Les vertus d’une économie circulaire

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Une économie plus respectueuse de l'environnement devrait produire mieux et détruire moins. Des initiatives - encore limitées - se développent en France et dans le monde.

L’économie actuelle est fondée sur un modèle linéaire : on extrait des matières premières afin de fabriquer des produits qui sont vendus aux consommateurs puis jetés au bout d’un certain temps. Ce modèle, fortement générateur de gaspillage, risque de s’avérer intenable à l’avenir. 62 milliards de tonnes de ressources (minéraux, bois, métaux, combustibles fossiles, etc.) sont en effet extraites chaque année dans le monde 1. Soit une quantité en hausse de 65 % depuis vingt-cinq ans, imputable au décollage des pays émergents mais aussi au maintien d’un haut niveau de consommation dans les pays occidentaux malgré la récession.

Or, les ressources matérielles et énergétiques pourraient être systématiquement optimisées et réutilisées tout au long de la chaîne de production et de consommation. C’est ce qu’on appelle "l’économie circulaire". Inspiré des écosystèmes naturels où "rien ne se perd", ce modèle permettrait de rompre avec le productivisme actuel sans pour autant "revenir à l’âge de pierre".

Produire autrement

Afin de produire autrement, l’économie circulaire s’appuie tout d’abord sur l’éco-conception : il s’agit des démarches mises en oeuvre au niveau d’une entreprise afin de diminuer les impacts environnementaux de ses produits tout au long de leur cycle de vie. La firme néerlandaise Desso, spécialiste des revêtements de sol, a ainsi transformé la composition de ses moquettes en y intégrant davantage de matières premières recyclables ou biodégradables pour aller vers un modèle cradle to cradle*.

L’économie circulaire en sept étapes : le cycle sans fin d’un pneu

Mais l’économie circulaire recouvre aussi les démarches d’écologie industrielle qui mobilisent plusieurs acteurs d’un même territoire dans un cycle où les déchets des uns servent de matières premières aux autres. L’exemple de plus abouti est Kalundborg, petit port danois à l’ouest de Copenhague. Depuis les années 1960, des échanges s’y sont progressivement mis en place afin de maximiser la réutilisation des ressources. La plus grande centrale électrique du Danemark y vend de la vapeur à la raffinerie de pétrole voisine, laquelle lui vend en retour ses eaux usées comme eau de refroidissement. La centrale fournit également de la vapeur à d’autres entreprises, dont Gyproc, productrice de panneaux de construction en plâtre, ainsi qu’à la municipalité de Kalundborg pour son système de chauffage urbain, etc.

D’autres initiatives existent, comme le parc éco-industriel de Burnside, à Halifax en Nouvelle-Ecosse au Canada. Mais elles demeurent moins systématiques que Kalundborg et sont encore isolées. Ces relations nécessitent en effet des échanges d’informations jugées parfois sensibles et une forte implication des pouvoirs publics locaux afin, notamment, de créer les infrastructures facilitant les échanges.

En revanche, des synergies locales entre entreprises se développent. En France, nombre de cimenteries utilisent la combustion de pneus usagés pour produire de l’énergie. A Lille, une unité de méthanisation fournit aux bus municipaux du biogaz produit à partir de déchets ménagers. Et la communauté d’agglomération d’Aubagne récupère des palettes de bois d’une quinzaine d’entreprises de la région pour en faire des granulés de chauffage.

Consommer autrement

Mais il ne suffit pas de produire autrement, il faut aussi consommer ou plutôt utiliser autrement. C’est le principe de l’économie de fonctionnalité ou économie de l’usage. Conceptualisée par le Suisse Walter Stahel au milieu des années 1990, elle désigne le passage de l’achat d’un bien à l’utilisation de celui-ci dans le cadre d’une prestation de service. La firme Xerox est souvent citée en exemple car 75 % de ses revenus proviennent désormais de contrats de services auprès des entreprises pour la mise à disposition de photocopieurs ou d’imprimantes qu’elle reprend en fin de vie. De même, Michelin Fleet Solutions propose aux entreprises de transport un contrat qui prend en charge l’ensemble de leurs besoins en pneumatiques en échange d’une facturation au kilomètre. Les services de vélos et d’auto-partage comme Velo’v à Lyon ou Vélib’ et Autolib’ à Strasbourg et à Paris s’inscrivent dans la même logique.

L’économie de l’usage - qui demeure toutefois plus répandue dans le commerce interentreprises, le B to B (business to business), qu’auprès du grand public - encourage l’allongement de la durée de vie des produits et leur recyclage, puisque l’entreprise reste propriétaire des biens. Xerox a ainsi simplifié les composants de ses appareils, afin de les réutiliser plus facilement.

Un modèle plus circulaire d’économie suppose également de développer le réemploi des produits, leur réutilisation après réparation et leur recyclage en fin de vie. Là aussi, des initiatives se développent, notamment en direction du grand public. Citons GameStop, premier distributeur mondial de jeux vidéo, qui propose des solutions d’échange ou de rachat avantageux pour ses clients ou Mazuma mobile, un service de vente de téléphones portables reconditionnés dans des marchés émergents ou au Royaume-Uni.

Autant de démarches isolées et limitées dans leur impact qui ne remettent pas en cause la tendance globale à l’accélération effrénée du renouvellement des produits, dont le téléphone portable est emblématique. Bien que ces appareils mobilisent des métaux rares précieux et difficiles à extraire, leur durée de vie est volontairement réduite par des techniques d’"obsolescence programmée". Et leur taux de collecte pour recyclage plafonnait à 15 % en 2012 en Europe.

L’augmentation prévisible du prix des matières premières va-t-elle inciter les entreprises à se remettre en cause ? La fondation britannique Ellen MacArthur 2 estime en tout cas que si la moitié des téléphones portables était collectée en Europe pour être réutilisée ou reconditionnée, un milliard de dollars de matières premières et 60 millions de dollars d’énergie pourraient être économisés chaque année. Plus globalement, en appliquant les principes de l’économie circulaire à des biens comme les voitures, les camions, les machines à laver et les téléphones portables, un gain de 700 milliards de dollars par an pourrait être réalisé par les entreprises en Europe.

Les seules logiques de marché ne suffiront toutefois pas et les pouvoirs publics ont un rôle à jouer. Parmi les outils à leur disposition : le développement d’une fiscalité écologique (comme une taxe carbone visant à limiter les consommations énergétiques), la généralisation du principe de la "responsabilité élargie du producteur" (selon lequel les entreprises sont responsables des déchets engendrés par leurs produits) et l’augmentation des durées de garantie légale des produits 3.

  • 1. Voir "Sustainable Materials Management", rapport de l’OCDE, novembre 2012.
  • 2. Voir "Vers une économie circulaire", Fondation Ellen MacArthur, janvier 2012.
  • 3. Une proposition de loi du groupe écologiste du Sénat a été déposée en ce sens le 18 mars afin de lutter contre l’obsolescence programmée.
* Cradle to cradle

Littéralement "du berceau au berceau" ou plutôt "de la terre à la terre", par opposition à notre industrie actuelle fondée sur le cradle to grave, qui signifie "du berceau au tombeau". Pour cela, il faut concevoir le recyclage des produits en amont afin de générer une circulation en boucle fermée des matériaux.

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