Trois modèles de sauvetage des banques

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Pour mettre un terme à l'hémorragie des pertes, trois options peuvent être efficaces. Mais il faut avoir conscience qu'elles n'auront pas les mêmes effets, en particulier sur le crédit. Et pour le contribuable.

Pendant plusieurs mois, les Etats ont multiplié les apports d’argent public sans parvenir à enrayer les pertes des banques ni à raviver le crédit. Ainsi, en mars 2009, cinq mois après l’adoption du plan Paulson aux Etats-Unis et l’injection de 350 milliards de dollars de fonds publics dans le capital des banques américaines, les pertes bancaires continuaient de s’accumuler, les cours des actions bancaires étaient toujours au plus bas, les besoins de capitaux toujours aussi importants et les banques continuaient de thésauriser leurs fonds au lieu d’accorder des crédits à des économies à l’agonie.

Trois modèles paraissent à même de mettre un terme à l’hémorragie des pertes. Mais ils n’ont pas les mêmes implications en termes de redistribution et de reprise du crédit.

Le modèle de la garantie publique

Le modèle de la garantie publique sur les actifs des banques prend acte du fait, amplement démontré par l’échec du plan Paulson, que l’injection de capitaux ne résout rien tant que les bilans des banques demeurent encombrés d’une masse considérable de créances douteuses et d’actifs toxiques. S’il évite à l’Etat de devoir racheter les actifs douteux des banques, il n’en transfère pas moins la totalité des risques de pertes futures sur les actifs en question sur le contribuable, sans que celui-ci soit associé d’une quelconque façon à la possibilité de gains éventuels, en cas de retour à la normale des marchés.

A cela s’ajoute le fait que l’Etat, refusant de recevoir la part qui serait revenue à tout investisseur privé en contrepartie des capitaux apportés - ce qui le rendrait majoritaire -, s’interdit de limoger les dirigeants des banques et de peser de façon décisive sur leur politique de crédit. Ce modèle s’analyse ainsi comme un immense cadeau fait aux actionnaires des banques en faillite, sur le dos des contribuables et au détriment des banques concurrentes ayant fait preuve d’une gestion plus raisonnable.

Le cas de Citigroup, première banque américaine par le montant de ses actifs, est exemplaire de ce mode de traitement. Le 28 octobre 2008, la banque recevait une première injection de capitaux publics, pour 25 milliards de dollars dans le cadre du plan Paulson. L’action de Citigroup, qui avait perdu 80 % de sa valeur depuis juin 2007, rebondissait alors de 12 à 15 dollars, avant de reprendre sa chute vertigineuse et de toucher un point bas à 4 dollars le vendredi 21 novembre. Au bord de la faillite, menaçant d’entraîner dans sa chute l’ensemble de l’édifice financier américain, la banque bénéficiait le 23 novembre 2008 du plan de sauvetage le plus important de toute l’histoire financière.

Fondé sur le principe de l’assurance, ce plan offrait la garantie du gouvernement sur 90 % du portefeuille d’actifs risqués de la banque (crédits aux entreprises et titres adossés à des crédits immobiliers, crédits à la consommation, cartes de crédit, etc.), soit 306 milliards de dollars. Il procédait en outre à une nouvelle injection de fonds publics à hauteur de 20 milliards de dollars. En contrepartie, Citigroup acceptait de passer par pertes et profits 29 milliards de dollars de titres et de créances non recouvrables et cédait au gouvernement une participation dans son capital de... 7,8 % ! Un montant dérisoire au vu de la capitalisation de la banque le jour de l’accord (28,6 milliards de dollars) et des risques désormais assumés par le gouvernement américain. Aucun changement n’était exigé à la direction de la banque, qui pouvait continuer de gérer les affaires tranquillement, moyennant quelques limitations salariales.

Le modèle de la " bad bank "

Solution alternative, le modèle de la bad bank consiste pour l’Etat à racheter les actifs toxiques des banques, de façon à la fois à désencombrer leurs bilans et à permettre à l’Etat de bénéficier de plus-values éventuelles lors de la revente future des actifs en question. Il présente l’inconvénient d’obliger les Etats à débourser immédiatement les fonds destinés au rachat desdits actifs. Surtout, il ne garantit nullement que les banques se remettent à faire crédit tant que leur capital continue de fondre. Or, sans reprise du crédit, la dégradation accélérée de l’activité a toutes les chances de gonfler le volume des créances douteuses des banques, donc d’entretenir la défiance des marchés à leur encontre et, avec elle, la fonte de ce qui reste de leurs fonds propres .

Le plan de Timothy Geithner, le secrétaire d’Etat au Trésor de Barack Obama, est une version originale de ce modèle. L’administration Obama ne disposant plus que d’une centaine de milliards sur les 700 alloués au plan Paulson et refusant d’entendre parler de nationalisation, la solution trouvée fut d’associer les investisseurs privés - fonds de pension, fonds mutuels, fonds obligataires, fonds spéculatifs - à la reprise des actifs toxiques des banques, en partenariat avec l’Etat. Afin d’atteindre les sommes requises pour assainir sérieusement les bilans bancaires, l’innovation du plan Geithner a consisté à faire jouer massivement l’effet de levier , en autorisant les investisseurs privés à emprunter jusqu’à douze fois leur mise auprès de la banque centrale ou bien sur les marchés privés, avec la garantie de l’Etat pour racheter les actifs des banques. Pour les convaincre de prendre le risque, les prêts de la Federal Reserve (Fed), la banque centrale américaine, ne sont garantis que par les actifs toxiques acquis par les fonds, ce qui signifie qu’en cas de défaut de paiement ou de faillite, les pertes seront assumées par l’Etat.

Bref : en cas de plus-value, autrement dit de revente ultérieure des actifs bancaires à un prix supérieur à leur prix d’acquisition, les profits seront partagés entre le privé et l’Etat. En cas de pertes, tous les risques seront aux frais des contribuables.

Le modèle de la nationalisation

En réalité, comme le montre l’exemple suédois de 1993 (voir page 133), la solution à la fois la plus équitable et la plus efficace consiste à aligner les intérêts des institutions financières soutenues à bout de bras par l’Etat avec ceux des contribuables qui financent leur remise à flot. L’intérêt du public est que les vannes du crédit soient rouvertes le plus rapidement possible, pour empêcher que la récession actuelle ne se transforme, comme elle en prend le chemin, en dépression. Cela suppose que la gestion des banques cesse d’être guidée par la raison privée, laquelle dépend trop étroitement de la protection immédiate des actionnaires et débouche, dans le contexte actuel, sur la thésaurisation des liquidités .

Si une banque est trop grande pour faire faillite, alors elle doit être nationalisée. Ses actionnaires doivent assumer les pertes et sa direction être limogée. Cela suppose de conditionner l’injection de capitaux publics à la reconnaissance par les banques de leurs pertes, autrement dit l’inscription des actifs toxiques dans les bilans à leur valeur de marché. Puis de sanctionner l’échec de la gestion passée et l’état de quasi-faillite des banques en permettant à l’Etat, à l’instar de tout investisseur privé et à plus forte raison d’un fonds souverain étranger, d’acquérir le capital des banques à son prix de marché. Enfin, seulement, de transférer les actifs toxiques des banques vers une bad bank chargée de les gérer jusqu’à ce que leur revente devienne possible.

Faute d’une telle politique, l’Etat se condamne à socialiser l’ensemble des pertes passées et futures du système bancaire, sans pour autant s’assurer que les sommes énormes investies permettront le redémarrage du crédit.

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