Comment réduire la dette publique sans tuer la reprise ?

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Après la crise, il faut chercher à limiter la dette publique. Mais les différentes stratégies possibles n'ont pas le même impact, ni sur l'économie ni sur la société.

En un an, entre la fin du troisième trimestre 2008 et celle du troisième trimestre 2009, la dette publique française a bondi de près de 14 points, en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). Son montant a grossi de 170 milliards d’euros. Les 1 500 milliards d’euros seront donc dépassés avant la fin de cette année, contre 1 000 milliards fin 2003. La France n’est pas seule dans ce cas, puisque la progression a été similaire dans l’ensemble de la zone euro.

Quand la dépense privée fait défaut, il est en effet nécessaire que la dépense publique prenne le relais. Et il fallait absolument casser la spirale dépressive qui s’amorçait et renflouer un système bancaire au bord de la faillite. Ainsi, plus les pays ont eu de difficultés et plus ils ont fait appel au déficit public : en un an, la progression a atteint 32 % en Espagne, 45 % en Irlande, 58 % au Danemark, sans même parler des 151 % de la Lettonie. Mais, tôt ou tard, il faudra rembourser : soit en augmentant les prélèvements, soit en réduisant les dépenses, soit en acceptant un peu plus d’inflation, puisque la hausse des prix dévalorise la dette passée et en rend le remboursement plus facile.

Un recours à l’emprunt déjà avant la crise

En 2009, les recettes de l’Etat n’ont représenté en France que les deux tiers de ses dépenses (234 milliards sur 364) ; le tiers restant a dû être emprunté. A ce chiffre s’est ajouté un déficit de 27 milliards pour la Sécurité sociale. Pour une part, cet écart résulte de la crise, qui a réduit les recettes (l’impôt sur les bénéfices des sociétés, par exemple, a été divisé par deux par rapport à 2008) et conduit à augmenter les dépenses publiques. Mais, avant même que la crise n’éclate, l’Etat avait massivement recouru à l’emprunt, du fait des baisses d’impôts et de cotisations sociales dont il attendait officiellement un surplus de croissance, donc de ressources publiques.

Croire que, dans les quatre ou cinq années à venir, la reprise économique, même accompagnée de réductions drastiques des dépenses publiques ou sociales, permettra de combler cet écart très important entre dépenses et recettes relève cependant de la foi plus que de la raison. Certes, l’Etat français dispose encore de marges de manoeuvre, il peut donc continuer à s’endetter sans trop de problème : sur les marchés financiers, les obligations du Trésor à dix ans trouvent preneurs à un taux d’intérêt de 3,5 % par an, soit à peine 0,2 point de plus que l’Allemagne, considérée comme le pays le plus solide de la zone euro, malgré une dette publique représentant 72 % de son PIB, un niveau pas très différent de celui de la France (75,8 %). Rien à voir avec d’autres pays, comme la Grèce notamment (mais le Portugal, l’Espagne et l’Irlande se trouvent également dans l’oeil du cyclone) qui ne peut se financer sur les marchés internationaux que moyennant un surcoût de 3 points en raison des craintes que l’Etat fasse défaut.

Il est cependant clair que le rythme actuel de l’endettement public français, lié à l’ampleur de la crise, ne peut être longtemps poursuivi alors que celle-ci semble s’atténuer : de ce point de vue, le " grand emprunt " de Nicolas Sarkozy n’est pas forcément une bonne idée. Le coût de l’endettement - de l’ordre de 50 milliards actuellement -, qui est déjà le second poste de dépenses de l’Etat, risque en effet de devenir rapidement prohibitif, surtout si les taux d’intérêt remontent, comme c’est probable. Ils sont en effet aujourd’hui maintenus à un niveau historiquement bas à la fois par la Banque centrale européenne (pour lutter contre le risque de dépression) et par l’abondance de l’épargne privée à la recherche de placements sans risque. Mais cela ne durera pas...

Faire jouer l’inflation ?

Traditionnellement, c’est par l’inflation que sont effacées les dettes lorsqu’elles deviennent insupportables. Les ménages qui se sont endettés dans les années 1960 ou 1970 pour acquérir leur appartement le savent bien : leurs remboursements de prêt ont pesé de moins en moins lourd sur leur budget au fur et à mesure que les prix (et du coup leurs revenus) grimpaient. L’Etat également le sait bien : il a remboursé en monnaie de singe dans les années 1950 les bons du Trésor émis avant la Seconde Guerre mondiale, ce qui lui a permis de financer la reconstruction du pays et les guerres coloniales. L’inflation permet, dans certaines conditions, de concilier le beurre et les canons.

