Le bâtiment reprend des couleurs

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Après avoir beaucoup souffert, le bâtiment pourrait sortir de la crise en 2016. Et ses métiers évoluent avec le numérique et les exigences environnementales.

Daniel Munoz, responsable de la formation des apprentis pour le CCCA-BTP1, se veut rassurant : " Nous aurons toujours besoin de construire des logements et des bureaux et de rénover l’ancien, ne serait-ce que pour répondre à l’enjeu climatique. " Mais il n’édulcore pas la réalité d’un secteur très sensible à la conjoncture économique : " Le bâtiment connaît des cycles de croissance de sept ans en moyenne. Nous avons senti la crise dès 2009, mais 2016 s’annonce comme l’année de la reprise ", avance-t-il. La crise financière de 2008 a en effet fortement touché le secteur du bâtiment, que ce soit pour les constructions neuves ou la rénovation. Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), prédisait cet été 50 000 emplois détruits (en équivalent temps plein) en 2015. Soit autant qu’en 2014, où le secteur a accusé une baisse de 4,3 % de l’emploi salarié (- 51 300 équivalents temps plein) due, principalement, au non-remplacement des départs en retraite.

Mais quelques signes laissent espérer une reprise progressive à partir de 2016 : les crédits immobiliers pour le logement neuf repartis à la hausse, ainsi que ceux à l’investissement pour les constructions non résidentielles. Et si cette reprise se confirme, les embauches devraient suivre, ne serait-ce que pour compenser les départs en retraite, estimés à 426 000 entre 2012 et 2022, selon France Stratégie et la Dares, le service statistique du ministère du Travail. Les fonctions les plus qualifiées (architectes, cadres, techniciens, agents de maîtrise) en bénéficieront et, dans une moindre mesure, les ouvriers qualifiés (plombiers, peintres, électriciens...). L’offre sur des postes peu qualifiés sera plus aléatoire face à la concurrence des travailleurs détachés. Aujourd’hui, les métiers de la charpente et de la métallerie, par exemple, manquent cruellement de main-d’oeuvre qualifiée. " La métallerie reste méconnue alors que ça va des rideaux d’immeubles à la construction du viaduc de Millau ", souligne Daniel Munoz.

Travailler en équipe

La formation et la qualification des prochaines générations du bâtiment sont des enjeux capitaux. " En dehors du diagnostiqueur énergétique, les nouveaux métiers sont rares. En revanche, les compétences requises changent. Nous aurons de plus en plus besoin d’ouvriers et de techniciens qui développent une vision globale de l’acte de construire ", résume-t-il.

Le secteur est en effet en pleine mutation pour assimiler les enjeux climatiques et réduire les émissions de gaz à effet de serre dues à l’usage du bâti2. La réglementation thermique 2012 (RT 2012) et la future RT 2020 (bâtiments à énergie positive) font de l’isolation thermique un enjeu primordial3. Cela impose à chaque corps de métier, encore plus qu’hier, de travailler en équipe. " L’électricien, le plombier, le menuisier, le maçon... doivent savoir coopérer pour éviter de créer des ponts thermiques qui anéantissent la performance d’isolation du bâti ", explique Yves Lebourgeois, élu confédéral à la FNCB4 CFDT et président du CCCA-BTP Haute-Normandie.

Côté formation, beaucoup d’efforts sont réalisés pour intégrer la nouvelle réglementation RT 2020. Une cinquantaine de plates-formes Praxibat (des plateaux techniques dédiés à l’apprentissage de l’éco-construction) sont en cours de déploiement sur le territoire en partenariat avec l’Ademe.

La révolution numérique entraîne aussi une évolution des compétences. 89 % des entreprises utilisent Internet au quotidien, ne serait-ce que pour la gestion des commandes, mais le recours aux maquettes numériques se généralise également, ce qui nécessite d’être formé à ces nouvelles technologies. Un ouvrier qualifié ou un agent de maîtrise aura en effet à consulter ces plans, voire à intervenir dessus en direct afin de partager ses contraintes de réalisation avec les autres parties prenantes.

