Economie

L’incertitude américaine

8 min

Entre une politique budgétaire nettement plus restrictive dans un contexte politique toujours aussi tendu et une situation des ménages qui s'améliore, la capacité des Etats-Unis à rebondir durablement reste incertaine.

Pas facile de deviner dans quelle direction vont se diriger les Etats-Unis : vers une aggravation de la crise à cause du maintien des incertitudes politiques et du tournant restrictif des politiques budgétaires ou une poursuite du redressement grâce au désendettement des ménages et au redémarrage de l’immobilier ? Du coup, la croissance américaine pourrait bien rester modérée une année de plus.

Après une fin d’année sans éclat, la croissance du produit intérieur brut (PIB) américain a atteint 2,2 % en 2012, en ligne avec le rythme observé depuis la reprise de 2010. Même si cette croissance est nettement plus rapide que dans la zone euro, elle reste insuffisante pour combler le déficit d’emplois qui perdure depuis la crise. L’output gap* de l’économie américaine se situe autour de 3,5 % et le chômage reste à un niveau très élevé. Sans une croissance plus dynamique, l’économie américaine ne pourra pas résorber ce problème majeur et la nécessité d’un rebond plus prononcé se fait pressante.

Spontanément, l’amélioration de la situation des ménages américains devrait permettre un raffermissement de la demande et donc une amélioration de l’activité économique. Mais, comme en Europe, 2013 sera marquée par un durcissement de la politique budgétaire, qui risque fort de compromettre ce rebond. Le début de l’année a déjà montré combien les tensions politiques risquaient de perturber le bon fonctionnement des pouvoirs publics et semer l’incertitude sur les marchés financiers.

Durcissement de la politique budgétaire

En 2012, le déficit public américain a été de 8,7 % du PIB. Un peu moins élevé qu’en 2009 et 2010 lorsqu’il atteignait 9,5 %, il reste néanmoins bien trop important pour que la dette américaine se stabilise. En décembre 2012, celle-ci frôlait les 103 % du PIB et la hausse devrait se poursuivre au moins pendant les deux prochaines années quelles que soient les orientations budgétaires futures. Depuis 2010, le gouvernement a mis en place des mesures d’ajustement pour limiter cette dérive, mais un tournant devrait se produire en 2013. En l’absence de l’American Taxpayer Relief Act (Atra) signé dans la nuit du 1er au 2 janvier par le président des Etats-Unis, la fin des baisses d’impôts décidées sous George W. Bush en 2001 et 2003 ainsi que les coupes automatiques dans les dépenses publiques prévues dans le Budget Control Act d’août 2011 (le fameux fiscal cliff) auraient conduit à des restrictions budgétaires automatiques de 640 milliards de dollars, soit 4 % du PIB, et à une rechute de l’économie dans la récession dès le début de l’année. Selon le Congressional Budget Office, le PIB aurait en effet baissé de 0,5 % en 2013. L’accord négocié à l’arraché par un Congrès très divisé a donc évité le pire. Pour autant, c’est un accord a minima de court terme qui ne résout pas le problème de fond : comment mener une politique de réduction de la dette publique à moyen terme sans compromettre la croissance ?

En rendant pérennes les baisses d’impôts sur les revenus des ménages qui gagnent moins de 400 000 dollars par an (pour un célibataire et 450 000 pour un couple) et en prolongeant d’un an les allocations pour les 2 millions de chômeurs de longue durée ainsi que d’autres crédits d’impôt, l’accord protège le pouvoir d’achat des consommateurs et donc la demande. Les hausses d’impôts ne s’appliqueront en effet qu’au 1 % des ménages les plus riches, qui verront leur taux d’imposition sur les revenus passer de 35 % à 39,6 %, et celui sur les plus-values et dividendes, de 15 % à 20 %. Les droits de succession sont également relevés de 35 % à 40 % au-delà de 5 millions de dollars. Au final, en limitant les hausses d’impôts et en prolongeant certaines dépenses, l’Atra réduit la restriction budgétaire pour 2013 de moitié par rapport à ce qu’elle aurait été en son absence.

Mais le débat est loin d’être clos. La mise en oeuvre des réductions automatiques des dépenses intervenant dans le cadre du Budget Control Act de 2011 n’a été reportée que de quelques mois. En l’absence d’un nouvel accord au Congrès, des coupes de plus de 110 milliards de dollars devraient intervenir cette année à parts égales entre la défense et les autres domaines, dont notamment les programmes sociaux 1. Or, les parlementaires républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, privilégient un ajustement budgétaire par la baisse des dépenses publiques ; ils n’hésiteront donc pas à utiliser l’arme du plafond de la dette, fixé par le Congrès, pour négocier férocement avec leurs confrères démocrates, majoritaires au Sénat. Si l’on suppose là encore qu’un accord a minima sera finalement trouvé, les restrictions budgétaires devraient atteindre entre 50 et 100 milliards de dollars. Au final, la politique budgétaire pourrait donc être restrictive de 1,5 à 2 points de PIB.