Mais à l’époque, les capitaux ne voyageaient pas (ou seulement clandestinement). La Banque centrale européenne et son mandat anti-inflationniste impératif n’existaient pas. Les marchés financiers, avec leurs milliers d’experts à l’affût du moindre symptôme inflationniste pour s’en prémunir par le biais d’une hausse des taux d’intérêt, n’avaient pas le degré de sophistication qu’ils ont aujourd’hui.

N’empêche : le jour où les milliards d’euros ou de dollars injectés par les banques centrales sortiront des bas de laine dans lesquels ils dorment actuellement par crainte du lendemain ou des mauvaises surprises, la hausse mondiale des prix risque d’être forte. Et d’autant plus forte qu’elle s’accompagnera sans doute de tensions sur les prix des matières premières. Certes, les banques centrales manieront alors l’arme des taux d’intérêt pour casser l’engrenage inflationniste avant qu’il ne prenne de l’ampleur. Mais, entre-temps, c’est bien l’inflation qui allégera le coût réel des emprunts émis aujourd’hui à un taux historiquement bas.

Dette publique aux Etats-Unis, au Japon, au Royaume-Uni et en France depuis 1860, en % du PIB

On a vu par le passé se résorber des dettes autrement plus lourdes que celle de la France en 2010. Les pays belligérants de la Seconde Guerre mondiale sont sortis du conflit avec des dettes publiques pouvant aller, au Royaume-Uni, jusqu’à 300 % du produit intérieur brut. Mais ils ont connu dans l’après-guerre une croissance et une inflation bien plus élevées qu’aujourd’hui.

Dette publique aux Etats-Unis, au Japon, au Royaume-Uni et en France depuis 1860, en % du PIB

On a vu par le passé se résorber des dettes autrement plus lourdes que celle de la France en 2010. Les pays belligérants de la Seconde Guerre mondiale sont sortis du conflit avec des dettes publiques pouvant aller, au Royaume-Uni, jusqu’à 300 % du produit intérieur brut. Mais ils ont connu dans l’après-guerre une croissance et une inflation bien plus élevées qu’aujourd’hui.

S’endetter massivement aujourd’hui tout en se préparant à réduire fortement le besoin de financement de demain n’est donc pas un calcul idiot pour les emprunteurs du monde entier. " L’euthanasie des rentiers ", chère à Keynes, demeure une arme envisageable pour réduire la dette. Mais c’est une arme qui ne servira pas longtemps et qui sera bénéfique uniquement à ceux qui pourront éviter de s’endetter demain. Pour les autres, elle élèvera sans doute significativement le coût de l’endettement : dans un monde où les créanciers des Etats sont désormais majoritairement des investisseurs étrangers (les deux tiers de la dette publique française sont aux mains de non-résidents), les marchés financiers se prémunissent contre l’érosion de la valeur de la dette en exigeant des taux d’intérêt plus élevés.

Réduire les dépenses ?

La dépense publique n’est pas en soi vertueuse. Elle ne le devient que dans deux cas. Lorsqu’elle vise à se substituer à une dépense privée qui se rétracte, ou lorsqu’elle permet de produire des services et des biens publics bénéfiques à tous. Encore faut-il que cela se fasse au moindre coût ou, en d’autres termes, que la dépense publique soit efficace. Vouloir la réduire en éliminant les rentes de situation qu’elle permet parfois d’entretenir (dans les entreprises qui vivent de la commande publique ou dans les organismes administratifs) n’est donc pas forcément illégitime, bien au contraire. Mais faute d’indicateurs d’efficacité discutés et acceptés par tous, la tendance est plutôt aujourd’hui de tailler à la hache que d’effectuer des réglages délicats en veillant à ne pas engendrer d’effets pervers. Dans ce domaine, la conviction que " moins " = " mieux " est encore plus contestable que l’affirmation " plus " = " mieux ".

En outre, et surtout, réduire de plusieurs dizaines de milliards les dépenses publiques pour ramener, grâce à ce seul levier, le déficit public à 3 % dès 2013, comme le veut la Commission européenne, n’est pas seulement déraisonnable, mais probablement aussi contre-productif. Cela risque de détruire le fragile équilibre macroéconomique actuel, d’aboutir à replonger l’activité dans le marasme et, par voie de conséquence, à devoir gonfler de nouveau les déficits que l’on cherche à réduire.

