L’engrenage

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Le retournement du marché immobilier aux Etats-Unis a déclenché une vague de défauts de remboursement des prêts subprime. Les banques ont alors découvert qu'elles avaient joué avec le feu et qu'elles étaient liées entre elles par une pelote indémêlable de risques. Par effet domino, la crise financière s'est répandue.

Le juteux business des subprime reposait sur une condition centrale : que le prix des logements continue de s’apprécier. Mais à la fin de l’année 2006, le marché immobilier américain a commencé à se retourner sous l’effet de la remontée des taux d’intérêt directeur de la Federal Reserve (la Fed). En même temps, les charges de remboursement sur les crédits subprime se sont mises à augmenter. Il est alors apparu qu’un nombre croissant de ménages ne pouvait faire face à leurs engagements. Pris à la gorge par la hausse de leurs remboursements, coincés par la baisse de la valeur de leur logement (qui ne leur permettait pas de vendre pour rembourser le prêt), ils ont été de plus en plus nombreux à voir leur maison saisie. Ce qui a amplifié la baisse des prix, laquelle a mécaniquement fait croître encore les défauts sur les prêts et entraîné la chute du prix des titres adossés à des crédits subprime.

Taux de défaut de remboursement sur les prêts hypothécaires aux Etats-Unis, en %
Taux de saisies immobilières aux Etats-Unis, en %

Après les ménages, forcés d’abandonner leur maison sur un marché immobilier désormais complètement déprimé, ce fut au tour des établissements spécialisés qui leur avaient prêté d’être touchés. Les premières faillites de prêteurs firent la une de l’actualité américaine au premier trimestre de l’année 2007. En quelques mois, une vingtaine d’établissements durent ainsi mettre la clé sous la porte. Mais ils n’étaient heureusement pas de taille à déstabiliser les grandes banques. Après tout, le total des prêts subprime ne représentait que 13 % du total des prêts hypothécaires. Les déboires des emprunteurs semblaient pouvoir être absorbés sans trop de remous. D’autant que le risque de défaut sur les titres émis par ces établissements de crédit était supposé distribué entre une multitude d’investisseurs. C’est l’avantage des opérations de titrisation  : tout le monde détient un peu de risque, mais aucun grand établissement n’en porte suffisamment pour flancher. La suite des événements a cependant montré que cette large répartition des risques peut aussi conduire à aggraver la panique quand le marché ne sait plus les situer ni les quantifier.

A l’été 2007, la crise du subprime prit en effet une nouvelle dimension. L’augmentation massive des défauts avait enfin conduit les agences de notation à ouvrir les yeux sur les produits qu’elles avaient cautionnés et à dégrader leurs notes. Les dégâts s’étendirent alors aux investisseurs dont le portefeuille était un peu trop chargé en CDO . Fin juillet, deux fonds spéculatifs, des hedge funds de la grande banque d’investissements américaine Bear Stearns, en firent les frais les premiers. Il faut dire que les hedge funds, toujours à la recherche de rendements élevés, étaient particulièrement friands de ces titres. Quand la contre-performance des subprime s’est amplifiée, certains déposants ont demandé à retirer leurs fonds, et des créanciers ont refusé de reconduire leurs crédits. Les fonds de Bear Stearns n’ont alors pas pu assumer et ont fait défaut.

La crise n’a pas tardé à traverser l’océan. Bien qu’il n’y ait pas en Europe d’équivalent au marché subprime américain, ni de titrisation des prêts hypothécaires d’une telle ampleur, les banques ou des organismes de placement européens s’étaient amplement fournis en titres adossés à du subprime auprès des banques américaines. Sous l’égide des pouvoirs publics, un consortium de banques allemandes a dû voler au secours de l’aventureuse banque allemande IKB. En France, plusieurs gestionnaires de fonds ont aussi été touchés, tels AXA IM ou Oddo.

Infarctus monétaire

C’est au cours de la deuxième semaine d’août 2007 que la crise s’est transformée en une crise de liquidité aiguë. La liquidité est l’oxygène des marchés financiers : c’est ce qui permet de réaliser des opérations de vente et d’achat de produits financiers sans délai ni coût notable. Or c’était le talon d’Achille des nouveaux produits structurés. En période normale, ces produits hautement sophistiqués, conçus quasiment sur mesure en fonction des demandes des investisseurs, étaient déjà peu liquides. Mais avec la suspicion croissante dont ils ont commencé à faire l’objet, les acheteurs ont complètement déserté.