" J’ai toujours voulu faire ce métier "

Joanne Gallois a 18 ans. Elle est en seconde année de brevet professionnel en peinture et décoration à Reims. " J’ai toujours voulu faire ce métier. Pourtant, mes parents ne sont pas du tout dans le secteur, mais voilà, j’ai toujours voulu peindre. J’ai fait mon stage de troisième dans une entreprise où j’ai découvert le travail : de l’enduit à la finition. J’ai alors décidé de faire un CAP. Plus j’avance et plus j’ai envie de connaître de nouvelles techniques ", raconte-t-elle. Après son brevet professionnel, elle souhaite prolonger sa formation par un brevet de maîtrise, ce qui lui donnerait la possibilité de devenir formatrice après avoir roulé sa bosse sur les chantiers5. La jeune fille a la tête sur les épaules. Elle sait qu’elle intègre un milieu encore très masculin. D’ailleurs, elles ne sont que cinq filles sur les quinze apprentis de sa classe. " C’est sûr qu’il faut savoir faire sa place. La première année de CAP, on se fait bien charrier sur nos "petits bras", mais après, ça se calme, commente-t-elle. Je ne viens pas en petit tee-shirt au boulot, c’est logique. Mais pour le reste, je suis comme je suis ! " Côté emploi, Joanne sait aussi à quoi s’en tenir : " J’ai déjà changé deux fois d’entreprise durant ma formation. A la fin de mon CAP, mon patron n’avait plus de boulot. J’ai eu beaucoup de mal à trouver une autre société pour mon brevet professionnel. Mais je suis bien tombée. " L’entreprise où elle passe trois semaines par mois est à dix minutes de son domicile : " Il y a cinq salariés et le carnet de commandes est plein pour un an ! "

Travailler dans le bâtiment suppose de travailler souvent, comme Joanne, dans une entreprise artisanale. Parmi les plus de 1 million de salariés que compte le secteur fin 2014 - dont 801 000 ouvriers - selon la FFB, 430 000 travaillent dans des sociétés de moins de 10 salariés. Et 361 000 dans une entreprise comptant entre 10 et 50 salariés. Les TPE de moins de 10 salariés représentent les trois quarts des sociétés du secteur. Cette part monte à 95 % si on y ajoute les 82 000 auto-entrepreneurs apparus depuis 2009 mais qui n’emploient pas de salariés. A ce sujet, Yves Lebourgeois prévient : " Un jeune diplômé qui ne trouve pas de travail après sa formation peut toujours se lancer sous ce statut, mais il aurait fallu instituer une limite de durée plutôt que de créer un plafond en chiffre d’affaires annuel (82 200 euros par an). L’auto-entrepreneur cotise moins que les autres structures et ne paye pas la taxe d’apprentissage qui finance la formation des jeunes. "

Les conditions de travail, notamment sous l’effet des pénuries de main-d’oeuvre mais aussi de la mécanisation, se sont améliorées, estime Yves Lebourgeois : " Grâce aux machines, on ne monte plus les panneaux de Placo à bout de bras, mais un ouvrier se retrouve aussi plus souvent seul sur un chantier, là où ils étaient deux auparavant... "

Les engins de levage, un meilleur conditionnement des matériaux (les sacs de 50 kilos de ciment sont passés à 25 kilos) ou encore le perfectionnement de l’outillage n’ont pas pour autant transformé le bâtiment en travail de bureau ! Cela reste un métier de terrain, physique et souvent en extérieur. Un couvreur ne doit, par exemple, pas avoir peur de monter sur les toits ! Et la santé et la sécurité au travail demeurent un point sensible dans le secteur, même si le nombre d’accidents baisse (- 6,6 % en 2013). Selon l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), le BTP reste le secteur ayant le plus haut niveau de risques professionnels, avec 16,8 % des accidents du travail et 26,8 % des décès accidentels (chiffres 2013).

Prévention des risques

Certes, la prévention des risques fait partie intégrante des formations aujourd’hui, mais certaines évolutions prennent du temps. Ainsi, Joanne Gallois avoue que son entreprise " n’utilise pas de produits éco-conçus " afin de réduire les expositions à des composés toxiques dans les peintures.

Les rémunérations des débutants, quant à elles, augmentent avec le niveau de qualification. Un maçon débutera à 19 500 euros annuels en salaire brut et peut espérer gagner 26 800 euros après dix ans de travail. Un chauffeur de travaux, lui, débutera à 26 500 euros, pour en gagner 35 000 dix ans plus tard. Et selon Daniel Munoz, le renouvellement générationnel offre de réelles opportunités d’évolution à de jeunes ouvriers qualifiés : " A 25 ans, ils peuvent être chefs de travaux ".

  • 1. Le CCCA-BTP ou " Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics " est une association professionnelle et paritaire chargée de mettre en oeuvre et de coordonner la politique de formation professionnelle initiale par l’apprentissage dans le secteur.
  • 2. Responsable de 35 % de ces émissions en France.
  • 3. Voir " Les métiers du bâtiment à l’heure du développement durable ", Afpa/Alternatives Economiques, 2011. Disponible sur www.alternatives-economiques.fr
  • 4. Fédération nationale construction bois.
  • 5. Un formateur doit avoir travaillé au minimum six ans en entreprise.

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