Zoom Jusqu’où ira l’endettement public ?

Les scénarios d’évolution future de la dette publique sont extrêmement sensibles aux hypothèses de croissance et de taux d’intérêt. La première rend la dette plus légère, les seconds renchérissent son coût. Si le taux d’intérêt est supérieur au taux de croissance, la charge de la dette augmente plus vite que le produit intérieur brut (PIB). C’est ce qu’on appelle l’effet " boule de neige ".

Pour stabiliser le ratio de la dette sur le PIB, il faut alors que l’Etat dégage un excédent primaire, c’est-à-dire un excédent budgétaire avant prise en compte de la charge de la dette. Un excédent d’autant plus important que la croissance est faible et l’endettement élevé.

Ainsi, une variation de 0,5 point de croissance annuelle (1,3 % ou 1,8 %) à partir de 2011 change radicalement le profil de la dette, comme le montrent les simulations réalisées par l’OFCE 1. Dans le premier cas, la dette continuerait de dériver et dépasserait 115 % en 2020. Avec une croissance de 1,8 %, une stabilisation est possible en 2015, à condition cependant de tenir les engagements de maîtrise des dépenses publiques pris par le gouvernement dans le dernier programme pluriannuel de finances publiques. Un écart de 1 point de taux d’intérêt se traduit par un écart équivalent sur la dette publique.

Evolution de la dette publique selon trois scénarios de croissance annuelle du PIB à partir de 2011, en points de PIB

De telles projections ont cependant des limites, car la croissance et le taux d’intérêt ne peuvent être considérés comme des données totalement exogènes. Ils sont, au contraire, largement influencés par la politique budgétaire menée.

  • 1. " Quelle dette publique à l’horizon 2030 en France ? ", par Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau, Revue de l’OFCE n° 112, janvier 2010.

Une telle pratique attaquerait également la substance d’une protection sociale et de services publics essentiels pour l’ensemble de la société, car seules des coupes sombres dans ces fonctions publiques seraient susceptibles de procurer des économies aussi importantes. Or la crise a montré à quel point cette protection sociale et ces services publics ont servi d’amortisseurs et à quel point ils contribuent à la cohésion sociale. Enfin, on nagerait en pleine contradiction au moment où l’on affirme en haut lieu vouloir sortir de la dictature du PIB et s’intéresser au bien-être : en effet, une forte limitation de la dépense publique risque de réduire le bien-être tout en freinant, voire en bloquant, la reprise.

Augmenter les impôts ?

La seule façon de sortir de cette contradiction - réduire le déficit public pour freiner la montée de l’endettement public - est donc d’accroître les recettes fiscales. L’Elysée en repousse l’idée même : pas question d’augmenter les impôts, " je n’ai pas été élu pour cela ", proclame le président de la République, qui a fait campagne en 2007 sur le thème d’une forte baisse - quatre points - des prélèvements obligatoires. Depuis 2000, ces derniers (hors prélèvements sociaux) ont déjà sensiblement diminué, passant de 21,8 % du PIB (impôts d’Etat et impôts locaux confondus) à 19,1 % en 2008. Et la baisse se poursuit depuis (suppression de la taxe professionnelle, réduction de la TVA sur la restauration, bouclier fiscal, détaxation des heures supplémentaires, etc.).

Pour l’essentiel, ces réductions d’impôts ont bénéficié aux groupes sociaux aisés. Ils se traduisent donc moins par une consommation accrue que par une épargne supplémentaire. Accroître le niveau d’imposition des couches sociales les plus favorisées aura donc moins d’effets déflationnistes que si l’impôt était relevé pour tous. En outre, l’équité plaide en faveur d’un relèvement de l’impôt sur le revenu ou de la contribution sociale généralisée (CSG), à condition que les ménages modestes en soient épargnés, car une partie d’entre eux payent déjà lourdement le prix de la crise (chômage, précarité).

Mais l’équité intergénérationnelle plaide aussi dans le même sens : ne pas relever les impôts, c’est mettre le remboursement de la dette à la charge des générations à venir, alors que ce sont les générations actuelles, et plutôt, en leur sein, ceux à la recherche de profits financiers de plus en plus élevés, qui sont à l’origine de la crise.

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