Dans ces conditions, impossible de déterminer un prix. " L’évaporation complète de la liquidité sur certains segments de marché aux Etats-Unis a rendu impossible la valorisation adéquate de certains actifs ", indiquait BNP Paribas le 10 août 2007, après avoir suspendu le calcul de la valeur liquidative de trois de ses fonds. Cette décision a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Et ce, d’autant plus que la banque avait annoncé des résultats records une semaine auparavant et s’était vantée d’être à l’abri des éclaboussures de la crise des subprime !

Zoom Les LBO ou les subprime de la dette d’entreprise

Il n’y a pas que les ménages américains qui ont pu s’endetter au-delà du raisonnable. Certains fonds d’investissement n’ont pas hésité, eux aussi, à profiter des largesses des banquiers pour racheter des entreprises en s’endettant de façon hasardeuse. Ces montages financiers, appelés LBO (leveraged buyout) , consistent à racheter des entreprises avec un minimum de fonds propres et un maximum de dettes. Ces dettes, logées dans des sociétés holdings, étaient censées être remboursées par les profits, forcément croissants, tirés des entreprises acquises. Ces opérations ont représenté 10,3 milliards d’euros en France en 2007, soit 0,5 % du produit intérieur brut (PIB), et encore 7,4 milliards en 2008. Fin 2008, les dettes correspondantes accumulées pesaient 60 milliards d’euros dans le bilan des banques françaises.

Mais le mécanisme se grippe du fait de la crise économique. Face aux résultats en baisse des entreprises, les holdings surendettées sont incapables de faire face à leurs échéances. Les fonds d’investissement n’ont pas d’autre choix que de renégocier leur dette avec leurs créanciers, principalement des banques. Une négociation tendue pour des institutions en situation déjà difficile par ailleurs. Les prêteurs ont cependant souvent plus à perdre en cas de faillite de la société sous LBO que les fonds d’investissement, qui n’ont apporté qu’une part très réduite de capital. Mais comme pour les pauvres américains qui perdent leur logement en raison des subprime, ce sont surtout les salariés des entreprises concernées qui paient les pots cassés...

La réaction des autres banques au lendemain de cette annonce n’avait rien de rassurant non plus. En temps normal, les banques se prêtent en permanence des liquidités sur le marché monétaire à un taux légèrement supérieur à celui de la banque centrale. Or, brutalement, leur méfiance les unes à l’égard des autres est devenue telle que l’écart de taux a explosé (voir graphique p. 35). Ce qui a suffi à bloquer les transactions car, compte tenu des taux d’intérêt pratiqués vis-à-vis de leurs propres clients, les banques ne pouvaient plus gagner d’argent en empruntant elles-mêmes à des taux aussi élevés.

A cette situation exceptionnelle, la Banque centrale européenne (BCE) a répondu en ouvrant sans restriction le robinet du crédit au jour le jour. Autrement dit, elle a autorisé les banques à emprunter auprès d’elle, pour la journée, tout ce dont elles avaient besoin, au taux de 4 %. Résultat : les banques se sont littéralement jetées sur les liquidités : 95 milliards d’euros ont été injectés au cours de la seule journée du 11 août, soit davantage qu’au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 (la BCE n’avait alors dû prêter " que " 69 milliards d’euros). Le lendemain, la BCE a de nouveau prêté 61 milliards, puis encore plusieurs dizaines de milliards d’euros les jours suivants... Dans le même temps, la banque centrale des Etats-Unis (la Fed) et celle du Japon intervenaient également, quoique avec une moindre ampleur. Ces réactions massives ont ramené un certain calme sur les marchés.

Après le coup de chaud de l’été 2007, les banquiers centraux voulaient encore croire à une crise passagère. Après tout, il était plutôt sain que la rémunération du risque financier, après avoir excessivement baissé, soit réévaluée à la hausse. Quant à la chute des Bourses, elle restait modérée au regard de leur appréciation depuis 2003. D’autant que ces corrections intervenaient dans un contexte macroéconomique relativement satisfaisant : le Fonds monétaire international (FMI) avait même revu à la hausse ses prévisions de croissance mondiale fin juillet 2007. Les entreprises faisaient des profits et pouvaient résister à une élévation limitée du coût du crédit. Les banques affichaient de tels bénéfices qu’elles pouvaient bien supporter une petite purge. Ben Bernanke, le président de la Fed, estimait l’étendue des pertes liées à la crise du subprime autour de 100 milliards de dollars, une goutte d’eau dans l’océan des bénéfices bancaires.

