Environnement

Climat : la négociation continue

6 min

Mort programmée du protocole de Kyoto, propositions a minima pour limiter les émissions de CO2..., les discussions sur le climat sont tombées au plus bas. Mais peuvent encore rebondir.

La dernière conférence annuelle des Etats signataires de la convention sur le climat, tenue du 26 novembre au 8 décembre dernier dans la capitale qatarie, a donné lieu dans la presse à quelques titres aussi ironiques que désabusés : "Vers un Doha d’honneur" (Libération), "On Doha bien s’en contenter" (Bulletin climat de la Caisse des dépôts). En l’absence de décision concrète, Doha, comme les rendez-vous précédents, a confirmé l’impression d’un enlisement, alors qu’il n’y a plus de temps à perdre. Pour avoir une chance raisonnable de contenir le réchauffement de la planète à + 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle, un seuil estimé encore tolérable pour l’espèce humaine, il faudrait en effet que les émissions mondiales de gaz à effet de serre cessent de croître avant 2020 et déclinent rapidement ensuite.

Eviter la catastrophe

Le monde n’en a toujours pas pris le chemin. Les émissions ont atteint 49 Gt* équivalent CO2** en 2010 et devraient atteindre 58 Gt en 2020 selon la tendance actuelle. Or à cette date, pour espérer se limiter aux 2° C de réchauffement, il faudrait les avoir ramenées à 44 Gt (pour revenir ensuite à près de 20 Gt en 2050 et les stabiliser vers 10 Gt en 2100). Dans l’hypothèse où les Etats respecteraient leurs engagements pris au Sommet de Copenhague de 2009, leurs émissions devraient atteindre 54 Gt en 2020. Ce serait certes 4 Gt de moins que le scénario cohérent avec la tendance actuelle, mais 10 Gt de trop par rapport aux 44 Gt estimés nécessaire pour s’en tenir aux 2° C 1. En clair, une catastrophe.

Est-il encore temps de combler ce fossé ? Sur un plan technico-économique, oui. La diffusion généralisée des meilleures technologies disponibles sur le marché et des "bonnes pratiques" dans tous les domaines - réseaux d’autobus express sur voies dédiées dans les villes d’Amérique latine, efforts d’isolation des bâtiments en Chine, essor massif des énergies renouvelables en Allemagne, part élevée de l’agriculture bio en Autriche... - permettrait de faire chuter drastiquement les émissions des pays riches et d’engager les pays du Sud sur la voie d’une réduction des leurs sans brider leur développement. Alors que le "facteur 4" 2 était encore considéré comme une vision utopiste il y a une dizaine d’années, les autorités publiques dessinent aujourd’hui des scénarios réalistes de transition énergétique qui s’en inspirent directement.

Zoom L’Europe donne un mauvais signal-prix

La conférence de Doha a fixé les règles de la seconde période d’engagement du protocole de Kyoto, qui prendra fin avec l’entrée en vigueur du futur accord climatique international. Avec la sortie du Canada, de la Russie et du Japon, Kyoto 2 (2013-2020) ne concerne plus que 17 % des émissions mondiales, contre 27 % antérieurement. L’Europe se retrouve donc bien seule. Pire, elle qui voulait montrer le bon exemple donne un mauvais signal. Le marché européen du carbone est tombé à 7 euros la tonne en janvier dernier, après avoir évolué en 2012 autour de 8 euros. Ce prix est très loin du niveau qui inciterait les 12 000 sites industriels concernés à investir pour réduire leurs émissions. Il est à craindre que cela ne s’arrange pas de sitôt. Connie Hedegaard, la commissaire européenne au Climat, n’a pas pu obtenir fin 2012 des représentants des Etats membres que l’Union réduise le volume des crédits carbone alloués, trop généreusement, aux entreprises et qui devaient être mis aux enchères à partir de cette année. Le dossier est à présent entre les mains du Parlement.

Ils n’en impliquent pas moins de lourds investissements financiers et organisationnels : écotaxes, durcissement régulier des normes sur les émissions des bâtiments et des véhicules, sur la part des renouvelables dans le mix énergétique***, etc. A long terme, ces coûts seront en grande partie - sinon totalement selon certains - compensés par la baisse de la facture énergétique, par les nombreuses créations d’emplois et, d’une façon générale, le mieux-être de la société. Il est en tous les cas assuré, comme l’a naguère montré le rapport Stern 3, que l’inaction - avec les impacts du changement climatique - coûtera beaucoup plus que l’indispensable effort d’investissement dans la transition écologique, généralement estimé entre 1 % et 2 % du produit intérieur brut (PIB) mondial chaque année.

Un système "à la carte"

Ces arguments sont cependant peu opérationnels sur le court terme. Y compris pour les pays développés, confrontés à une crise économique historique. Ceux-ci renâclent d’autant plus à l’effort qu’ils sont plus que jamais sur la défensive face à la concurrence que leur livrent la Chine et les autres émergents. Lesquels n’ont aucune intention de laisser la lutte contre le changement climatique peser sur leur croissance.

