Le nouveau Bretton Woods attendra

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Les moyens accordés au Fonds monétaire international (FMI) par le G20 vont contribuer à la relance. Mais une réelle refondation des relations économiques et monétaires internationales n'est pas encore à l'ordre du jour.

Le Fonds monétaire international est de retour aux affaires ", s’est félicité Dominique Strauss-Kahn, son directeur général, à l’issue du G20 d’avril 2009 qui s’est tenu à Londres. Le triplement de ses ressources, qui devraient atteindre 750 milliards de dollars, montre bien la volonté des Etats de remettre l’institution de Bretton Woods au centre du jeu. Pour autant, le sommet de Londres n’a pas été, loin s’en faut, ce " nouveau Bretton Woods " que Nicolas Sarkozy appelait de ses voeux en septembre 2008. Pour mériter ce titre, il aurait fallu que les Vingt s’attaquent non seulement aux causes financières de la crise, mais aussi à ses causes plus profondes, économiques et monétaires. Car réguler la finance ne suffira pas à prévenir les prochaines crises si les déséquilibres extérieurs et l’instabilité des changes persistent. Des thèmes qui n’ont même pas été effleurés dans les réunions du G20.

Des monnaies toujours séparées

La crise actuelle traduit en effet une fois de plus les contradictions d’un système dans lequel les économies sont de plus en plus interdépendantes mais où les monnaies demeurent séparées. En effet, la fin du système de Bretton Woods dans les années 1970 (voir encadré ci-dessous) a soldé l’échec d’une tentative historique pour gérer collectivement la monnaie. Depuis, les pays ne sont plus tenus de stabiliser la valeur externe de leur monnaie : ils peuvent la laisser flotter librement sur le marché des changes au gré de l’offre et de la demande de devises. La régulation du système monétaire par le marché apparaît de prime abord beaucoup moins contraignante que les règles de Bretton Woods. En renonçant à la stabilité des changes, dans un contexte d’intégration financière croissante, les Etats s’émancipent en principe du besoin d’équilibrer leurs comptes extérieurs. Les déséquilibres de balance courante cessent théoriquement d’être un problème. Un déficit, par exemple, peut être ou bien résorbé automatiquement par une dépréciation de la monnaie, ou bien, encore mieux, financé par l’extérieur. C’est la loi de l’offre et de la demande sur les marchés financiers qui arbitre désormais entre ces deux options. La mondialisation financière autorise des transferts massifs d’épargne entre pays, et donc des déséquilibres des balances courantes qui auraient été impossibles sans cela. Elle émancipe en principe les Etats de toute contrainte extérieure. C’est d’ailleurs pourquoi ces derniers l’ont favorisée.

Zoom Il était une fois Bretton Woods...

Les accords de Bretton Woods en 1944 ont organisé un système de taux de change stables entre les différentes monnaies autour d’une monnaie pivot, le dollar, lui-même lié à l’or. Le Fonds monétaire international (FMI) a été alors créé pour aider les pays à maintenir la valeur de leur monnaie en cas de déséquilibres temporaires de leur balance des paiements, en leur prêtant des réserves de change. Dès la fin des années 1950, le système de Bretton Woods a été progressivement miné par le développement d’une offre de crédit privé en dollars à l’extérieur des Etats-Unis. La masse de dollars détenue hors des Etats-Unis est devenue démesurée par rapport au stock d’or censé en garantir la valeur, ce qui a fragilisé l’étalon de change or. En 1971, sous la pression des attaques spéculatives, les Etats-Unis décidèrent de dévaluer le dollar et de suspendre sa convertibilité or, enterrant les règles qu’ils avaient eux-mêmes forgées vingt-cinq ans plus tôt.

Mais si les marchés financiers avaient eu toutes les vertus qu’on leur prêtait encore avant la crise, ils auraient dû permettre d’ajuster automatiquement la valeur des monnaies entre elles, d’allouer au mieux l’épargne mondiale et, enfin, de répartir largement les risques financiers. En pratique, ces bienfaits théoriques ont été largement démentis par la réalité.

Les promesses non tenues de la libéralisation financière

La flexibilité des taux de change, tout d’abord, loin de permettre un rééquilibrage automatique des déséquilibres extérieurs, a produit une énorme instabilité monétaire, source de perturbation pour l’activité. Seules peuvent supporter de telles variations du cours de leur monnaie de très grandes économies, comme les Etats-Unis et dans une moindre mesure le Japon et aujourd’hui la zone euro, pourvues de systèmes financiers suffisamment développés pour permettre aux entreprises de se couvrir contre le risque de change. Pour les autres, le taux de change est une variable trop sensible pour être laissée à l’arbitrage capricieux des marchés : les autorités monétaires ne peuvent donc s’en désintéresser. D’où le choix fait par de nombreux pays de lier leur monnaie à une grande devise internationale, le plus souvent le dollar. La Chine est emblématique de cette stratégie.

