Ces très chers opérateurs des télécommunications

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Tarifs de communications mobiles élevés, changements de fournisseurs compliqués, offres peu lisibles..., les motifs d'insatisfaction ne manquent pas pour les clients des opérateurs français de télécoms.

Trop chères, les communications mobiles ? Au regard des tarifs pratiqués dans les autres pays de l’Union européenne, la réponse est nettement affirmative. Selon le quatorzième rapport de la Commission européenne sur le sujet 1, le consommateur français a dû débourser 30 euros par mois en 2008 (pour une consommation mensuelle de 65 appels et 50 SMS), un des tarifs les plus élevés de l’Union (voir graphique page 78). Avec comme corollaire un manque de dynamisme du marché français qui affiche le taux de pénétration 2 le plus faible de l’Union européenne (92 %, contre 119 % en moyenne).

Un marché partagé entre trois opérateurs

La Commission relève par ailleurs la stabilité des parts de marché des trois principaux acteurs en 2008 : France Télécom-Orange (45 %), SFR (34 %) et Bouygues Telecom (16 %). Elle note également les difficultés rencontrées par ceux qui étaient censés animer la concurrence depuis 2004 : les Mobile Virtual Network Operators (MVNO). A la différence des opérateurs de réseaux, les MVNO, tels en France Virgin Mobile, NRJ Mobile, Tele2 Mobile..., ne disposent pas d’infrastructures, ni de ressources en fréquences. D’où leur nom d’" opérateurs virtuels ". Ils louent des capacités en gros à Orange, SFR et Bouygues Telecom. Le plus souvent, ces MVNO se sont positionnés sur des niches de marché, en s’adressant à une clientèle spécifique : les jeunes pour NRJ, par exemple. Mais ils ne représentent que 5 % du marché et ne disposent que d’une très faible autonomie commerciale et technique vis-à-vis de leurs hôtes. L’Autorité de la concurrence française a du reste remis en cause les relations contractuelles entre opérateurs de réseaux et opérateurs virtuels et demandé un déverrouillage des conditions liant les parties...

Même son de cloche du côté de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), pour laquelle le marché n’est pas suffisamment concurrentiel. Dans un rapport publié en juillet 2009 3, elle souligne en particulier la faible mobilité des consommateurs : seuls 8 % ont changé d’opérateur entre 2007 et 2008, en dépit d’une satisfaction relativement faible, puisqu’un tiers seulement des consommateurs estime que l’offre souscrite correspond à leurs besoins. En cause, la difficulté à comparer les offres disponibles et le fort taux d’engagement 4 des utilisateurs, un des plus élevés de l’Union, qui rend coûteux tout changement.

Ce rapport de l’Arcep pointe en effet une des caractéristiques du marché français : une très forte proportion de forfaits (69 % du marché) par rapport aux offres dites " prépayées " (les cartes, 31 %). Or plus de 80 % des clients qui ont souscrit des forfaits se sont engagés à rester chez le même opérateur, et dans la grande majorité des cas, pour 24 mois. En outre, comme le souligne Edouard Barreiro, de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, " il est difficile de modifier son abonnement à la baisse sans devoir en reprendre pour 12 ou 24 mois ! ". Les opérateurs ont soutenu les forfaits en proposant des tarifs à la minute dissuasifs sur le prépayé. Ce qui pourrait paraître contradictoire (un marché dominé par les forfaits, a priori plus avantageux pour le consommateur) a en fait permis aux opérateurs de réaliser des marges confortables (voir encadré ci-dessous), car les consommateurs utilisent des services non inclus (l’international, les numéros en 08...) ou dépassent le temps de communication prévu et perdent alors tout l’avantage d’une tarification à la minute intéressante.

Zoom L’explosion des profits

Avec un ratio Ebitda* sur chiffre d’affaires proche de 40 % en 2008, les opérateurs de téléphonie mobile SFR et Orange font même mieux en termes de profits que le groupe de luxe LVMH (25 %) ! La téléphonie mobile nécessite certes des investissements initiaux lourds, mais quand ceux-ci sont amortis, l’activité devient très rentable. Pour être juste, il faut reconnaître toutefois que les autres opérateurs européens de téléphonie mobile ont souvent eux aussi des niveaux de profit proches de ceux des opérateurs français. Néanmoins, au Royaume-Uni, où cinq opérateurs s’affrontent, les profits sont nettement moins élevés que ceux des opérateurs français. De même en Suède ou en Norvège, où la concurrence est plus vive.