Le piège se referme

Cette vision optimiste souffrait pourtant de deux angles morts. Tout d’abord, l’incendie n’était toujours pas circonscrit aux Etats-Unis : les défauts sur les subprime poursuivaient leur inexorable progression. La saisie et la remise en vente de centaines de milliers de maisons contribuaient à déprimer encore un peu plus le marché immobilier américain, où les stocks de logements disponibles dépassaient déjà les quatre millions, contre deux millions en 2004.

Evolution du cours des actions Fannie Mae et Freddie Mac, en dollars par action

Mais surtout, les banques étaient bien plus exposées qu’on ne le pensait. Les risques dont elles croyaient s’être débarrassées grâce à la titrisation, leur revinrent au centuple, sous une autre forme. En effet, une bonne part des produits complexes recelant des créances à risque s’étaient retrouvés dans l’escarcelle d’acteurs liés aux banques, mais placés hors de leur bilan. Ils échappaient ainsi au contrôle des autorités bancaires et à la réglementation prudentielle qui oblige à immobiliser un certain montant de fonds propres. Ces SIV , gorgés de produits titrisés et fragilisés par un énorme effet de levier , n’ont pas résisté à la montée des défauts des emprunteurs subprime.

Or les banques étaient liées à ce système bancaire fantôme par une multitude de liens, de contrats et d’engagements. Quand les titres émis par les SIV pour se financer n’ont plus trouvé preneurs, ceux-ci se retournèrent, acculés, vers leurs banques " sponsors ", lesquelles durent reprendre dans leur bilan les actifs douteux des véhicules en question et provisionner les moins-values latentes. Douloureux processus de réintermédiation, puisqu’il impose aux banques d’augmenter leurs capitaux propres au moment même où ceux-ci sont amputés par des pertes croissantes.

Au cours de l’automne 2007, les banques commencèrent à révéler leurs pertes. Un à un, les géants de Wall Street avouèrent qu’ils s’étaient fait prendre au piège des subprime. Des PDG démissionnèrent ou furent remerciés. Mais plutôt que de se jeter par la fenêtre comme en 1929, ils sautèrent en parachute doré : Charles Prince, PDG de Citigroup, partait avec 105 millions de dollars ; Stanley O’Neal, PDG de Merrill Lynch, faisait mieux : 161 millions de dollars.

On découvrit que les banques européennes étaient elles aussi très impliquées. La banque britannique Northern Rock, spécialisée dans l’immobilier, fut sauvée in extremis par la banque d’Angleterre, après un mouvement de panique des déposants.

Le tournant Bear Stearns

En mars 2008, la faillite de la cinquième banque d’investissement américaine, Bear Stearns, est évitée de justesse par son rachat par JP Morgan, téléguidé par le Trésor américain. La crise change de nature. La fragilité des banques d’investissement, qui fonctionnent avec un capital très réduit, éclate au grand jour. Pour éviter qu’elles n’engloutissent tout le système financier dans leur chute, la Fed est conduite à ouvrir ses guichets aux banques d’affaires : elles pourront désormais se refinancer auprès de la banque centrale, alors que celle-ci n’a aucun droit de regard sur leurs activités.

En juillet, c’est au tour de Fannie Mae et de Freddie Mac, les deux géants du refinancement hypothécaire américain, d’être pris dans la tourmente. Pendant l’année 2008, l’administration américaine les a poussés à acheter et à garantir des prêts hypothécaires de moins en moins sûrs afin d’éviter un assèchement du crédit immobilier, ce qui les a beaucoup fragilisés. En juillet, le Congrès autorise le secrétaire au Trésor, Henry Paulson, à acheter des titres de dette des deux agences, éventuellement aussi leurs actions. Mais les investisseurs ne sont pas convaincus : le cours des actions de Fannie Mae et de Freddie Mac s’effondre et, malgré la quasi-garantie publique donnée à partir du mois de juillet, leur coût de financement ne cesse de monter... entraînant avec lui les taux des prêts immobiliers aux ménages. Pour ne rien arranger, la défiance à l’égard des deux agences, pivots du système financier américain, provoque une baisse du dollar. C’est ce qui décide finalement le gouvernement à les nationaliser en septembre. Ce n’était que le début du septembre le plus noir de l’histoire de la finance...

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