Economie

La démondialisation a-t-elle commencé ?

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La mondialisation libérale marque le pas dans le commerce, la production et la finance. Une rupture qui pourrait annoncer le retour d'une intégration plus régionale.

Popularisé par le sociologue philippin Walden Bello au début des années 2000 1, le concept de démondialisation a fait irruption dans le débat politique avec l’effondrement de la finance globale en 2008 et la crise de la dette souveraine qui lui a succédé. De part et d’autre de l’Atlantique, le thème du redressement économique national s’articule désormais avec celui d’une redéfinition des conditions de l’intégration dans l’économie mondiale, voire d’une remise en cause de l’intensité de cette intégration.

Doublement alimenté par la montée de l’insécurité sociale et par l’érosion accélérée de l’influence occidentale dans le monde, le discours sur la démondialisation recouvre des aspirations aussi contrastées que le recouvrement de la souveraineté économique et monétaire, l’approfondissement de l’intégration au niveau régional ou encore la mise en place de nouveaux cadres de régulation de l’économie mondiale. Dans tous les cas, il n’évoque pas tant la tentation d’un illusoire repli sur soi que la fin de la mondialisation libérale, autrement dit de la mondialisation comprise comme triomphe des marchés sur les velléités régulatrices des Etats.

Les échanges mondiaux en repli

La démondialisation s’inscrit-elle pour autant dans les faits ? Triomphant jusqu’en 2007, le processus d’intégration globale des échanges, de la production et de la finance marque clairement le pas depuis 2008. Malgré la nette reprise du commerce mondial en 2010, la tendance à l’internationalisation croissante des échanges s’est clairement brisée avec la crise (voir graphique). Malgré une demande toujours dynamique dans les économies émergentes, la croissance en volume des échanges mondiaux de biens et de services a été divisée par trois sur la période 2008-2012 (+ 2,5 % par an) par rapport à la tendance antérieure. Dans les économies avancées, les importations de marchandises n’ont progressé que de 6 % au total au cours des cinq dernières années.

Zoom Le précédent des années 1930

Si le demi-siècle qui précède la Première Guerre mondiale préfigure par certains aspects la mondialisation contemporaine, la période qui suit le krach de 1929 donne l’exemple historique d’une démondialisation de fait 1. Entre janvier 1929 et février 1933, le commerce mondial se contracte de près de 70 % en valeur. Une partie de la chute s’explique par la baisse des prix, une autre par l’effondrement de l’activité, mais près de la moitié est liée à la prolifération des barrières douanières, tarifaires ou non. En juin 1930, la loi Smoot-Hawley augmente le tarif américain moyen de 20 %. Elle est d’autant plus mal perçue que la position financière extérieure des Etats-Unis est excédentaire. Les représailles ne tardent pas de la part de l’Europe et du Canada, qui augmentent à leur tour leurs tarifs à l’encontre des produits américains.

C’est surtout la crise financière qui provoque le démantèlement du réseau des échanges internationaux. En mai 1931, la faillite de la banque Creditanstalt assèche les finances autrichiennes et allemandes. Après l’Autriche, l’Allemagne instaure le contrôle des capitaux et abandonne l’étalon-or. En août, la spéculation se reporte sur la livre sterling. Avec un actif sur cinq au chômage, la Banque d’Angleterre ne peut relever ses taux. En septembre, elle jette l’éponge : le Royaume-Uni renonce à son tour à l’étalon-or et la livre sterling s’effondre (- 25 %).

Quelques jours plus tard, les pays scandinaves suivent, laissant leur monnaie se déprécier vis-à-vis de l’or. Pénalisés par les dévaluations compétitives de leurs partenaires, les pays du bloc de l’or (France, Belgique, Suisse, Italie, Pays-Bas et Pologne) renforcent leur contrôle des changes et relèvent leurs tarifs. La débâcle monétaire provoque ainsi le démantèlement des réseaux de la finance internationale et la course à la protection des marchés intérieurs.

  • 1. Voir en particulier"The Slide to Protectionism in the Great Depression : Who Succumbed and Why ?", par Barry Eichengreenet Douglas A. Irwin, NBER Working Papern° 15142, juillet 2009. Accessible sur www.nber.org/papers/w15142.pdf?new_window=1

Certes, une part significative de la décélération du commerce mondial est due à l’atonie de l’activité, en particulier en Europe. Mais la multiplication des entraves aux échanges, décriée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), pèse aussi sur les flux commerciaux. Selon Karel De Gucht, le commissaire européen au Commerce, un sixième seulement des mesures protectionnistes mises en place au plus fort de la crise en 2008-2009 ont été abrogées depuis. Au lieu du retour à la normale escompté, on assiste à l’émergence d’un protectionnisme plus structurel, en particulier dans les pays en développement.