Quant à Free, malgré sa politique de prix très agressive et son modèle low cost, il dégage lui aussi des marges opérationnelles très confortables grâce aux volumes atteints. Toutefois, l’opérateur investit beaucoup, 23 % de son chiffre d’affaires, et a reversé seulement 17 % de son résultat net aux actionnaires.

Profitabilité des quatre principaux opérateurs en 2008

L’Arcep cherche à faire baisser les tarifs des communications sur mobiles en diminuant le prix de ce qu’on nomme les " terminaisons d’appel " (TA) : c’est ce que facture l’opérateur A à l’opérateur B quand un abonné de B appelle un abonné de A. Après une bataille gagnée contre SFR et Orange devant le Conseil d’Etat en juillet 2009, l’Arcep est parvenue à imposer aux opérateurs une baisse de ces tarifs TA. Toutefois, l’action du régulateur ne porte que sur le marché de gros (prix pratiqués entre opérateurs). Elle n’a une incidence pour le consommateur que si les opérateurs la répercutent sur le prix de détail... Ce qui n’est pas toujours le cas. Ainsi, l’Arcep a imposé une baisse du prix des terminaisons d’appel payé par les opérateurs fixes aux opérateurs de téléphonie mobile, mais l’association 60 millions de consommateurs a constaté que les clients en ont peu bénéficié, les opérateurs en ayant profité pour augmenter leur marge 5 !

Surfacturation tous azimuts

Autre manne pour les opérateurs et sujet de polémiques : les communications émises (ou reçues) depuis l’étranger. Certes, les tarifs des appels internationaux, dits roaming, ont baissé depuis que la Commission européenne les régule. Il existe en effet désormais un " eurotarif ", plafond que les opérateurs ne peuvent pas dépasser (il était en août 2009 de 43 centimes d’euro par minute en émission, de 19 centimes en réception, hors TVA). Mais ce tarif est jugé encore trop élevé par Edouard Barreiro : " Les appels internationaux ne coûtent guère plus à l’opérateur que les communications nationales. " Viviane Reding, la commissaire européenne responsable de la société de l’information et des médias, n’a pas hésité à employer le terme " d’abus sur les appels itinérants " de la part des opérateurs européens (les Français n’étaient pas les seuls à surfacturer ces communications, tous leurs homologues de l’Union en ont profité). En 2009, elle s’est attaquée aux tarifs des SMS, qui sont facturés depuis le 1er juillet 11 centimes d’euro hors TVA. Mais elle avertit : " Ce n’est qu’un plafond, les opérateurs devraient faire payer moins. "

Last but not least : l’Internet sur les téléphones mobiles, qui peut tourner au cauchemar. Le montant des factures grimpe facilement, jusqu’à atteindre plusieurs centaines d’euros sans que le consommateur en soit averti par son opérateur. Résultat, le nombre de plaintes liées à la facture mobile a augmenté de 32,6 % entre 2007 et 2008, selon le baromètre de l’Association française des utilisateurs de télécommunications (Afutt). Devant l’inertie des opérateurs, Luc Chatel, alors secrétaire d’Etat à l’Industrie, leur a demandé de mettre en place un système d’alerte. Il a été rejoint par la Commission européenne, qui va rendre obligatoire dans toute l’Union, à partir de mars 2010, la mise en place d’un système de coupure automatique dès que la facture atteindra un certain seuil (50 euros ont été évoqués, mais le montant peut être déterminé par le client).

