"Le diplôme protège des inégalités hommes-femmes"
Une orientation très différente des filles et des garçons explique en grande partie leur inégale
Les inégalités entre filles et garçons régressent et se maintiennent tout à la fois. Comment expliquez-vous cela ?
L’analyse statistique des données sur l’orientation des filles et des garçons depuis les années 1960 révèle en effet à la fois une évolution et une stagnation. Les filles sont ainsi toujours majoritaires en lettres, et même encore plus qu’avant, puisque leur part est passée de 63 % à 73 % dans cette filière. Peut-être faudrait-il dire que les garçons fuient encore plus les lettres qu’auparavant... En revanche, elles renforcent leur présence en droit (où elles sont 65 %), économie (50 %), gestion, mais aussi en santé, où elles sont très majoritaires. Ainsi, la part des étudiantes en médecine est passée de 26 % dans les années 1960 à 56 % aujourd’hui. En sciences, elles ne représentent toutefois qu’un tiers des effectifs environ, proportion qui évolue peu depuis 1960. De même, elles représentent désormais la moitié des effectifs dans les grandes écoles de commerce, mais seulement toujours un quart de ceux des écoles d’ingénieurs, passant ainsi de 18 à 25 % en trente ans.
Quelles sont les conséquences de ces différences en termes d’insertion professionnelle ?
Les filles sont majoritairement dans des filières qui ne conduisent pas aux professions les plus valorisées et les mieux rémunérées. C’est particulièrement vrai pour les sortant(e)s du secondaire. En CAP, BEP, bac professionnel, les filles se dirigent très majoritairement vers les spécialités du tertiaire. Or ces diplômes sont fortement concurrencés sur le marché du travail par les bac + 2 ou + 3 (BTS, DUT, licence...). Et les garçons représentent la très grande majorité des diplômés en sciences et techniques, qui conduisent aux meilleurs emplois à ces niveaux.
Les jeunes hommes s’insèrent ainsi globalement mieux que les jeunes femmes, même si plus le niveau scolaire est élevé, moins les différences sont marquées, notamment en termes d’accès à l’emploi, aux CDI, etc. De même, les différences de salaires entre hommes et femmes sont de 8 % pour les sortants d’écoles d’ingénieurs, alors que cet écart est plus proche en moyenne de 17 % pour les autres professions. Ainsi, on voit que le diplôme protège bel et bien des inégalités hommes-femmes. Le plafond de verre est toutefois un phénomène tenace et l’accès des femmes aux postes de responsabilité, à diplôme égal, demeure difficile.
Mais l’orientation n’est pas le seul facteur expliquant ces inégalités. Quels sont les autres phénomènes à l’oeuvre ?
L’orientation est un facteur important d’inégalité, car elle entraîne de fortes ségrégations dans les métiers. Or les métiers de l’éducation, de la petite enfance, du soin, traditionnellement féminins, demeurent sous-payés. Mais l’école n’explique en effet pas tout.
Au-delà, on trouve des inégalités importantes au sein de mêmes métiers, en particulier en termes de rémunération, sauf dans le cas des professions très réglementées (coiffeur, infirmier, notaire, etc.), où les conventions collectives laissent peu de place aux différences salariales. Et quand on interroge les employeurs sur leurs motivations pour recruter un homme ou une femme, les discours naturalistes reviennent souvent : les femmes sont recherchées pour telle ou telle qualité dites naturelles1...
Enfin, les freins posés dans l’entreprise à la conciliation des temps de vie professionnel et familial expliquent en grande partie la persistance du plafond de verre. Le surinvestissement en temps et le présentéisme exigé des cadres nuisent aux carrières des femmes. L’enquête que nous avons menée sur le terrain a d’ailleurs révélé des situations particulièrement difficiles en Ile-de-France, où les temps de transport sont très élevés2. Revoir les modèles d’évolution professionnelle et d’organisation du travail serait nécessaire et bénéficierait à tous les salariés, hommes ou femmes !
Comment développer l’attractivité pour les filles des métiers scientifiques et techniques ?
Il faut pour cela poursuivre la lutte contre les stéréotypes de genre, dès l’école, en revoyant par exemple l’image des femmes dans les livres pour très jeunes enfants ou dans les manuels scolaires, en formant les enseignants et en invitant des femmes scientifiques ou ingénieurs au sein des établissements. Un travail pour lequel l’Education nationale s’appuie sur le réseau associatif (voir encadré ci-dessous).
Mais il faut aussi, au travers des syndicats, lutter contre les stéréotypes au sein des entreprises. Les enquêtes de terrain au sein des métiers très masculins comme les métiers techniques révèlent qu’il existe à la fois un sexisme malveillant (plaisanteries salaces, remarques ou moqueries) et un sexisme bienveillant, paternaliste et condescendant destiné à protéger la place des hommes. En réaction, les femmes adoptent soit des attitudes de fuite, de repli sur soi ou de désinvestissement, soit des codes masculins de comportement.
- 1. Voir ""Les hommes sont plus fonceurs mais les femmes mieux organisées" : quand les recruteur-e-s parlent du sexe des candidat-e-s", Bref du Céreq n° 315, octobre 2013. Disponible sur www.cereq.fr
- 2. Voir "Femmes dans des "métiers d’hommes" : entre contraintes et déni de légitimité", Bref du Céreq n° 324, novembre 2014. Disponible sur www.cereq.fr