Léger mieux pour les ménages

Ce durcissement de la politique budgétaire intervient à un moment où la situation conjoncturelle reste fragile. Les ressorts de la demande peinent en effet à se raffermir, notamment du côté des ménages. Confrontés à la crise par le double canal des prix de l’immobilier et du chômage, ils ont été pris dans une spirale dont nombre d’entre eux ne sont toujours pas sortis. A l’été 2007, la dette totale des ménages américains atteignait 128 % de leurs revenus, et la dette hypothécaire**, à elle seule, 100 %. A l’automne 2012, elle représentait encore 107 % de leur revenu et 80 % pour la dette hypothécaire. Ce désendettement a eu lieu dans un contexte de marché immobilier complètement sinistré, où de nombreux ménages, ne pouvant plus payer leurs traites, ont dû accepter de vendre à perte leur logement pour pouvoir rembourser leur crédit. Depuis un an, le marché s’est assaini. Le déséquilibre entre une offre de logements gonflée par l’ampleur des saisies immobilières et une demande fortement déprimée sont en passe d’être résorbés. Les prix ont cessé de baisser et ont même entamé une légère remontée.

Zoom Les aléas du plafond de dette fédérale

Dans l’Union européenne, les traités définissent un objectif de dette et de déficit publics pour les Etats membres sous peine de sanctions communautaires. Aux Etats-Unis, un tel objectif n’existe pas, mais un plafond est fixé par le Congrès pour le montant maximal de dette fédérale que le Trésor est autorisé à émettre. Depuis le 2 août 2011, ce plafond était de 16 394 milliards de dollars. Au 31 décembre 2012, la dette du gouvernement atteignait 16 433 milliards de dollars (102 % du PIB), dont 16 394 milliards étaient soumis à la limite statutaire autorisée. Le Trésor ne peut donc plus émettre de dette supplémentaire.

Pour faire face à ses engagements, il doit recourir à des actions dites "extraordinaires" qui lui permettent de dégager un peu de cash en attendant la mise en place d’un nouveau plafond. Si aucun accord n’est trouvé, des retards de paiement sur les dépenses courantes du gouvernement sont inévitables, ainsi qu’un défaut sur la dette souveraine. Les républicains devraient cependant accepter d’augmenter ce plafond pour quelques mois encore, de façon à imposer ensuite des coupes dans les dépenses de l’Etat lors des négociations sur les mesures d’ajustement budgétaires sur la période 2013-2021, qui doivent se clore d’ici à l’été.

Les conséquences de ce bras de fer risquent d’être importantes : en juillet 2011, les vives tensions entre parlementaires républicains et démocrates qui avaient précédé le relèvement du plafond légal de dette auraient renchéri le coût des emprunts américains d’environ 1,3 milliard de dollars sur l’année fiscale 2011-2012, selon le Congressional Budget Office. Elles avaient aussi été à l’origine de la perte du AAA attribué jusque-là à la dette américaine par l’agence de notation Standard & Poor’s.

Or, cette reprise constituait un préalable à l’amélioration de la situation financière des ménages : en effet, tant que les prix baissaient, le désendettement ne faisait qu’accompagner la baisse de la valeur des actifs correspondants ; il ne traduisait donc pas une réelle amélioration de la situation financière des ménages. Désormais, la valorisation de l’immobilier atténue véritablement la contrainte de désendettement. Ainsi, au début de l’année 2012, 31 % des ménages ayant un crédit hypothécaire avaient contracté une dette supérieure à la valeur de leur bien. A l’automne 2012, cette part était descendue à 28 % : 14 millions de ménages étaient encore en situation de negative equity, comme on dit outre-Atlantique, pour un montant total de 1 000 milliards de dollars. De plus, si leur nombre reste supérieur à la normale, les saisies immobilières continuent elles aussi de baisser. Selon l’institut CoreLogic, le nombre de dossiers en procédure de saisie a diminué de 300 000 entre novembre 2011 et novembre 2012, pour atteindre 3 % du stock de logements sous crédit hypothécaire, contre 3,5 % un an auparavant.

Frappés par la crise sur le marché de l’immobilier, les ménages sont aussi très exposés au chômage. Depuis septembre dernier, le taux de chômage se situe à 7,8 % et le taux de sous-emploi, qui intègre la population découragée et celle contrainte de travailler à temps partiel pour des raisons économiques, est presque deux fois plus élevé. En dépit de la reprise de la croissance, les créations d’emplois peinent à faire baisser le taux de chômage et surtout à relever le taux d’emploi. Depuis 2010, la part de la population occupée reste scotchée à 58 % de la population en âge de travailler, alors qu’elle atteignait 63 % avant la crise.

Déficit public et dette publique, en % du PIB

La faiblesse des créations d’emplois dans les entreprises privées (159 000 par mois en 2012, contre 175 000 en 2011) témoigne de la prudence persistante des entreprises à embaucher dans un contexte qui reste très incertain. Elles sont dans une position d’attente. Leur situation financière est pourtant confortable et les taux de marge n’ont jamais été aussi élevés. Mais l’investissement, qui avait repris en 2011, s’est retourné en 2012. Quoi qu’on en dise souvent en Europe, la baisse des prix de l’énergie liée à l’exploitation des gaz de schiste, comme l’amélioration de la compétitivité-coût des entreprises américaines vis-à-vis de la production chinoise ne suffisent pas à redonner assez de confiance aux acteurs économiques pour se remettre à investir massivement.