Le grand marché mondial de l’argent devait également conduire à une allocation optimale de l’épargne mondiale. En réalité, il a surtout profité aux grands pays développés, principalement aux Etats-Unis. Ceux-ci ont pu capter l’épargne du reste du monde pour vivre au-dessus de leurs moyens, sans se soucier particulièrement du taux de change du dollar, puisque l’essentiel de leurs transactions internationales s’effectue dans leur propre monnaie. Pour les pays du Sud, le bilan est nettement plus amer. L’internationalisation de la finance était censée leur donner accès aux capitaux nécessaires pour financer leur développement. En réalité, elle ne leur a fourni qu’une source de financement intermittente et capricieuse. A des afflux massifs de capitaux étrangers, parfois à l’appui de politiques hasardeuses, comme on l’a vu en Russie ou en Argentine, ont succédé des reflux brutaux qui ont fait s’effondrer leur monnaie et tari le crédit. Ces cycles de surendettement suivis de désendettement à marche forcée forment le scénario récurrent qui, dans les années 1980 et 1990, soumet les pays du Sud à des crises à répétition. Si bien que depuis la fin des années 1990, pour se prémunir contre les mouvements erratiques des marchés financiers, les pays émergents ont drastiquement réduit leur dépendance envers les capitaux extérieurs. D’importateurs nets d’épargne dans les années 1990, ils sont devenus dans leur ensemble exportateurs nets de capitaux dans les années 2000.

Leurs excédents d’épargne ont rencontré le besoin de financement insatiable des Etats-Unis et permis la croissance d’un endettement démesuré. Ce double déséquilibre - excès d’épargne d’un côté, insuffisance de l’autre - a atteint ces dernières années des niveaux inégalés. De gigantesques transferts d’épargne ont transité par les marchés internationaux de capitaux. L’afflux de liquidités a abaissé le coût du crédit, encouragé la prise de risques et alimenté les stratégies hasardeuses d’un système financier mal contrôlé.

Balances courantes, en milliards de dollars

Une autre promesse de la libéralisation financière, celle de permettre une large diffusion des risques entre les mains d’une multitude d’investisseurs et d’accroître ainsi la stabilité du système financier, s’est trouvée démentie. Dix ans après le coup de semonce de LTCM, ce hedge fund américain dont la faillite aurait menacé la stabilité du système financier international en 1998 s’il n’avait été " sauvé " par la Réserve fédérale américaine, la crise actuelle a révélé la concentration de risques dissimulés dans le système bancaire. Mais les errements des acteurs financiers - les banques américaines dans la crise actuelle, les banques asiatiques dix ans plus tôt - ne doivent pas faire oublier que le problème n’est pas nouveau : il y a des limites, que les marchés ne savent pas discerner, à la quantité de capitaux extérieurs qu’un système financier peut utilement faire fructifier. Même quand il s’agit du système financier, réputé hyperperformant, de la première puissance mondiale.

Pas de discipline collective

Comment limiter les déséquilibres extérieurs pour prévenir à l’avenir de telles dérives ? La limitation de la liberté des mouvements de capitaux n’étant pas à l’ordre du jour, la seule solution serait de mieux coordonner les politiques économiques. Mais les grands pays ne sont pas prêts à se plier à une discipline collective, et les déclarations du G20 restent au niveau des pétitions de principe. Certes, la crise aidant, les déséquilibres extérieurs se sont réduits d’eux-mêmes en 2009. Aux Etats-Unis, comme dans les autres pays en déficit, le taux d’épargne des ménages est nettement remonté et la demande privée a considérablement ralenti. Résultat : le déficit extérieur s’est résorbé de plus de la moitié. Symétriquement, la chute du commerce mondial a fait fondre les excédents des principaux exportateurs.

Mais le problème n’est pas réglé pour autant. Une croissance mondiale plus équilibrée supposerait que les consommateurs allemands, japonais et surtout chinois prennent durablement le relais des Américains. Aujourd’hui, la consommation ne représente que 35 % du produit intérieur brut (PIB) en Chine, contre 70 % aux Etats-Unis. Et le changement ne pourra être que très lent. Quant au déficit américain, même s’il s’est réduit, il reflète désormais un besoin de financement public. Or, contrairement à celle des ménages, la dette de l’Etat est détenue directement par des investisseurs étrangers, dont on connaît l’humeur volatile.

A cet égard, le rôle de la Chine est profondément ambivalent. La masse de réserves qu’elle détient (2 300 milliards de dollars en octobre 2009, soit l’équivalent de la moitié des richesses produites par le pays cette année-là) lui confère certes un droit de vie ou de mort sur le billet vert, mais elle l’oblige aussi à une solidarité de fait : pour préserver son trésor de guerre, elle n’a aucun intérêt à voir le dollar dévisser. La stabilité du système monétaire international repose ainsi sur un équilibre plus inquiétant que jamais : un équilibre de la terreur.

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