Des financiers encore peu regardants

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La plupart des grandes institutions financières françaises ont souscrit aux principes de l'Equateur, s'engageant ainsi à prendre en compte les impacts environnementaux et sociaux des projets qu'elles financent. Mais cela ne concerne encore qu'une petite part des financements accordés.

La Société générale retire son soutien au projet de barrage d’Ilisu en Turquie "1. C’est le genre d’annonces qui réjouit les organisations non gouvernementales (ONG) qui, comme Les Amis de la Terre, se battaient pour l’abandon de ce projet, aux conséquences environnementales et humanitaires (déplacement des habitants kurdes de la région) potentiellement très lourdes. Il ne faudrait pas néanmoins conclure trop rapidement que les banques françaises sont devenues vertueuses. Certes, la plupart d’entre elles sont désormais signataires des principes dits de l’Equateur (voir encadré ci-dessous). Elles s’engagent ainsi à prendre en compte les impacts environnementaux et sociaux des projets qu’elles financent.

Zoom Les principes de l’Equateur

Les principes de l’Equateur ont vu le jour en 2003. Ils constituent un ensemble de dix lignes directrices adoptées par environ 70 banques et institutions financières, dont un certain nombre de grandes banques françaises : BNP Paribas, Société générale, Calyon (banque de financement du Crédit agricole), Natixis n’en étant pas signataire.

Les principes s’inspirent des normes de la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale en charge du financement du secteur privé, qui a été à l’origine du projet. Ils visent à gérer les incidences sociales et environnementales de projets en imposant des exigences à leur financement. Les projets sont classés selon trois catégories, en fonction des risques qu’ils présentent. Un processus de validation est défini selon la catégorie du projet.

L’activité de financement de projets 2 s’est développée dans les années 1990, avec la construction de nombreuses infrastructures, notamment énergétiques dans les pays du Sud et de l’ancien bloc soviétique. Un premier pas donc, même si sa mise en oeuvre n’est pas sans poser des problèmes (voir tableau page 50). Mais le financement de projets au sens strict ne représente qu’une faible part de l’activité globale de financement des banques 3, qui comprend aussi les prêts aux entreprises, les facilités de trésorerie...

Une question de définitions

Les ONG souhaiteraient que les établissements bancaires élargissent l’application des principes de l’Equateur à toutes leurs activités logées dans la branche " BFI ", c’est-à-dire de banque de financement et d’investissement. Mais les banques s’y refusent pour l’instant en invoquant des difficultés techniques. Autant il est possible d’évaluer les impacts environnementaux et sociaux liés à un projet bien identifié, autant il est très difficile de connaître la finalité des sommes accordées dans le cadre d’un financement global, argumentent-elles. " Quand il s’agit d’octroyer des facilités de caisse à une entreprise, la banque n’a pas connaissance de l’usage qui en sera fait ", se défend Jean Clamon, délégué général en charge de la coordination du contrôle interne chez BNP Paribas. Cécile Rechatin, responsable des principes de l’Equateur à la Société générale, nuance : " Il existe des financements en zone "grise", pour lesquels nous détenons suffisamment d’informations pour savoir ce qui sera fait avec l’argent que nous prêtons. " Le projet du barrage d’Ilisu entrait dans cette catégorie. Il s’agissait non pas d’un financement de projet au sens strict, mais d’un crédit à l’exportation. Cécile Rechatin poursuit : " Nous nous inspirons des cadres d’évaluation des principes de l’Equateur pour d’autres types de financement. " Même son de cloche côté Calyon, banque de financement du Crédit agricole.

Mais la bagarre n’est pas que technique : banques et ONG n’ont pas la même définition de la responsabilité bancaire. Lorsque le droit existe, et qu’il est clairement bafoué, avec de plus un risque d’image fort pour les banques, les deux mondes s’entendent. Le financement de l’achat ou de la production de mines antipersonnel, interdites depuis la signature de la convention d’Ottawa par plus de 100 Etats dont la France, ne fait plus, a priori, débat. C’est plus difficile lorsqu’il s’agit d’activités légales, mais qui sont à bannir pour certaines ONG : le nucléaire ou l’armement sont par exemple des secteurs mis à l’index par Netwerk Vlaanderen, ONG belge très active vis-à-vis du monde de la finance. Son site liste plusieurs institutions financières qui présentent un " risque d’investissements nuisibles "4. BNP Paribas en fait partie, notamment, mais pas seulement, parce qu’elle finance EADS, la maison mère d’Airbus, qui produit aussi des missiles et des hélicoptères de combat.

Délicat également lorsque banques et ONG n’ont pas la même lecture des événements. Par exemple, la présence de Total en Birmanie. Faut-il pour cette raison cesser de financer le groupe pétrolier ? Côté banques, la réponse est négative. Côté ONG, le débat est ouvert. Amnesty International se réfère au droit au sens strict (Total n’est pas condamné), tandis que les Amis de la Terre estiment que Total a sa part de responsabilité dans la situation politique birmane (voir article page 66). Et le géant de la distribution Wal-Mart, connu pour ses pratiques sociales très controversées ? Pour Netwerk Vlaanderen, la réponse est claire : il ne faut pas le financer.

Les banques, quant à elles, refusent d’assumer un rôle de censeur qu’elles estiment dévolu aux pouvoirs publics. Eric Cochard, responsable du développement durable à Calyon, résume : " Une banque raisonne en termes de risques. Ce ne sont pas des considérations morales qui guident ses choix. A Calyon, nous analysons les projets en fonction de critères légaux (est-ce permis au regard du droit international notamment ?) et de risques (le donneur d’ordre a-t-il pris toutes les précautions sur les impacts environnementaux et sociaux ?). " D’où une série de contentieux qui demeurent. Les Amis de la Terre et cinq autres ONG du réseau international BankTrack ont lancé récemment un site Internet 5 qui dénonce un certain nombre d’investissements de grandes banques européennes, dont BNP Paribas, la Société générale et le Crédit agricole.

Les banques ne peuvent certes pas porter la responsabilité de tous les dysfonctionnements du monde, néanmoins, plus de transparence et une politique claire permettraient d’espérer un monde où elles changent, pour détourner le slogan 6 de BNP Paribas...

  • 1. Communiqué de presse de la Société générale du 7 juillet 2009.
  • 2. Au sens strict, cela signifie que ce sont les revenus du projet qui servent à rembourser le prêt.
  • 3. Les ONG estiment généralement que cela représente moins de 10 % de leur activité de banque de financement et d’investissement.
  • 4. Voir www.netwerkvlaanderen.be/fr
  • 5. www.secretsbancaires.fr
  • 6. " La banque d’un monde qui change ".

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