Zoom Les Etats-Unis découvrent le chômage de longue durée

Les regular unemployment insurance benefits, les allocations chômage de base, sont généralement payés par les Etats américains, mais elles sont financées en partie par le gouvernement fédéral sur la base des cotisations sociales employeurs. Elles sont versées aux chômeurs ayant reçu un salaire pendant les quatre ou cinq trimestres précédant leur perte d’emploi. Les conditions varient selon les Etats, mais elles doivent être conformes aux minimums imposés par la loi fédérale. Dans la plupart des Etats, la durée maximale des droits à l’assurance chômage n’est que de vingt-six semaines (dix-neuf dans certains), contre deux ans en France actuellement. Le montant de l’allocation peut varier, mais il représente généralement entre 30 % et 50 % du dernier salaire. Il est plafonné dans le cas des hauts revenus.

Lorsque ces droits sont épuisés, l’Emergency Unemployment Compensation (EUC) prend le relais. Créé en juillet 2008, ce programme, théoriquement provisoire, est entièrement financé par l’Etat fédéral. Le Middle Class Tax Relief and Job Creation Act de 2012 a notamment permis son extension jusqu’au 2 janvier 2013, date à laquelle le Congrès a renouvelé in extremis ce programme pour un an. La durée de l’allocation va de quatorze à quarante-sept semaines. Le programme est découpé en tranches. Dans tous les Etats, les chômeurs ont accès à la première tranche, qui donne droit à quatorze semaines d’allocations supplémentaires. L’éligibilité aux tranches ultérieures (neuf ou quatorze semaines de plus d’allocations) dépend du taux de chômage des Etats.

Enfin, un programme d’extension des allocations a été mis en place dans les Etats ayant un taux de chômage élevé, pour les personnes ayant épuisé leurs droits à ces deux formes d’allocations. Dans ce cas, l’Etat rallonge la période d’indemnité de treize semaines supplémentaires. Si le taux de chômage d’un Etat est extrêmement élevé, une autre extension supplémentaire de sept semaines a été votée. En revanche, quand le taux de chômage baisse, les chômeurs perdent leurs droits.

En décembre 2012, la durée moyenne du chômage était de trente-huit semaines aux Etats-Unis et 39 % des chômeurs étaient au chômage depuis plus de vingt-sept semaines. Cette ampleur inédite outre-Atlantique du chômage de longue durée explique la multiplication des mesures prises dans un pays où l’assurance chômage n’était prévue jusque-là que pour répondre au chômage de court terme.

A la croisée des chemins

2013 marquera donc une croisée des chemins. D’un côté, la situation financière des ménages s’améliore et, de l’autre, le secteur public, confronté à une situation budgétaire insoutenable à long terme, devrait donner un sérieux tour de vis. Quel effet l’emportera ? Difficile à dire. La Réserve fédérale entend bien rester active pour stimuler la croissance et ramener le chômage à un niveau plus faible. Elle s’est même fixé un objectif chiffré de retour à un taux de chômage de 6,5 %. Sa politique monétaire restera donc très accommodante en 2013. Son taux directeur se maintiendra à son niveau plancher et elle continuera d’acheter des titres de dette publique et du marché hypothécaire.

Taux d’emploi, de chômage et d’activité aux Etats-Unis de 2005 à 2012, en %

Par ces mesures, la banque centrale cherche à faire pression à la baisse sur les conditions de financement à long terme de l’économie et ainsi à relayer plus efficacement sa politique. Mais, depuis la crise financière, les canaux de transmission de la politique monétaire peinent à fonctionner. Certes, les taux d’intérêt publics et privés sont bas, mais les Etats-Unis ne sont toujours pas totalement sortis de la trappe qui pousse les banques commerciales à privilégier les liquidités aux placements financiers à long terme. Pour le moment, et malgré des conditions de financement très attractives, le marché du crédit reste atone. Face aux incertitudes et aux manques de perspectives à moyen terme, les agents privés ne sont pas prêts à se réendetter.

Dans ces conditions, il n’est pas aisé de se prononcer sur les perspectives de l’économie américaine : celles-ci dépendront particulièrement de la capacité des démocrates et des républicains à trouver, au cours des prochains mois, un compromis pérenne et acceptable sur l’avenir des finances publiques américaines.

  • 1. Les coupes sur les programmes Medicare sont limitées à 2 % et les programmes Medicaid et de sécurité sociale sont exempts.
* Output gap (écart de production)

Différence entre le PIB observé et le PIB potentiel, défini comme le PIB qui serait obtenu si les facteurs de production - travail et capital - étaient utilisés à leur niveau maximal sans tensions inflationnistes.

** Dette hypothécaire

Dette garantie par une hypothèque (immobilier, maison).

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