Entretien

" Il est important que le mouvement syndical prenne la RSE à bras-le-corps "

6 min
Jean-Paul Raillard directeur général de Syndex

Après avoir été une source d’inquiétude, la responsabilité sociale des entreprises est désormais perçue par les syndicats européens comme un moyen d’enrichir le dialogue social.

La responsabilité sociale des entreprises (RSE) apporte-t-elle une nouvelle dimension au dialogue social ?

Oui, tant qu’elle ne se substitue pas au dialogue social et n’affaiblit pas la négociation collective. Elle est alors un élément complémentaire qui permet d’aller au-delà des acquis législatifs et contractuels. En proposant de nouveaux sujets de concertation, tels que la gouvernance publique, l’environnement ou encore la conciliation des vies professionnelle et familiale, elle vient compléter le dialogue social classique. Elle ne remet pas en cause le dialogue social interne dans les entreprises, mais elle permet à celui-ci de s’enrichir de nouveaux sujets. Il est donc important que le mouvement syndical, au-delà, parfois, de ses préventions, prenne à bras-le-corps la RSE comme un outil de progrès. Et ce en lui donnant une dynamique dans le cadre des relations sociales de l’entreprise, voire en contractualisant les acquis et en développant des coopérations et des alliances avec les associations qui travaillent dans les champs du social, de la consommation et de l’environnement, mais aussi avec les collectivités territoriales et les pouvoirs publics.

Comment le syndicalisme s’est-il approprié ce concept ?

Le fait que ce concept anglo-saxon soit arrivé en Europe porté par une partie du patronat et par des organisations non gouvernementales (ONG) avec lesquelles les syndicalistes n’avaient pas l’habitude de beaucoup coopérer a généré d’abord des inquiétudes. Néanmoins, la Confédération européenne des syndicats (CES) a rapidement compris que la RSE était une opportunité de développer une approche plus globale, économique, sociale et environnementale, de l’entreprise et de ses responsabilités. En s’appuyant sur le travail déjà engagé par les syndicats de certains pays, notamment d’Europe du Nord, et certaines fédérations professionnelles européennes comme celle du textile, le mouvement syndical a su développer une conception européenne de la RSE, basée sur notre modèle de développement économique et social.

La RSE est-elle devenue un objet de négociation avec le patronat ?

Certaines associations européennes d’employeurs, avec la complicité passive de la Commission, ont freiné jusqu’à présent l’établissement d’un cadre européen permettant de généraliser un usage vraiment efficace de la RSE, basé sur la transparence et le dialogue social.

Heureusement, quelques dirigeants montrent l’exemple en innovant. Leurs démarches ont abouti à la signature et au suivi d’accords de RSE avec des fédérations syndicales internationales et européennes. Depuis le début des années 2000, ces accords, appelés généralement " accords-cadres internationaux ", portent non seulement sur des questions sociales telles que le respect des droits sociaux fondamentaux partout où l’entreprise contrôle une activité, mais aussi, de plus en plus souvent, sur les impacts environnementaux des activités économiques relevant de sa sphère d’influence. Notre cabinet aide justement le mouvement syndical européen et international à évaluer la mise en oeuvre de tels accords.

Nous observons aussi la montée en régime des accords-cadres européens d’entreprise sur des thèmes tels que l’égalité professionnelle, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, les conditions de santé et de sécurité, ainsi que la conduite des restructurations. Apparaissent également des accords au niveau sectoriel comme, par exemple, dans le secteur du bois (accord pour une régulation de l’abattage illégal des arbres) et, très récemment, dans celui du cuir et de la tannerie.

Existe-t-il des différences selon les pays européens ?

Oui, car la mise en oeuvre de la RSE dépend de la culture de chaque pays et, surtout, de la capacité des syndicats à maîtriser ce nouvel espace de concertation. Globalement, les pays du Nord de l’Europe ont intégré le concept de RSE plus tôt que les pays latins et que ceux d’Europe de l’Est.

Dans les nouveaux Etats membres de l’Europe centrale et orientale, où le niveau et la qualité de la négociation collective sont encore faibles, il peut exister la crainte que la RSE se substitue au dialogue social et à la contractualisation. Au contraire, dans les pays où les syndicats sont fortement implantés et plutôt dans une logique de négociation que d’opposition vis-à-vis des dirigeants d’entreprise, ils ont été amenés à discuter rapidement de politiques de RSE. Dans les pays d’Europe du Sud, ils sont restés plus longtemps sceptiques sur l’intérêt du concept. Dans un pays comme la France, l’Etat a joué un rôle de catalyseur auprès des entreprises cotées en Bourse, les obligeant à communiquer publiquement sur ce sujet avec la loi sur les " nouvelles régulations économiques " de 2001.

Dans l’accompagnement d’équipes syndicales que votre cabinet effectue, comment voyez-vous la prise en compte de la RSE ?

Organiser un dialogue social constructif sur la responsabilité sociétale de l’entreprise n’a de sens que si la RSE vient s’intégrer à la stratégie de l’entreprise et que les parties prenantes externes sont prises en compte (sous-traitants, ONG, collectivités territoriales...). Cela explique probablement que la prise en considération des pratiques de RSE est assez lente dans le dialogue social d’entreprise, mais elle existe désormais indubitablement et se développe.

Les syndicats ont conscience que les enjeux auxquels l’entreprise est confrontée ne se réduisent plus au périmètre de celle-ci. Les syndicalistes français investissent désormais de nouveaux champs du dialogue social et civil en interrogeant les engagements explicites de certaines entreprises au travers de leur reporting RSE.

Pour ce qui est de l’accompagnement des représentants des salariés, qui constitue le coeur de métier du cabinet Syndex, nous constatons que les demandes relatives aux questions de RSE nous arrivent le plus souvent par l’intermédiaire de comités de groupe nationaux ou de comités d’entreprise européens. Certains de ces comités ont d’ailleurs constitué en leur sein des commissions de travail dédiées à la prise en compte du développement durable et de la politique RSE de leur entreprise. En outre, un bon nombre de comités d’entreprise européens assurent le suivi et la mise en oeuvre des accords-cadres européens qui montent en régime depuis quelques années sur des problématiques liées à la RSE.

Nous sommes alors amenés à travailler sur le tableau de bord et des indicateurs spécifiques dont se dote l’entreprise en la matière. Afin de permettre aux représentants du personnel de peser sur les choix de l’entreprise, nos experts produisent à leur attention des commentaires et des comparaisons sectorielles concernant l’usage de tels outils.

La crise n’est-elle pas un prétexte pour mettre la RSE au second plan ?

Certains peuvent être tentés de le penser, mais nous sommes persuadés que l’un des principaux enjeux pour l’entreprise dans la période qui s’ouvre sera de développer de nouveaux indicateurs de performance globale, au-delà de la seule performance financière. La crise que nous traversons doit permettre d’accélérer sensiblement ce mouvement dans tous les secteurs, et on ne peut s’empêcher de penser d’abord au secteur financier.

Propos recueillis par Claire Cotentin

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