Economie

L’Asie peut-elle exploser ?

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Pékin entend imposer sa puissance sur la mer de Chine du Sud. Avec des risques d'escalade patents, pour l'instant endigués par la présence américaine dans la région.

Produits boycottés, magasins vandalisés, activité des filiales en chute libre, les intérêts japonais en Chine subissent de plein fouet les retombées du différend qui oppose Pékin à Tokyo sur les îles Senkaku (Diaoyu en chinois). Selon la Banque JPMorgan, l’impact sur le produit intérieur brut (PIB) japonais atteindrait 1 % au dernier trimestre 2012, de quoi maintenir l’économie en récession après déjà deux trimestres de croissance nulle ou négative.

Situés à environ 200 km au nord-est de Taiwan, ces quelques rochers annexés par le Japon en 1895 sont revendiqués par la Chine. Après de multiples incidents maritimes, la tension a atteint un point culminant le 13 décembre dernier avec le survol de l’archipel par un avion chinois, provoquant le décollage immédiat de chasseurs F15 japonais. Trois jours plus tard, le Parti libéral démocrate de Shinzo Abe remportait haut la main les élections japonaises sur une plate-forme nationaliste prévoyant notamment la révision de la Constitution et le réarmement du pays.

Echanges de marchandises (en milliards de dollars) et part des flux intrarégionaux dans les échanges totaux (en %)

Spectaculaire, l’escalade de la tension entre l’empire du Milieu et celui du Soleil-Levant n’est pas un phénomène isolé. Depuis le milieu de 2011, les incidents liés aux revendications maritimes chinoises se multiplient entre la République populaire et les autres pays riverains de la mer de Chine méridionale : Vietnam, Corée du Sud et Philippines en particulier. Longtemps focalisée sur la prévention de menaces continentales (ex-URSS, Inde, Vietnam), la conception stratégique chinoise s’est rééquilibrée à partir des années 1990 au profit de la sécurisation de ses voies de communication et d’approvisionnement maritimes.

Une menace à la stabilité régionale

Consciente de sa puissance nouvelle, Pékin entend imposer sa souveraineté sur la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale, un espace de 3,5 millions de kilomètres carrés riche en hydrocarbures et en ressources sous-marines par lequel transite 40 % du commerce maritime mondial. A cette fin, elle modernise à toute allure sa marine de guerre, qui est devenue dans les années 2000 la deuxième flotte d’Asie, après la marine américaine. Parallèlement, la croissance explosive de son budget militaire, qui pourrait atteindre la moitié du budget américain en 2015, suscite une relance de la course aux armements dans l’ensemble de la région.

En quelques années, "l’ascension pacifique", qui devait être l’axe de la politique extérieure chinoise au XXIe siècle, selon les déclarations de ses dirigeants, a cédé la place à une ambition hégémonique régionale de plus en plus ouvertement assumée. A la suite de la crise asiatique de 1997-1998, la Chine s’était associée, avec le Japon et la Corée du Sud, aux efforts de promotion de l’intégration régionale des pays de l’Asean. Cette attitude rendait possible des avancées notables dans le domaine de la coopération monétaire et financière (voir encadré). Impliquée dans des disputes territoriales avec la plupart de ses voisins, du Japon jusqu’à l’Inde (contestation de la souveraineté indienne sur l’Arunachal Pradesh ou "Tibet du Sud", soutien actif au Pakistan dans son conflit frontalier avec l’Inde, rivalité dans l’Océan indien), sans parler de sa revendication sur Taiwan, elle fait aujourd’hui figure de principale menace à la stabilité régionale, mais aussi d’obstacle à la poursuite de l’intégration régionale.

Un obstacle à l’intégration régionale

L’échec des récents sommets de l’Asean en juillet et novembre 2012, dont l’empire du Milieu ne fait pas partie, est de ce point de vue symptomatique. Pays hôte, le Cambodge a bloqué la publication d’une déclaration commune sur les contentieux maritimes opposant quatre pays membres à la Chine. Pour beaucoup, Pékin dispose désormais, à travers ses alliés membres de l’organisation (Cambodge, Laos et Birmanie), d’un "droit de veto extérieur" sur les décisions de l’Asean. Plusieurs pays, décidés à empêcher la formation d’un système régional sino-centrique, poussent donc vers des formes d’intégration économique plus ouvertes, tel le Trans-Pacific Partnership (TPP), un projet qui associe aux Etats-Unis et à l’Australie des pays comme le Vietnam et la Malaisie, mais auquel Pékin n’est pas invitée.

Une autre manifestation de la volonté d’affranchissement de l’emprise économique chinoise s’exprime dans le rapprochement accéléré de l’Asean avec l’Inde. Un accord de libre-échange élargi, signé à New Dehli en décembre 2012, doit déboucher en août 2013 sur la formation d’un marché de 1,8 milliard de personnes ouvert aux échanges de biens et de services, mais aussi aux investissements directs.

Vecteur de prospérité, la densité des liens économiques tissés en Asie au cours des dernières décennies (voir infographie) constitue, avec la présence militaire américaine, le principal élément de modération de la fièvre nationaliste qui s’est emparée de la région. Pour les pays de la mer de Chine comme pour l’Inde, le retour de la logique impériale chinoise a toutes les chances de susciter un rapprochement avec les Etats-Unis, mais aussi avec le Japon. Côté chinois, le durcissement diplomatique, entériné par la composition de la nouvelle équipe dirigeante, permet de canaliser vers l’extérieur le mécontentement croissant d’une société déchirée par des inégalités de plus en plus criantes. Les risques d’escalade devraient cependant rester maîtrisés tant que les Etats-Unis continueront de disposer d’une capacité de dissuasion suffisante à l’échelle régionale. Une réalité que l’on ne peut cependant tenir pour acquise au-delà de la présente décennie.

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