Dans ce contexte, que peut-on encore attendre des négociations climatiques ? A priori, elles se situent actuellement dans une phase de régression magistrale. En 2012, Doha a achevé de régler les détails de la mort du protocole de Kyoto, dont le sort était débattu depuis la conférence de Montréal, en 2005. Signé en 1997, il consistait à définir un objectif mondial de baisse des émissions - pour 2008-2012 dans un premier temps -, puis à répartir la charge du "fardeau" entre les Etats signataires selon un principe dit de "responsabilité partagée et différenciée". Problème : les Etats-Unis et la Chine (suivie des autres émergents), poids lourds des émissions mondiales, n’ont jamais voulu prendre des engagements dans ce cadre, chacun mettant en cause l’immobilisme de l’autre pour justifier son inaction.

Répartition et évolution des émissions de gaz à effet de serre en 2010

N. B. : données hors émissions liées aux changements du couvert végétal, sauf pays émergents.

Répartition et évolution des émissions de gaz à effet de serre en 2010

N. B. : données hors émissions liées aux changements du couvert végétal, sauf pays émergents.

Les Européens et une large partie du monde en développement ont vécu de longues années dans l’espoir qu’ils finiraient par les faire entrer dans l’architecture de Kyoto. L’illusion a définitivement volé en éclats en 2009 à Copenhague, quand la Chine et les Etats-Unis ont imposé leur vision de ce que pourrait être un accord climatique international : non pas des objectifs nationaux négociés par rapport à un objectif d’ensemble, cohérent avec la réalité du réchauffement, mais une simple addition d’engagements unilatéraux contraignants... dont le total est aujourd’hui très en deçà du compte.

L’Oncle Sam dans la danse

Ce système "à la carte" est en cours d’élaboration et un nouveau traité doit être signé sur cette base en 2015, à Paris, pour une mise en oeuvre... en 2020. Les discussions en cours portent notamment sur le financement du fonds vert promis pour aider les pays du Sud à s’engager dans la transition énergétique et s’adapter au changement climatique (il est censé atteindre 100 milliards de dollars par an à partir de 2020). Elles portent aussi sur les mécanismes de contrôle et de vérification des engagements pris.

L’absence de nouveaux engagements nationaux sur les émissions plus ambitieux que ceux sur la table depuis 2009 et le caractère assez technique des discussions donnent l’impression que rien n’avance. Les choses sont plus compliquées. La nouvelle approche des négociations a réussi là où Kyoto avait échoué : faire entrer dans la danse les Etats-Unis et les émergents. Mais le plus difficile reste à faire : mettre de toute urgence du contenu dans ce qui reste largement une coquille vide. Si les Etats concrétisaient ceux de leurs engagements pour 2020 qui ne sont aujourd’hui que des options sur lesquelles ils ne se sont pas formellement engagés (une baisse de 17 % de leurs émissions pour les Etats-Unis, passer de 20 % à 30 % de réduction pour l’Union européenne), le gain serait de 2 Gt de baisse supplémentaire 4. Ce qui ne ferait que ramener de 10 Gt à 8 Gt l’écart constaté avec les 44 Gt souhaitables en 2020... C’est dire combien les propositions sur la table restent insuffisantes !

Sociétés et gouvernements deviendront peut-être moins timorés en constatant, à l’aune des très nombreuses expériences menées à l’échelle locale et nationale, que la transition écologique n’est pas un boulet mais un bien éminnement désirable, car rimant avec emploi, santé et solidarité. Face à une Amérique malade du chômage et encore choquée par la tempête Sandy, la résolution affichée par Barack Obama sur ce sujet lors de son intronisation pour son second mandat a étonné plus d’un commentateur. Renforcer la coopération et la confiance entre nations ne sera pas de trop pour concrétiser ce genre d’ambition...

  • 1. The Emissions Gap Report 2012, Pnue, novembre 2012 (www.unep.org).
  • 2. Facteur 4, deux fois plus de bien-être en consommant deux fois moins de ressources, Ernst von Weizsäcker et al., Terre Vivante, 1997.
  • 3. Stern Review on the Economics of Climate Change, octobre 2006.
  • 4. The Emissions Gap Report 2012, Pnue, novembre 2012 (www.unep.org).
* Gigatonne (Gt)

Milliard de tonnes.

** Equivalent CO2

Milliard de tonnes. Les gaz à effet de serre n'ont pas tous le même pouvoir de réchauffement climatique. L'effet des autres gaz que le CO2 (méthane, oxyde d'azote...) sont convertis en effets équivalent de CO2.

*** Mix énergétique

Répartition des différentes sources d'énergies primaires consommées pour la production des différents types d'énergies nécessaires pour les transports, le chauffage, l'éclairage, etc.

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