Montant des factures mensuelles en Europe en 2008 pour un usage de téléphonie mobile moyen (65 appels et 50 SMS par mois), en euros

De son côté, Edouard Barreiro fustige l’appellation " illimité " qui accompagne les offres Internet sur le mobile : " Est-ce vraiment de l’Internet quand tant de choses sont prohibées : comme faire passer de la voix sur Internet ou effectuer des téléchargements en peer to peer 6? " Et de poursuivre sur l’incohérence de l’offre : " La capacité de l’internaute mobile est limitée à 500 mégaoctets. Mais dans le même temps, les opérateurs vendent des usages très consommateurs de bande passante, comme la télévision ! "

L’arlésienne du quatrième opérateur

L’Arcep et la Commission européenne en tirent les mêmes conclusions : il faut un quatrième entrant pour redynamiser le marché de la téléphonie mobile en France. Un appel à candidatures a été lancé le 1er août 2009. Le choix devrait intervenir courant 2010. Cependant, France Télécom-Orange et Vivendi (actionnaire de SFR), qui contestent le prix demandé (240 millions d’euros), ont déposé un recours devant Bruxelles. De son côté, le fournisseur d’accès internet (FAI) Free, candidat déclaré, a d’ores et déjà annoncé une politique commerciale agressive s’il est retenu. A l’instar de ce qu’il a fait sur le marché de l’Internet haut débit, où dès son entrée en 2002, il a joué le rôle de trublion en proposant un forfait Internet illimité à 29,90 euros. Comme les autres FAI ont suivi, les tarifs sont restés attractifs, ce que souligne Bruxelles qui salue le dynamisme du marché fixe haut débit français.

Zoom Le marché hexagonal des télécoms

Quatre acteurs dominent en France le marché des télécommunications. Deux sont présents sur les marchés du mobile et du haut débit (France Télécom-Orange et SFR depuis son acquisition de Neuf, fournisseur d’accès Internet). Bouygues Telecom a initialement développé son activité sur le mobile. Il a récemment fait son entrée sur le haut débit, mais il occupe une position encore marginale. Quant à Free, deuxième sur le haut débit, il rêve de devenir un acteur majeur sur le mobile.

Parts de marché en valeur des opérateurs français de réseaux mobiles en 2008
Parts de marché en valeur des opérateurs de réseaux haut débit en 2008

L’arrivée d’un quatrième entrant mettra-t-elle un coup d’arrêt aux abus des opérateurs de téléphonie mobile ? Les intéressés s’offusquent et exhibent leurs investissements. Pour les consommateurs, plaident-ils. Certes, les opérateurs investissent, de 11 % du chiffre d’affaires pour SFR à 17 % pour Bouygues Telecom. Toutefois, ces investissements ont ralenti et se déportent vers d’autres activités ou le développement à l’international. Comme le souligne un analyste de Natixis Securities : " Le propre d’une activité mature est de dégager des cash flows 7élevés et plutôt récurrents. Une fois la structure vierge de dettes, ce qui est quasiment le cas d’Orange, de Bouygues Telecom et de SFR, une remontée des liquidités vers la maison mère permet de financer d’autres développements et de réduire la dette nette. " Et de soigner leurs actionnaires. En 2008, Orange et Bouygues Telecom ont versé la quasi-totalité de leurs bénéfices sous forme de dividendes. SFR a été moins généreux (43 % des bénéfices distribués) du fait de l’acquisition de Neuf. Aucun n’a pensé aux consommateurs de téléphonie mobile, véritable vache à lait des opérateurs.

  • 1. " Rapport d’avancement sur le marché unique européen des communications électroniques de 2008 ", mars 2009.
  • 2. Soit le rapport entre le nombre d’utilisateurs et la population cible potentielle.
  • 3. " Comportement des consommateurs de téléphonie mobile et changement d’opérateurs ", Arcep, juillet 2009.
  • 4. 62 % des abonnés ont souscrit une offre pour une durée de 12 ou 24 mois.
  • 5. Voir son étude " Comment les opérateurs confisquent la baisse des appels vers les mobiles ", juin 2009. Disponible sur www.60millions-mag.com
  • 6. Procédé d’échange direct de fichiers entre des postes individuels d’utilisateurs connectés à Internet.
  • 7. En français, " flux de trésorerie ", soit la différence entre les encaissements (recettes) et les décaissements (dépenses) générés par l’activité d’une entreprise.

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