La nouvelle vague de plans sociaux

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Les restructurations ne sont pas des accidents ponctuels, mais un processus récurrent face auquel les salariés apparaissent inégaux et peu préparés.

Crise oblige, les restructurations sont revenues sur le devant de la scène. Et de manière spectaculaire. Depuis début mars, les annonces de fermetures d’usines ou de plans sociaux se multiplient, avec pour corollaire une radicalisation des conflits : séquestration de dirigeants chez Caterpillar, 3M, Faurecia, Sony, Heuliez, Scapa, Molex ou Siemens ; dégradation de locaux par les salariés de Continental ; blocage des trois usines françaises du groupe Manitowoc... Rarement la colère sociale aura autant fait la une des médias. La rapide montée du chômage a replacé les restructurations au coeur de l’actualité. C’est ainsi qu’en 2009, l’administration a recensé 2 242 plans de sauvegarde de l’emploi - on ne dit plus " plans de licenciement collectif pour raison économique " -, un chiffre qui a plus que doublé par rapport à l’année précédente. Par ailleurs, les inscriptions à Pôle emploi suite à un licenciement économique ont explosé : + 43% entre 2009 et 2008.

Cette envolée des plans sociaux, pour spectaculaire qu’elle soit, ne traduit pas une réelle rupture avec les tendances antérieures. " Depuis une dizaine d’années, la restructuration est de moins en moins un phénomène rythmé, c’est-à-dire un traumatisme ponctuel. Elle devient de plus en plus un phénomène permanent, voire une méthode de gestion bien intégrée par le management de certaines entreprises ", explique Martin Richer, directeur général de Secafi, un cabinet d’expertise au service des comités d’entreprise. Après une baisse dans la seconde moitié des années 1990, le nombre de plans de sauvegarde de l’emploi est en effet resté à un niveau considérable : près de 1 200 par an en moyenne entre 2001 et 2008.

Inégaux face aux licenciements

Tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne face à l’insécurité de l’emploi. L’inégalité la plus évidente concerne la taille de l’entreprise. Seules les sociétés de plus de 50 salariés qui licencient plus de 9 employés sont tenues de mettre en oeuvre un plan social. Ainsi, dans la pratique, seuls 10 % à 20 % des salariés touchés par un licenciement économique bénéficient d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Autre source d’inégalité : la santé financière de l’entreprise qui licencie. Selon le code du travail, la validité d’un plan social " est appréciée au regard des moyens dont dispose l’entreprise ". En clair, en l’absence de tout mécanisme de mutualisation, les actions de reconversion mises en place en cas de licenciement collectif ne dépendent pas des besoins réels des salariés licenciés mais de la capacité contributive de l’entreprise qui se sépare d’eux.

D’autre part, les titulaires d’un contrat précaire sont exclus du bénéfice des mesures d’un plan social, alors qu’ils sont les premiers sacrifiés en cas de difficultés. En janvier 2010, 115 700 personnes se sont inscrites à Pôle emploi après avoir terminé un contrat à durée déterminée et 28 700 à l’issue d’une mission d’intérim, contre seulement 16 100 nouveaux chômeurs victimes d’un licenciement économique.

Inégalitaire, le dispositif français d’accompagnement des restructurations est également inadapté aux réalités économiques actuelles. Et notamment à la croissance du nombre de groupes de sociétés. Début 2007, les 7 500 groupes que compte l’industrie manufacturière concentraient 88 % des effectifs salariés de ce secteur. Cette structuration des entreprises en groupe leur permet de démultiplier les effets de seuil : en créant des filiales de moins de 50 salariés ou en répartissant les licenciements pour qu’ils ne dépassent pas 10 personnes par entité, cela leur permet de contourner la législation. Sans compter que les représentants des salariés auront beaucoup plus de mal à se faire une opinion sur la situation économique d’un groupe aux ramifications complexes.

Les salariés se retrouvent dépendants d’un centre de décision qui n’est pas leur employeur juridique. " La distance s’est creusée entre dirigeants et salariés, confirme Martin Richer. Les séquestrations apparaissent dès lors comme la seule manière de faire revenir le dialogue social sur un site. " De fait, la plupart des entreprises où des cadres dirigeants ont été retenus sur leur lieu de travail appartiennent à des groupes étrangers : Molex, 3M et Caterpillar sont américains, Continental allemand et Sony japonais.

Un accompagnement dépassé

Si les bénéficiaires d’un plan social sont assurément mieux lotis que les autres, ils ne sont pas pour autant tirés d’affaire. Seuls 50 % des personnes concernées par un plan social ont retrouvé un emploi un an après leur licenciement. Directions comme syndicats jouent rarement le jeu. Côté employeurs, les stratégies d’évitement sont monnaie courante : recours massif aux mesures d’âge, multiplication des plans de départ volontaire, engouement pour les ruptures conventionnelles, etc. Les syndicats et les salariés ont, de leur côté, tendance à privilégier l’obtention d’indemnités conséquentes, plutôt qu’un véritable plan de reclassement. " La montée des revendications indemnitaires est de plus en plus forte, constate Dominique Paucard, du cabinet d’expertise Syndex. C’est le signe d’une faible crédibilité des mesures actives de retour à l’emploi. "

Ce succès des " primes à la valise " est symptomatique du fait que les restructurations continuent d’être traitées comme des accidents, non comme un processus récurrent. Là où il faudrait mieux anticiper, on se contente de traiter à chaud, quand le mal est fait. Anticiper suppose en premier lieu de pérenniser l’employabilité des salariés, via la formation continue. Or, selon un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental, la France est nettement sous la moyenne européenne en termes de formation permanente. Comme l’analyse Claude-Emmanuel Triomphe, chercheur et responsable Europe de l’Association travail emploi Europe société (Astrees) : " Nous n’avons toujours pas tiré les conséquences des grandes crises précédentes. Le cas de Continental est symptomatique : ce sont des ouvriers peu qualifiés que l’on n’a pas préparés à des mutations futures. D’une manière générale, les gens les plus vulnérables sont ceux qui sont les moins accompagnés ".

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