Parfois assumé, comme en Argentine ou en Indonésie, le plus souvent masqué, comme en Russie (pourtant sur le point d’adhérer à l’OMC), le nationalisme économique a le vent en poupe dans les Brics*, où les mesures de protection des industries locales (automobile, moteurs, acier, etc.), mais aussi des services (Inde) prolifèrent. Second marché d’importation mondial, la Chine est en conflit commercial ouvert avec les Etats-Unis qu’elle accuse, entre autres choses, de subventionner indûment son industrie automobile. Elle n’hésite pas à recourir au chantage vis-à-vis de l’Union européenne, bloquant l’an dernier la commande de 45 Airbus en représailles à l’extension de la taxe carbone à toutes les compagnies aériennes opérant dans l’Union. Quant aux négociations multilatérales (cycle de Doha), elles sont mortes et enterrées et laissent la place à de nouvelles initiatives "plurilatérales", comme l’accord de partenariat transpacifique ou son équivalent transatlantique en projet, dont l’intention inavouée semble d’isoler les Brics et tout particulièrement la Chine.

Commerce mondial de biens et de services, en % du PIB mondial

Des capitaux sous contrôle

De plus en plus visible, l’antagonisme entre les économies avancées et les pays émergents est alimenté par les tensions monétaires suscitées par la politique de la banque centrale américaine. Accusée d’inonder les marchés mondiaux de liquidité, la Fed poursuivrait, au dire des dirigeants brésiliens, russes ou chinois, une politique de dépréciation délibérée du dollar susceptible de dégénérer en guerre monétaire. Pour empêcher l’appréciation de leurs monnaies, les économies émergentes n’ont d’autre choix que de rétablir le contrôle des capitaux.

Si l’on est loin encore des enchaînements pervers provoqués par les dévaluations compétitives des années 1930 (voir encadré), l’avantage compétitif conféré par la sous-évaluation d’une monnaie encourage l’adoption de mesures de rétorsion commerciale ou de subvention des exportations. La Fed, du reste, n’est pas seule en cause. La Chine, dont la monnaie ne s’apprécie que lentement du fait d’un sévère contrôle des changes, est accusée elle aussi de distordre massivement les conditions de la concurrence internationale.

La finance recadrée

C’est toutefois dans le domaine financier que le repli de la mondialisation est le plus marqué. En forçant les Etats à renflouer les banques les plus importantes de leur pays, la crise a remis en évidence l’importance oubliée de la nationalité des institutions financières. Excessivement exposées au risque sous toutes ses formes, tenues de respecter des règles prudentielles beaucoup plus sévères, les banques ont fortement réduit le volume de leurs opérations, à commencer par leurs opérations internationales. Cette tendance, qui est nettement perceptible dans les prêts aux économies émergentes, s’accompagne sur les marchés financiers d’un recul du degré d’internationalisation des émissions obligataires (voir graphique) et d’une tendance à la renationalisation, en Europe notamment, du financement des dettes publiques.

Part des émissions internationales dans les émissions obligataires totales tous émetteurs confondus, en %

Certes, ces évolutions ne font, dans une large mesure, que corriger les excès des années 2000. Elles s’inscrivent toutefois dans un mouvement de rerégulation de la finance qui s’opère principalement dans un cadre national (Etats-Unis) ou régional (Union européenne) et ce de façon non coordonnée, en dépit des efforts du comité de Bâle**. Pour cette raison, ces mutations semblent appelées à se prolonger, au-delà de la phase présente de résorption des déséquilibres passés. Couplées avec le retour latent à un néomercantilisme généralisé, elles marquent une rupture avec la tendance antérieure d’intégration globale des marchés et pourraient augurer d’un retour à des logiques d’intégration plus régionales. Voire d’une fracture durable entre le monde développé et les économies émergentes.

  • 1. La démondialisation. Idées pour une nouvelle économie mondiale, par Walden Bello, Le serpent à plumes, 2011.
* Bric

Acronyme de Brésil, Russie, Inde et Chine.

** Comité de Bâle

Forum regroupant les banques centrales des principales économies développées et émergentes, dans lequel sont abordés tous les sujets relatifs à la supervision bancaire internationale.

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