des statistiques. Plusieurs pays, dont la France, ont créé de nouvelles institutions destinées à localiser les produits et les marchés pouvant être sources de nouveaux risques (le Conseil de stabilité financière, en France). Mais rien ne garantit leur efficacité. Plusieurs régulateurs américains avaient vu venir la crise des subprime, mais ils n’ont rien pu faire face à une classe politique et une banque centrale adeptes de l’autorégulation des marchés.

Zoom Les trois oublis de la régulation

Des banques toujours aussi imposantes : les établissements financiers sont d’autant plus sujets à des crises aux conséquences importantes sur les économies qu’ils sont gros et complexes. Les régulations d’après-crise n’y ont rien changé : les actifs de la seule BNP Paribas sont équivalents au total du produit intérieur brut (PIB) français, et Santander en Espagne ou HSBC au Royaume-Uni pèsent bien plus que leur économie locale. Comprendre le niveau et la nature des risques pris aujourd’hui par une banque de cette taille est pratiquement impossible pour un acteur extérieur.

Des risques internes mal contrôlés : des contrôleurs internes aux banques avaient souvent vu monter la crise, mais leurs avertissements étaient restés lettre morte. En période d’euphorie, le rapport de force est en effet défavorable à ceux qui veulent arrêter la fête. Comme l’a bien souligné le rapport Liikanen en Europe, beaucoup reste à faire pour améliorer les choses en ce domaine. Cela passe notamment par un meilleur contrôle des rémunérations excessives que continue à distribuer la finance.

Des paradis fiscaux peu remis en cause : les grandes banques internationales restent très présentes dans ces territoires qui leur permettent de prendre des risques de manière opaque. Le G20 est passé à côté du sujet, ciblant de manière ridicule la Lybie et le Venezuela comme pays à risque en la matière ! Fonds spéculatifs et banquiers vont donc pouvoir continuer à les utiliser pour dissimuler des paris excessifs et réduire leur imposition.

Une finance bien contrôlée réclame en particulier que les marchés des produits financiers complexes soient bien encadrés. Jusqu’à présent, ce n’est pas le cas : plus de 90 % de ces produits s’échangent aujourd’hui de manière opaque, ce qui empêche de savoir qui prend des risques et à quelle hauteur. Le G20 a décidé que ces transactions devaient désormais passer par des "chambres de compensation" - des sortes de notaires - chargées d’enregistrer ces échanges, d’établir quotidiennement les positions nettes des acteurs financiers (ce qu’ils achètent moins ce qu’ils vendent), de réclamer des dépôts de garantie à ceux qui sont débiteurs (ce qui accroît le coût des échanges) et de se porter garant si l’un d’entre eux fait faillite. Cette nouvelle régulation est en place dans l’Union européenne depuis novembre 2012, mais il faut encore attendre pour pouvoir en mesurer les effets.

Dette du secteur bancaire, en % du PIB

Eviter les bulles de crédit

Lorsque de nouveaux produits financiers deviennent l’objet d’une spéculation croissante de la part des banques, des fonds d’investissement, etc., jouer avec ses seules ressources ne permet généralement qu’une prise de risque - et donc une perspective de rendement - limitée. C’est pourquoi les grandes bulles spéculatives de l’histoire ont toutes été précédées de bulles de crédit destinées à financer les paris risqués des acteurs financiers.

Les nouvelles régulations mises en place depuis 2009 visent à maîtriser ces bulles par plusieurs canaux. Les règles de Bâle III demandent aux banques de mettre davantage de capital de côté lorsqu’elles font un prêt afin de se prémunir du risque de non-remboursement, de disposer de plus de ressources de long terme lorsqu’elles veulent faire des prêts à long terme, ainsi que de détenir des liquidités suffisantes pour pouvoir tenir un mois toutes seules si la crise est telle qu’elles ne peuvent plus emprunter sur les marchés du fait d’une perte de confiance 1. Autant de contraintes, mises en oeuvre progressivement jusqu’en 2019, censées inciter les banques à ne pas distribuer n’importe comment leurs crédits.

Les banques centrales doivent, quant à elles, surveiller désormais la progression globale du crédit dans les économies. Si celui-ci croît bien plus vite que ce que nécessiterait l’accompagnement de la croissance de l’économie réelle, cela peut être en effet le signe que le crédit sert à financer des paris risqués. L’étape suivante consiste alors à pointer les banques, les gros fonds spéculatifs et tous les établissements financiers importants qui participent à cette bulle et à leur imposer de mettre davantage de capital de côté. En cassant ainsi la rentabilité des crédits, ceux-ci diminuent et la bulle crève avant qu’elle ne devienne trop importante. Là encore, si toutes ces mesures vont dans le bon sens, elles en sont encore à l’étape de la mise en oeuvre, et rien ne garantit à ce stade leur efficacité.

Faire payer les banques

Enfin, quel que soit le niveau de la régulation financière, le risque zéro n’est jamais assuré. Aussi, les pays du G20 se sont-ils mis d’accord pour mettre en place des mécanismes destinés à faire payer les banques et les investisseurs en cas de crise afin de minimiser la nécessité d’utiliser l’argent public pour les sauver.

C’est d’ailleurs un point important du projet de loi français de réforme bancaire présenté en décembre 2012. Il prévoit en effet que l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), le régulateur des banques, aura tout pouvoir pour agir en cas de crise d’une banque donnée : en remerciant les dirigeants, en vendant certains actifs de cette banque, en en nationalisant d’autres, etc. Le régulateur pourra également forcer les actionnaires, voire certains créanciers, à éponger les pertes, puis il pourra utiliser les 10 milliards du "fonds de résolution" des crises que devront financer les banques d’ici à 2020, avant de mettre le moindre euro d’argent public dans le sauvetage de cette banque. Reste une ultime incertitude : rien n’assure que le gouverneur de la Banque de France, décisionnaire en la matière, ou ses confrères étrangers oseront réellement faire payer des banques dont ils sont souvent proches.

Les pays du G20, et plus spécifiquement ceux de l’Union européenne, sont en train de se donner quelques moyens pour contrôler la finance. Malheureusement, ils n’ont rien fait sur plusieurs sujets clés (voir encadré). Quant à ce qui est mis progressivement en place, une question essentielle se pose : qui va garder les gardiens ? Qui va nous assurer que les outils disponibles seront effectivement bien utilisés pour contrôler les errements de la finance ? Une question qui reste pour l’instant sans réponse.

  • 1. Cela s’est produit après la chute de Lehman Brothers et plus particulièrement pour les banques françaises à l’été 2011, au moment de la crise de confiance dans la zone euro.

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